MIKE PATTON & JEAN-CLAUDE VANNIER
Le compositeur français et le rocker américain ont réalisé un album ensemble. L’alliance de la carpe orchestrale et du lapin fusion ?
DIFFICILE D’IMAGINER PLUS IMPROBABLE RENCONTRE : l’arrangeur historique de Gainsbourg et l’ex-Faith No More devenu toucheà-tout avant-gardiste réunis le temps d’un projet en 12 chansons. Force est de constater, à l’écoute de l’inclassable “Corpse Flower”, que cette collaboration transatlantique est une vraie réussite. Quand on rencontre le duo en promo dans le petit jardin d’un hôtel parisien, on tombe sur des duettistes qui ont les routines d’un vieux couple et une complicité qui prouve, s’il en était besoin, que cet album à quatre mains est ce que les Anglo-Saxons appellent
“a labour of love”. Conversation détendue et bilingue avec deux musiciens d’exception.
Des musiques rigolotes
ROCK&FOLK : Votre première collaboration fut pour le concert hommage à Gainsbourg en 2011 au Hollywood Bowl de Los Angeles. Que saviez-vous l’un de l’autre ? Jean-Claude Vannier : J’avais entendu parler de Mike, je savais que c’était un type un peu particulier qui faisait des musiques rigolotes, en tout cas très intéressantes pour moi.
Mike Patton : J’étais fan de ses compositions, je ne le connaissais pas mais j’ai senti une connexion quand on a fait ce concert à LA. Je ne suis pas un lettré de la musique, je ne l’ai jamais étudiée, et j’ai été super impressionné par son travail avec l’orchestre philharmonique. Je me suis dit : “Si on devient amis, je lui demanderai de travailler avec lui.” On s’est revus à San Francisco après le show et là, j’ai su que c’était possible.
R&F : Donc en 2011. Ça a pris du temps... Jean-Claude Vannier : On a été au City Lights Booksellers, j’y ai acheté “Howl”, le bouquin mythique d’Allen Ginsberg, et lui un livre de Jacques Prévert. On est allé dans un restaurant italien, il m’a dit : “Et si on faisait un album ensemble ?” Moi, à cette époque-là, je n’étais pas dans l’ambiance. J’ai répondu : “Oui, oui”... et on n’a rien fait du tout. Je me suis fait engueuler par ma fille qui m’a dit : “Quand même, tu aurais pu être un peu plus chaleureux.” Des années après, vers 2016 je crois — je ne sais plus, on a mis trois ans à faire cet album —, il m’envoie un mail : “Et si on le faisait ?” Tout d’un coup, ça a été le flash : “Oui, immédiatement !”
R&F : C’est un disque surprenant, avec plein de références gentiment scatos... Jean-Claude Vannier : Ça, c’est Mike. Un journaliste avait écrit : “Mike Patton a recommencé avec son pipi-caca”. Il y a une chanson où je disais : “Quand j’ai un peu trop bu, j’ai la merde au cul”. C’est moi qui avait fait ça. Lui il a écrit : “I shit my pants”.
Mike Patton : Là, ça sonne bien en anglais, parfois c’est mieux en français, alors j’essaie, mais je suis limité en français. Je suis fasciné par le langage, passer de l’anglais à l’italien ou au français, c’est un trip. Et ça ne marche pas avec Google Translate, pour un mot en anglais il en faut cinq en italien.
Toujours la même note
R&F : C’est un album pas forcément facile d’accès, au sens pop. En même temps, “Chansons D’Amour” fait penser à Edith Piaf. Jean-Claude Vannier : Ah oui ? Je n’avais pas vu ça. Tant mieux. De toute façon, ma référence, c’était les 78 tours, toujours les mêmes vieilles chansons d’amour. C’était ça l’origine du texte. Pour ce morceau, ce que je voulais c’est que l’auditeur ne se rende pas compte qu’on chante toujours la même note. Il faut des contraintes, c’est un marchepied à l’imagination. Même la contrainte du budget.
R&F : On a l’impression que c’est un projet hors du temps, où les machines sont moins importantes que dans la majorité des disques actuels...
Jean-Claude Vannier : Quand la machine fera une musique qui sera supérieure à celle de l’homme, l’homme sera devenu inutile et disparaîtra. Mais je n’y crois pas beaucoup.
RECUEILLI PAR OLIVIER CACHIN Album “Corpse Flower” (Ipecac/ Pias)
“Un type un peu particulier”