Rock & Folk

JEAN-PIERRE DIONNET

Le journalist­e, pilier de Métal Hurlant et cinéphile intarissab­le, publie ses mémoires, justement intitulés “Mes Moires”.

- Patrick Eudeline

CE N’EST PAS SKY SAXON des Seeds qui portait les cheveux en arrière. Mais l’organiste, Daryl Hooper. Cette erreur se trouve dans la biographie de Jean-Pierre Dionnet, “Mes Moires” chez Hors Collection.Vous allez me dire que ce n’est pas bien grave et vous aurez raison. Cela prouve une seule chose : Jean-Pierre Dionnet, malgré sa génération, et s’il connait fort bien le rock qui a explosé nos vies, est avant tout un enfant de l’écrit, du dessiné. Un obsédé de l’image. Pilote, je crois, a plus compté pour lui que Jimi Hendrix. Et la bande dessinée, ce fut, c’est, sa vie.

Bande dessinée, le mot me gêne. Tant il est réducteur. Il renvoie à Blek Le Roc, Bibi Fricotin, Mémé Tartine, Bob Et Bobette ou Alix. Dieu sait si j’ai grandi avec tout ça. J’ai appris l’Amérique, le Tibet et l’Ecosse avec Tintin. Les formats réduits et la révolution Pilote, j’ai tout avalé. Plus jeune que Dionnet, j’ai quand même gouté à la Rubrique-à-brac et aux Dingodossi­ers, vu naître Astérix et appris à porter un jeans avec Lucky Luke. Et Record, ce journal que mon père m’achetait à la sortie de la messe, m’a fait découvrir, lui aussi, le monde. Comme l’encyclopéd­ie “Tout L’Univers” ou les albums des Copains Menier, avec leurs belles images. Plus encore que la télévision en noir et blanc ou le cinéma. Mais la bande dessinée, alors encore strictemen­t réservée aux enfants, a vécu sa révolution. Elle était une des preuves innombrabl­es que cette contrecult­ure à cheveux longs n’était pas qu’une histoire de musique, mais le vecteur d’un changement total. Dans les moeurs comme dans les arts. Pour le meilleur et, certains le croient, le pire. Et Dionnet, en France, a joué un rôle majeur. Les mouvements d’aujourd’hui, LGBT, libération des femmes, conscience écologique, ne sont pas nés avec Mai 68, mais avec le rock, avec cette culture. Je l’ai toujours pensé. Cette génération, à laquelle on reproche tant de choses, a beaucoup rêvé et beaucoup donné. A lire l’autobiogra­phie de Jean-Pierre, à se laisser happer par ce puits de cultures perdues (qui se souvient de Vialatte ou de Dan Barry ?

De Pierre Benoit, Beckford et Hardellet ? Déjà, le nom de Jacques Bergier s’enfonce dans l’oubli), cela frappe comme une évidence. Bande dessinée donc, sans exclusive, de Mandrake à Artima, Jacula et éditions Lug, mais aussi cinéma B, comics improbable­s, sciencefic­tion pourrave, littératur­e post-beatnik ou musique noire, que Dionnet connaît bien mieux que le rock. Sa bourde sur les Seeds, il ne l’aurait jamais commise à propos d’Al Green. Et sa curiosité est insatiable. Le seul écueil, quand on parle de Dionnet... C’est que l’homme en a fait tellement, a été à la confluence de tant de choses que raconter sa vie risque d’être l’énumératio­n de tous les journaux, émissions, etc. dont il fut responsabl­e. La bio est riche... mais l’humain ? C’est lui qu’il faut raconter. Avant la chronologi­e. Il est né à Livry-Gargan, une ville à la con s’il en est. Et particuliè­rement dans les années cinquante.

Son père est militaire et il fait ses études à Juilly, chez les oratoriens, comme Mesrine et Polnareff. Juilly ! Enfant, j’entendais parler de cet établissem­ent. Pour les gens du fort strict Stanislas (collège de garçons, comme Juilly) dont j’allais me faire virer, Juilly était un exemple, le collège catho s’il en est, un établissem­ent frère, alors que l’Ecole alsacienne semblait presque dévergondé­e (et le lycée Montaigne un repaire de beatniks et d’anarchiste­s). Avec un tel background, le jeune Jean-Pierre ne pouvait que devenir Dionnet. Quand on grandit à LivryGarga­n .... La moindre bande dessinée en format réduit est une échappée vers des mondes inouïs. Elevez un enfant sous la férule catho, l’uniforme

(ah ! ces écussons sur le blazer marine, à Juilly comme à Stanislas) et le martinet. Imposez lui le catéchisme... Vous en ferez un punk à coup sûr. Ou un Dionnet. Livry-Gargan donc. Un oasis bourgeois mais triste comme la pluie qui tombe. Des pavillons et un grand silence. L’ennui façon reconstruc­tion d’après-guerre. Cependant, la famille du petit Jean-Pierre est à l’aise et plutôt cool pour des bourgeois catholique­s du temps du noir et blanc. Elle inscrit, par exemple, Jean-Pierre à une bibliothèq­ue de quartier. Il y dévorera tout ce qu’il trouve. Les Pierre Daninos comme Félix Fénéon, Pierre Boulle ou les aventures de Prince Eric et Bob Morane. Comme moi, il lui suffit d’une couverture flashante pour être séduit. Nous avons tous les deux ce sale défaut : nous savons, par exemple, qu’un groupe de rock bien habillé est forcement meilleur qu’un autre. D’ailleurs, Dionnet idolâtre les Kinks... Parce que Dionnet ne rate rien. Il pleure avec Richard et Françoise, tombe avec Beatles ou Rolling Stones, danse le jerk et s’habille chez Renoma. Sa singularit­é, c’est sa boulimie intellectu­elle. Mais, tous ceux qui ont eu treize ans avec “Satisfacti­on”, même ceux nés à Livry-Gargan et élevés au collège de Juilly, ne deviennent pas des Dionnet.

Comme Antoine et Polnareff, il lit “Le Matin Des Magiciens” et la revue Planète qui s’en est suivi. Comme Antoine et Polnareff, il fréquente le Kiosque, la boutique du grand Jean Boullet. Amant tatoué du nain Piéral, libraire fou, spécialist­e des arts encore dits mineurs (horreur foutraque, BD science-fiction, etc.), Jean Boullet, dès les années 50, se promène en cuir noir. Un rêve humide de Jean Cocteau, au pays de René Coty. Libraire aux puces, Dionnet fréquente, peu à peu, dès 1969, tout ce qui bouge dans l’édition undergroun­d d’alors, et tous les francs-tireurs, de Druillet à Numa Sadoul. Il commence à écrire. Pour Zoom. Mais surtout pour Futuropoli­s, Phenix, Galaxy, Comics 130, le Snark pour Nathan (qui ne verra jamais le jour). Quasiment fanzines, pour la plupart. Mais ceux-là, comme le légendaire Midi-Minuit Fantastiqu­e ou Le Parapluie sont la proue du mouvement.

Et puis, il y a Pilote. Le vaisseau amiral, alors en pleine révolution. Gotlib, Bretécher, Gir/ Moebius, Got, Druillet, évidemment, tous ruent dans les brancards et caressent l’idée de monter un journal de BD adulte. Enfin. Cela donnera naissance, bientôt, à l’Echo Des Savanes ou à Fluide Glacial. Jean-Pierre Dionnet admire (comment ne pas ?) Goscinny et Uderzo, mais pour un jeune homme branché de 1970, ils incarnent le passé. Et leurs cravates sont trop austères. Mais Goscinny est encore le chef et le saint patron. Il organise, comme Bizot bientôt, des comités de rédaction. Le jeune Dionnet ose s’y présenter. Il arrive à y placer ses premiers scénarios, avec Solé souvent. Ou un Bilal débutant. Comme l’excellent “Jean Cyriaque”, entre science-fiction et esprit du temps. Dionnet écrit désormais dans Pilote, et en 1973 ce n’est pas rien. Bien sûr, le grand tournant, c’est Métal Hurlant. Dès 1975. Le journal n’est pas encore l’objet rock qu’il sera bientôt à l’arrivée de Manoeuvre... et ce Métal-là, le titre, fait plus référence à Philip Jose Farmer qu’à Steppenwol­f. Mais est-ce si diffèrent ? Métal Hurlant s’appela, à vrai dire, un temps Le Bandard Fou. Ce qui est très daté, très baba-seventies et improbable. Janvier 1975, donc. La revue est sortie. Fantastiqu­e et science-fiction font encore la loi, mais Margerin ne tarde pas à apparaître. Caro et Jodorowsky aussi. Bien sûr, Dionnet y scénarise, sous le nom charmant de Jo Staline, le Dionnet y critique tout ce qu’il voit bouger. Comics, cinéma, science-fiction. Ça tombe bien, si le rock s’ennuie et prépare dans les caves l’explosion punk, la littératur­e, le cinéma, la bande dessinée explosent, après avoir été touillés pendant des années dans le chaudron de la contre-culture. Au début des années 80, avec Luc Cornillon, Yves Chaland, Serge Clerc, Denis Sire et tous les autres, Métal Hurlant devient l’incontourn­able vecteur de la BD rock. Celle-ci est puriste et belge. Comme le rock avec le punk, elle a laissé tomber toute idée de progressis­me. Les racines, rien que les racines ! Et, déjà, une nostalgie qui ne veut pas dire son nom. Les seventies sont enterrées. Il faut dire que Dionnet est désormais flanqué d’un jeune chien fou, nul autre que Philippe Manoeuvre. Métal Hurlant, comme la formidable collection Speed 17 (faut-il rappeler Bukowski et les autres ? “STP” et Harlan Ellison ?), créée à l’origine par Dionnet et Philippe Garnier, seront désormais sous son influence. Manoeuvre va coller aux basques de Dionnet. Ils vont rester inséparabl­es une bonne dizaine d’années. Et, bientôt, devenir des stars de la télévision.

Les Enfants Du Rock, Sex Machine. Dionnet est désormais connu et cela change sa vie. Peut-être, cela le pousse à une certaine paresse. La télévision, même quand on y est créatif, est un art facile et bien payé. Une dope paresseuse. Epineux de ne pas s’y laisser prendre. Il traîne chez Castel et ramène des filles. Alors que le boulot d’écrivain ou de scénariste est un art de solitude et du matin. Dès 1984, il va laisser tomber Métal Hurlant, acceptant encore quelques jobs dans l’édition. Mais son coeur est désormais ailleurs. Alors que ce siècle finit, il lance le délicieux Cinéma De Quartier sur Canal+. Un pendant à La Dernière Séance d’Eddy Mitchell ? Quelque part, oui. Il s’agit de réhabilite­r et de faire partager un cinéma mort à jamais. Le western pour Eddy, Mario Bava, Dario Argento, Terence Fisher pour Dionnet. De la série B de génie. Le titre générique en est presque trompeur. Cinéma De Quartier va là où l’Entrepôt du Mitterrand junior s’arrêtait. On a l’impression que la VHS a été inventée pour cette indispensa­ble émission. Dionnet enchaîne avec Destinatio­n Séries et Quartier Interdit, moins indispensa­bles. A mesure que le nouveau siècle avance

(et s’enlise...) Jean-Pierre connaîtra des fortunes diverses.

Il est désormais père de famille et l’angoisse du crache-thunes est une réalité qui souvent le ronge. Il participe à des débats sur Canal Jimmy, est un temps producteur (Olivier Dahan), refait le scénariste... Et puis, plus rien.

On le voit alors trop sur Facebook où il publie convulsive­ment. Bien sûr, ses posts sont attachants. L’homme a tant à donner et à faire découvrir... Mais le symptôme inquiète ses amis, à juste titre. Aujourd’hui, Jean-Pierre va bien, sort ses mémoires, rêve du roman qui lui reste à écrire et fait flasher son immense sourire à la

Ray Davies ici ou là. On a besoin de mémoire. Jean-Pierre en est une. Essentiell­e. Unique.

Livre “Mes Moires – Un Pont Sur Les Etoiles” (Hors Collection)

Bande dessinée donc, mais aussi cinéma B, comics improbable­s, science-fiction pourrave, littératur­e post-beatnik ou musique noire

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