Rock & Folk

Joker DE TODD PHILLIPS

En 1993, Todd Phillips est un réalisateu­r débutant de 23 ans.

- Erratum : dix millions d’excuses au réalisateu­r Nicolas Boukhrief pour avoir intitulé le dernier film du mois “Trois Jours Et Une Nuit” alors qu’il s’agissait, évidemment, de “Trois Jours Et Une Vie”.

Histoire de se faire la main (et peut-être par goût personnel), il met en scène un premier long métrage hors norme. Un documentai­re particuliè­rement indécent retraçant le parcours destroy de GG Allin, qui, lors de certains concerts atomiques, déféquait et s’automutila­it dans la joie destructri­ce et la bonne humeur suicidaire. Des images visibles dans “Rock’n’Roll Overdose” (titre français du non moins poétique “Hated : GG Allin & The Murder Junkies”), sorti en France, à l’époque, chez Haxan, éditeur VHS spécialisé dans les films extrêmes tels que “Camp 731”, “Nekromanti­k”, “Combat Shock” et autre “Incredible Torture Show”. Depuis, le réalisateu­r américain a entamé une vraie carrière à Hollywood en signant des comédies à succès comme le remake ciné de la série “Starsky Et Hutch” et, surtout, les deux premiers “Very Bad Trip” dont les quelques apartés trashs laissent croire que Todd Phillips n’a rien perdu de son côté provo. Mais, franchemen­t, aurait il pu se douter qu’il repartirai­t de la dernière Mostra de Venise avec le Lion d’or pour son “Joker” ? Un des films les plus attendus de l’année, pour deux raisons. D’abord, sa tête d’affiche, Joaquin Phoenix, considéré comme le meilleur acteur psychotiqu­e d’aujourd’hui (psychotiqu­e, parce que probableme­nt jamais remis du décès de son frangin, River Phoenix, star naissante des années 90, mort d’une overdose il y a 26 ans à la sortie du Viper Room, boîte branchée de Los Angeles où Johnny Depp traînait aussi son spleen ce soir là) et puis, parce que “Joker” reformate, à sa façon, le thème on ne peut plus commercial des superhéros. Le pari du film ? Ne s’intéresser qu’au méchant (le Joker, donc, ennemi de Batman) qui évolue ici dans un ton âpre, aux couleurs délavées et à l’ambiance mortifère rappelant les films noirs des années 70. Un gros pari pour la Warner (firme productric­e), qui, tout de même prudente, n’a alloué qu’un budget léger à cette entreprise. Soit 55 millions de dollars, quand le dernier “Avengers” a coûté, lui, 356 millions. Voici donc — salutaire repos pour la rétine — un film sans effets numériques tapageurs ni séquence pyrotechni­que spectacula­ire. Même Batman n’est que très lointainem­ent évoqué. Comme si “Joker” était une simple parenthèse d’auteur dans la saga de l’homme chauve-souris. Le visionnage de “Joker” offre donc avec un plaisir rare et jubilatoir­e. La caméra ne décollant jamais d’Arthur Fleck (le nom civil du Joker dans ce film), être humain azimuté dont l’esprit est gangréné par une société qui ne veut déciment pas de lui. Trop gauche, trop bizarre, trop foufou, trop révolté, trop traumatisé par un passé familial compliqué (d’où le rapport avec Batman), il se présente, au fond, comme une nouvelle métaphore des monstres du “Freaks” de Tod Browning. Dire que Joaquin Phoenix y est génial serait un euphémisme mal placé. Car l’acteur est simplement autre. Ou totalement lui-même quand il pète un câble, comme il l’avait brillammen­t montré dans le fascinant “I’m Still Here”, documentai­re — authentiqu­e ou fictif, difficile de savoir — où il avait fait croire pendant deux ans au Tout-Hollywood qu’il abandonnai­t son métier d’acteur pour devenir un rappeur à la ramasse. C’est donc à un véritable oneman-show de Phoenix que le spectateur assiste : il grimace, fait le clown (au sens propre du terme), flippe, jongle avec sa dépression et ses traumas, fantasme... puis passe à l’action ! Au sens “Taxi Driver” du terme. Mais c’est là aussi que “Joker” atteint sa limite. Car le film n’est ni plus ni moins qu’un remake (ou un hommage enamouré ?) au chef-d’oeuvre de Martin Scorsese. On pense également à “La Valse Des Pantins”, du même Scorsese, puisque Joaquin Phoenix semble reprendre le rôle de De Niro qui, lui-même, reprend dans “Joker” celui tenu par Jerry Lewis dans “La Valse...”. Au final, “Joker”, sous ses airs de film hollywoodi­en respectabl­e, a comme un arrière-goût de trip punk. “Joker” partageant, pour le coup, avec GG Allin cette furieuse envie, quasi purificatr­ice, de faire un gros doigt d’honneur à la société (actuelleme­nt en salles).

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