PHILIPPE PASCAL
1956-2019
Quelques mois après un retour romantique et réussi de Marquis De Sade, le chanteur rennais est mort à 63 ans.
PORTRAIT DE JEUNES GENS qui voulaient faire sonner leurs guitares comme des vers de Jean Genet. C’est ainsi qu’on pourrait décrire la scène rennaise qui émerge au crépuscule des années 1970 autour de Frank Darcel et Philippe Pascal. Le rock français est alors en pleine effervescence. Dans le sillage de Téléphone, des centaines de clones tentent leur chance à la grande loterie de la gloire, mais Marquis De Sade va inventer ses propres règles.
Accumulation de frustration
“Je ne pensais même pas que ce puisse être un groupe français qui produise cette musique extraordinaire”, se souvient Arnold Turboust dont le piano cristallin hante les plages de “Dantzig Twist”. Raconter Philippe Pascal, c’est ouvrir une boîte d’où s’échappent des noms, des images... Un Etienne Daho junior qui arpente les planches de la deuxième édition des Transmusicales accompagné par MDS. Une couverture d’Actuel qui fera grand bruit :
“Les jeunes modernes aiment leur maman”, où les membres du groupe posent en compagnie de leur mère. Le mot Europe qui revient lors des interviews, avec son lot de références culturelles : expressionisme, Egon Schiele, krautrock... Philippe officie au sein de Penthotal Lethally lorsqu’il est repéré par Christian Dargelos, chanteur de Marquis De Sade en instance de départ, qui suggère à ses acolytes ce remplaçant idéal. L’association est vite scellée. “Il trouvait formidable qu’on ait un local et des affiches. Je crois que notre sens de l’organisation lui plaisait, reconnaît Frank Darcel. On a eu conscience d’avoir affaire à quelqu’un de vraiment à part et, surtout, d’exigeant, même si on ne percevait pas toujours où il voulait en venir. Par la suite, il y a eu des problèmes d’incommunicabilité, mais qui nous faisaient sourire depuis la reformation.” De cette première rencontre en 1978 à ces ultimes concerts en 1981, Marquis De Sade écrit un chapitre essentiel du post-punk, enregistre deux albums et une poignée de simples avant de disparaître. Une fin programmée assez prévisible :
“On n’était pas un groupe fait pour durer très longtemps, admet Darcel. On aimait une certaine forme d’exigence, d’urgence, et le no future des punks nous touchait. S’inscrire dans la durée n’était pas le but, mais peut-être qu’on aurait fait un album supplémentaire si on avait eu un label performant.” Autre handicap pour dépasser le statut de culte, l’emploi de l’anglais qui “donnait l’impression que, d’où on était, en Bretagne, dans notre ferme, on était en relation avec New York et Londres.” Ce choix deviendra l’un des points de friction entre Philippe, qui souhaite passer au français, et Frank, dont les oreilles sont tournées vers New York et ses clubs : “J’ai commencé à voir l’importance du dancefloor, avec Talking Heads en particulier : le fait qu’une musique originale, avec des références intellectualisantes, fasse danser. Je pense qu’il y avait moyen de trouver un compromis. ‘Cancer And Drugs’ avait une rythmique un peu plus soul, mais ça intéressait moins Philippe.” Après la rupture, ce dernier se réincarne en Marc Seberg : “Marquis De Sade, c’était le chaos, la violence désordonnée qu’il fallait à tout pris délivrer, confie-t-il au micro d’Alain Maneval en 1993. C’était toute cette accumulation de frustration, de haine au sortir du lycée, cette peur de se retrouver coincé à vie dans l’ennui de la classe moyenne rennaise. Puis on est passé à Marc Seberg, et j’ai essayé de vivre à travers lui et, d’album en album, il m’a complètement échappé et on a sabordé le groupe.” Ledit sabordage met fin à une aventure qui court sur plus d’une décennie et enfante quatre albums et un presque hit, “L’Eclaircie”, qui laisse entrevoir un Philippe Pascal provisoirement apaisé. En 1993, au moment où la sono mondiale se repaît de grunge et de rap, l’éphémère duo Philippe Pascale (avec Pascale Le Berre) invente une troisième voie au fil d’un album lumineux, inspiré par un séjour au Maroc.
Magie intacte
S’ensuit un long silence médiatique, jusqu’à l’annonce d’un improbable concert de reformation de Marquis De Sade en septembre 2017, précédé de répétitions dans la campagne rennaise : “C’était curieux, un peu comme si on ne se connaissait plus du tout, se souvient Frank Darcel. Le répertoire nous semblait étranger. Ce qu’on voulait savoir, c’est si cela avait un sens de jouer ces morceaux trente-huit ans après. Assez vite, Philippe s’est montré le plus enthousiaste.” Les divergences sont enterrées et la magie intacte. Des concerts complets s’enchaînent, une tournée se profile pour 2020 de même qu’un album. Jusqu’à ce sinistre 12 septembre qui laisse ses proches face à des questions sans réponses. Frank Darcel, sous le choc : “Le groupe qui se réunit au bout de 38 ans, connaît un grand succès, puis le départ de Philippe, on dirait un film...” Un film expressionniste resté inachevé suite à la disparition du héros. “S’il avait été anglais ou américain, estime Arnold Turboust, tout le monde ne parlerait que de lui, tellement il avait de grâce, de classe, de charisme.” Mais aussi de fêlures, hélas.