Rock & Folk

MARIE FRANCE

De retour avec un nouvel album, l’interprète de “Chez Moi A Paris” révèle ici des goûts variés mais impeccable­s, bâtis sur une curiosité musicale transversa­le.

- RECUEILLI PAR JEAN-EMMANUEL DELUXE - PHOTOS WILLIAM BEAUCARDET

COMME ON ECRIVAIT JADIS DANS TELE 7 JOURS, “si vous avez manqué le début”, Marie France est une artiste qui a su traverser les modes et les avant-gardes sans perdre de son acuité. Quel autre artiste peut aussi bien fédérer Daniel Darc que Dave en passant par Thierry Mugler, L’Alcazar, Bijou, Jacques Duvall et Marguerite Duras ? Sous la houlette du talentueux Léonard Lasry et de l’icône pop tendance mystérieus­e Elisa Point, Marie France offre avec “Tendre Assasine” des chansons qui, à peine écoutées sont déjà de “ministanda­rds”, comme elle aime à les appeler. Grâce à Lasry, un certain esprit sophistiqu­é parisien mais universel a trouvé en Marie France une égérie moderne. Les disques, nombreux et surprenant­s, ont évidemment jalonné le parcours de cette chevalier des Arts et des Lettres, démontrant un éclectisme roboratif, bien loin des vaines querelles de chapelles.

Un matin au Flore

ROCK&FOLK : Quel fut votre premier disque acheté ? Marie France : C’était un 45 tours de Johnny Hallyday, “Retiens La Nuit”. Je me souviens de la pochette de son album “Viens Danser Le Twist” que j’écoutais gamine avec Johnny qui prend la pose avec sa guitare sur un rocher. Gainsbourg, alors que je n’étais qu’une enfant, m’avait fait craquer avec le 45 tours de “L’Eau A La Bouche”. Ensuite, j’ai beaucoup aimé ce qu’il a composé pour France Gall comme “Baby Pop” ou “Teenie Weenie Boppie”. Ma rencontre avec Gainsbourg m’a beaucoup marquée. Ça s’est fait lors de l’émission de télé Dents De Lait, Dents De Loup où il chantait “Poupée De Cire, Poupée De Son” avec France Gall. J’ai aussi chanté un titre assez drôle de lui, “Erotico Tico”, à l’origine sur le EP de la musique du film “Comment Trouvez-Vous Ma Soeur ?”.

R&F : Quels disques ont marqué votre adolescenc­e ? Marie France : Il y a eu le “Blueberry Hill” de Fats Domino sur l’album “Fats Domino Swings”. Ensuite, à la deuxième moitié des sixties, j’ai vécu le début de la pop. Je fréquentai­s Pan, un disquaire de la rue Jacob où j’écoutais les imports américains avant tout le monde. J’y ai découvert l’album, “White Light/White Heat” du Velvet Undergroun­d, “I Got Dem Ol’ Kozmic Blues Again Mama!” de Janis Joplin, “Sunshine Superman” et “Mellow Yellow” de Donovan que j’adorais. Parallèlem­ent, j’écoutais beaucoup le “Funny Girl” de Barbra Streisand et le “Unforgetta­ble” de Dinah Washingsto­n. J’ai découvert tellement de musiques chez ce disquaire... L’album (homonyme) de Blood, Sweet & Tears avec “Spinning Wheel”. On y venait avec des copains fumer une cigarette et on découvrait vraiment tout ce qui sortait aux USA. Extraordin­aire ! J’adorais le funk et la soul. Je craquais sur Percy Sledge, les Four Tops et toute la Motown. C’était l’époque de mes folles nuits sur les pistes de danse. Gamine, j’ai adoré Elvis. Mon frère m’obligeait à danser avec lui et, quand je me trompais, il me donnait des baffes. J’étais folle de rage car il prenait ça trop au sérieux. Alors qu’avec la soul et le funk on était plus libres en dansant l’un en face de l’autre. Je regrette beaucoup l’époque des slows. Comme “Try A Little Tenderness” d’Otis Redding.

R&F : Vous avez fini par rencontrer ceux dont vous écoutiez les disques, comme Jimi Hendrix.

Marie France : Ça, c’est un petit peu après, au début des années soixante-dix. C’est Nicoletta qui m’a présentée à Hendrix chez Castel. Elle était avec lui et Hervé Vilard ! Hendrix a dû penser : “Qui est cette blonde ?” Nicoletta a répondu : “Mais c’est Marie France !” Il a alors voulu me connaître. Il m’intimidait beaucoup mais je l’adorais

“C’est Nicoletta qui m’a présentée à Hendrix chez Castel. Elle était avec lui et Hervé Vilard”

lui, tout comme son album “Are You Experience­d” avec “Purple Haze” et “Hey Joe”. J’étais allée le voir à l’Olympia. Il ne parlait pas français, alors j’ai décliné son invitation ce soir-là. Je le regrette beaucoup. C’est comme ça, j’étais dans mes rêves. Chez Castel, je croisais les Beatles. J’étais devenue très amie avec Anita Pallenberg et Keith Richards. Je voyais aussi Dylan puis, un peu plus tard, à l’Alcazar, les Pink Floyd. J’ai également connu Mick Jagger en 1967 par l’entremise de Donald Cammell, le réalisateu­r du film “Performanc­e” (coréalisé avec Nicolas Roeg en 1968). On allait avec Anita chez Donald Cammell rue Delambre, à Montparnas­se. C’est là que j’ai connu les Stones. Je me souviens avoir passé une soirée avec Mick Jagger le jour où il a rencontré sa future femme, Bianca. Donald Cammell m’a confié : “Ecoute, il vient de rencontrer une fille dont il semble éperdument amoureux. Tu ne pourrais pas les sortir ?” Je les ai sortis à Montparnas­se, dans des boîtes de strip-tease que je connaissai­s. Quelques années plus tard, je suis arrivée un matin au Flore. Mick Jagger et deux autres personnes y prenaient un petit-déjeuner. Je suis venu lui dire bonjour et il a sorti : “Here she comes with a beautiful monkey coat !” A l’époque, je portais du singe, quelle horreur ! On était inconscien­ts.

R&F : Quel album de cette période vous a marquée plus que les autres ?

Marie France : J’étais folle de l’album de Rotary Connection, un groupe de soul psychédéli­que de Chicago. J’adore l’album “Strange Days” des Doors. Surtout pour “People Are Strange” (elle chante). J’ai eu la chance de chanter pour McCartney. Par Chrissie Hynde, j’ai connu Stella McCartney qui est venue un jour avec son père à la suite d’un défilé. Il y avait une fête ou on m’a demandé de chanter “Honey Pie”. McCartney était à un mètre cinquante de moi, c’était marrant. J’adore les Beatles, encore plus que les Stones qui sont pourtant très bien aussi (rires). J’achetais tous leurs disques avec une petite préférence pour le Double Blanc.

R&F : Et les Français ?

Marie France : J’aimais Sylvie, Johnny et les autres, mais à partir de 1968, période où j’ai découvert la pop américaine, je ne pouvais plus supporter les chanteurs français.

R&F : Ensuite, de 1971 à 1973, ce fut, pour les branchés, la grande période du glam rock, que l’on appelait rock décadent dans les pages d’Actuel.

Marie France : J’ai adoré les premiers Bowie avec une préférence pour “The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars”. Mais, par la suite, j’ai décroché, car je le trouvais trop commercial. J’aimais tellement ses premiers albums, dont “Space Oddity”, qu’ensuite, j’y ai trouvé moins d’intérêt. Les albums “Electric Warrior” de T Rex et “Kimono My House” des Sparks m’ont beaucoup marquée. R&F : Ensuite, juste avant l’arrivée du punk, vous enregistre­z votre premier disque.

Marie France : Mon tout premier 45 tours était la chanson “On Se Voit Se Voir”, musique de Philippe Sarde pour le film “Barocco” d’André Téchiné. Ensuite, j’ai rencontré Jacques Duvall et Jay Alanski qui sont venus à ma porte pour me proposer des chansons. Je ne les connaissai­s pas et, très vite, j’ai adoré les chansons que Jay Alanski m’a jouées à la guitare. C’est ainsi qu’est sorti le single avec “Déréglée” et “Daisy”, en 1977. Avec le punk, il y a eu Gazoline le groupe d’Alain Kan qui a sorti deux 45 tours en 1977. C’est drôle, Alain avait piqué le nom du groupement des Gazolines du FHAR (Front homosexuel d’action révolution­naire, qui s’illustra dans l’après Mai 68 et dont Marie France était une des figures principale­s). Il flashait vraiment sur cet univers.

R&F : Et dans le punk anglo-saxon ?

Marie France : J’adorais les New York Dolls avec leurs deux premiers albums. Ils étaient venus à Paris et on avait fait la fête ensemble.

R&F : A l’époque, certains punks rejetaient le disco. Marie France : C’est vrai que les deux ont explosé en même temps. Moi, j’écoutais les deux. Du reste, au moment d’enregistre­r avec Jay et Jacques mon 45 tours, on se demandait si on allait le traiter de manière punk ou disco. Sans oublier le reggae qui marchait aussi très fort à l’époque. Au Sept puis au Palace j’adorais danser sur “Stop! In The Name Of Love” des Supremes. En 1979, j’ai enregistré un 45 tours avec Duvall et Alanski, “Los Angeles”, et surtout un reggae, “MarieFranç­oise Se Suicide”. La chanson raconte l’histoire de Marie-Françoise, une fille qui tous les soirs met en scène son suicide. Elle monte un décor, sort un gros revolver qu’elle approche de sa tempe et tire. Ça provoque un déclic, mais rien ne se passe puisque le chargeur est vide. Puis elle finit par dire : “Hier soir, c’était plus chic quand même.”

R&F : Prince ou Michael Jackson ?

Marie France : J’adore Prince, mais l’album “Off The Wall” de Michael Jackson est un chef-d’oeuvre. Et “Thriller”, avec “Billie Jean” et son clip génial.

R&F : En 1981, vous enregistre­z l’album “39 De Fièvre” avec les membres de Bijou.

Marie France : Ils sont arrivés un peu avant Téléphone. Ils avaient la cote et j’aimais beaucoup ce petit groupe français qui jouait du rock. Un jour, Pierre Zaidline (réalisateu­r de l’émission culte Dim Dam Dom), qui avait commencé un film sur les Doors à Los Angeles qu’il n’a jamais terminé, me dit : “Il y a un groupe qui chante ‘Marie France est une jolie fille qui ressemble à Marilyn’.” En même temps, je rêvais de monter un groupe de rock. Quand j’ai rencontré les Bijou, je leur ai demandé s’ils ne connaissai­ent pas des musiciens pour m’accompagne­r. Ce à quoi ils m’ont répondu qu’ils étaient prêts à me suivre. Alors que la période était à la new wave, j’ai préféré reprendre du rock’n’roll des années soixante.

R&F : Quels sont vos goûts en matière de pop française des années 80 ? Marie France : Je pense à Elli & Jacno avec leur album “Tout Va Sauter”, et à Jacno en solo avec “Rectangle”. J’aimais beaucoup Jacno. Taxi Girl également, avec le single “Cherchez Le Garçon” et surtout Daniel Darc, qui en plus habitait dans la même rue que moi. Il passait sous mes fenêtres et me soupirait : “Oooh, Marie France”. Plus tard, il m’a écrit des chansons pour un album (“Las, Dans Le Ciel...” et “Laisse Pas Le Jour”,

sur l’album “Marie France” de 1997). La période des années 80 est aussi celle où j’ai refusé des chansons de Duvall et Alanski qui ont été interprété­es avec talent par Lio qui en faisait des succès. Je ne pouvais rien dire. Il y avait “Je Ne Me Quitterai Jamais” qui est devenu “Je Casse Tout Ce Que Je Touche” sur son album “Pop Model”. Mais aussi “Les Deux Pour Le Prix D’Une” au texte fabuleux. Sur le premier album de Lio il y avait aussi “Speedy Gonzales”. Comme je ne me décidais pas à enregistre­r, car j’étais turbulente, Duvall et Alanski les ont proposées à Lio avec le succès que l’on sait.

R&F : Et la new wave anglo-saxonne ?

Marie France : J’aime beaucoup Marc Almond et le premier album de Soft Cell (“Non-Stop Erotic Cabaret”, en 1981) et ma grand amie Chrissie Hynde. Avant qu’elle ne parte à Londres et devienne une star internatio­nale avec les Pretenders elle a vécu avec moi à Paris. “Don’t Get Me Wrong” est devenu un standard. J’ai chanté “A Lover Spurned” avec Marc Almond. Le clip qu’ont réalisé Pierre et Gilles est magnifique. Ils ont vraiment marqué l’esthétique des pochettes des années 80.

R&F : Les comédies musicales hollywoodi­ennes ont compté pour vous, également.

Marie France : Je pense à “42e Rue” (film de 1933 avec Ginger Rogers débutante et des chorégraph­ies de Busby Berkeley). Pour les chansons de Marilyn, c’est venu plus tard. J’avais refusé au début car je trouvais que je n’avais rien de Marilyn et j’étais plutôt fan de Marlène Dietrich. J’adore son album “Live At The Café de Paris”. On m’a presque obligée à jouer Marilyn et ça a été un succès dément. Depuis, elle ne me quitte plus.

R&F : Et dans les années 2000 ?

Marie France : J’ai adoré Amy Winehouse, dès le début. Avec en point d’orgue son album “Back To Black”. Elle avait une personnali­té assez rétro avec un look incroyable.

R&F : Et aujourd’hui ?

Marie France : Il y a surtout Léonard Lasry qui a été une grande découverte pour moi. Il s’inscrit dans la filiation de Frédéric Botton qui écrivait pour Jeanne Moreau et Juliette Gréco.

Une incroyable chanson

R&F : Il a aussi écrit pour Annie Philippe, revenue à la mode par le remix de Bon Entendeur.

Marie France : Oui, deux 45 tours, “Les Enfants De Finlande” et “Le Flingue”. Il a enregistré une incroyable chanson, “Attention A La Grosse Boule Qui Descend L’Escalier !”. Ainsi que “Aquarelle”, très bel album pour Annabel Buffet sous une pochette de son mari Bernard Buffet. Il a écrit des chansons magnifique­s avec beaucoup d’élégance et d’humour. Il écrivait toutes les musiques des revues de Jean-Marie Rivière. Je chantais “La Blanche Et La Noire”, comme les touches d’un piano qui étaient représenté­es sur scène par une danseuse noire et une autre blanche. J’ai retrouvé cet esprit pour “Tendre Assassine”, mon nouvel album avec Léonard Lasry et Elisa Point.

R&F : Elisa Point, qui a commencé sa carrière dans les années 80, n’est pas connue du grand public mais est une artiste qui fait l’objet d’un culte.

Marie France : Je croisais Elisa Point au studio Garage. C’était pour moi une inconnue mais, quand on me l’a présentée, elle était émue. Les années passant, on avait très envie de travailler ensemble, mais ça ne s’est jamais fait. Ça s’est concrétisé grâce à Léonard. Il réédite toute la discograph­ie d’Elisa depuis un an. Son album “L’Assassine” vient de ressortir.

Album “Tendre Assassine” (29 Music/ Kuroneko)

“Je regrette beaucoup l’époque des slows”

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