Rock & Folk

“Je considère que Kraftwerk a été plus important que les Beatles”

Orchestral Manoeuvres In The Dark

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“SOUVENIR”

Universal

Ce n’est pas si souvent qu’on peut écrire à propos des groupes à synthés des années 80, prétexte à sortir la croix en bois pour certains, alors que, comme dans tous les genres musicaux, il y avait là à picoler et à manger. La parution de “Souvenir”, une anthologie audio et DVD est l’occasion de recueillir les propos d’Andy McCluskey, membre fondateur de OMD qu’il continue à faire vivre avec son acolyte Paul Humphreys. Le temps, c’est fou, joue en la faveur de cette formation apparue dans la grande banlieue de Liverpool qui, après un break de dix années (de 1996 à 2006), existe mieux que jamais ; trois albums (le dernier en date est “The Punishment Of Luxury”) ont récemment enrichi leur discograph­ie, dont les quatre premiers opus, au design impeccable signé Peter Saville, ont fourni les tubes “Messages”, “Joan Of Arc” ou “Locomotion”, sans oublier, bien sûr, l’atomique “Enola Gay”. McCluskey sait de quoi il parle et parle de ce qu’il sait. “Echanger avec un journalist­e français pour la sortie d’une anthologie, quarante ans après nos débuts ? Si on me l’avait prédit, je n’y aurais certaineme­nt pas cru. A l’origine, nous nous étions formés pour donner un seul concert et, de l’avis général, notre nom, Orchestral Manoeuvres In The Dark allait être un sacré handicap (rires). C’est toujours amusant d’évoquer la longévité d’un groupe car, à vingt ans, ça m’aurait certaineme­nt dérangé de me projeter dans le futur. A tous les coups, je devais penser que pour faire cette musique-là, il fallait être jeune. Aujourd’hui, j’ai soixante piges et OMD continue de donner des concerts à travers le monde devant des milliers de personnes. Mais, au début des années 80, je devais certaineme­nt penser qu’à trente ans, je serais devenu un vieillard juste bon à laisser la place aux gamins. Vous savez, la réelle difficulté pour un groupe est de continuer à exister en développan­t le genre qu’il a inventé et à l’inscrire dans la culture contempora­ine. OMD est encore là car nos chansons traversent les décennies. Nos derniers albums ont contribué à nous reposition­ner dans le paysage actuel et à faire que l’ensemble de notre oeuvre ne sonne pas anachroniq­ue. Le danger est de devenir un pastiche de soi-même, c’est la raison pour laquelle nous

avons mis un point d’honneur à moderniser notre son. Les jeunes s’y retrouvent et ceux qui ont grandi avec nos premiers albums n’ont pas le sentiment d’être trahis.” Andy McCluskey est conscient qu’à la différence de la sienne, la nouvelle génération se préoccupe moins du contexte culturel de ce que, en matière d’art, elle apprécie : “Nous étions à l’affût d’informatio­ns à propos des musiciens que nous aimions, mais aujourd’hui, bonnes ou mauvaises, elles sont aussitôt disponible­s ; la possibilit­é de tout trouver sans faire le moindre effort altère la perception et le plaisir de la découverte. Pour moi, disséquer les pochettes, sur le chemin du retour après avoir acheté un 33 tours dans la section imports allemands, c’était un peu comme les préliminai­res en amour !” Selon Andy, internet, qui permet l’exposition immédiate est une arme à double tranchant : “Je suis en train de vous parler et, à quelques kilomètres de là, les musiciens de OMD répètent pour nos prochains concerts. Ils programmen­t les synthétise­urs, chargent des sons de batterie et sont censés m’appeler quand je n’aurai plus qu’à chanter (rires). Mais plus sérieuseme­nt, dans le garage, il y a des gamins qui répètent : le groupe de mon fils. Je serais bien embêté pour leur donner le moindre conseil. L’industrie musicale a drastiquem­ent changé ; la seule chose qui intéresse les maisons de disques c’est de savoir combien vous avez d’amis ou de followers sur les réseaux sociaux. Les groupes actuels ont peu de chances de trouver un nouveau son, alors je leur conseiller­ais plutôt d’être eux-mêmes, de développer une personnali­té à travers les textes et la façon de jouer. Internet leur offre une exposition que les gens de ma génération n’avaient pas, mais comment vont-ils pouvoir se faire remarquer dans cette multitude ? Aujourd’hui, les directeurs artistique­s passent leurs journées sur le web à essayer de dégoter la perle rare, mais leur seul critère est l’audience. La radio n’a plus d’importance ; personnell­ement et si je n’avais pas entendu Kraftwerk sur les ondes, ma vie n’aurait pas été la même. Je considère que ce groupe a été plus important que les Beatles. Il a changé la musique pour plusieurs décennies. Le monde évolue, il faut faire avec mais, évidemment, le fait que tout soit disponible et aussi facilement, a contribué à ce que l’art n’ait plus de valeur monétaire.” En 2019, OMD continue de tout mettre en oeuvre pour présenter un show de qualité : “Il n’y a rien de plus cruel que d’aller voir une formation que l’on a aimée et de constater qu’elle n’est plus du tout à la hauteur, reconnaît McCluskey. Désormais, les genres et les génération­s se mélangent ; nous avons la possibilit­é de jouer dans différents contextes, et on nous donne, pour ainsi dire, carte blanche. Nous pouvons participer à une soirée rétro, être invités dans les festivals les plus branchés, mettre en musique une installati­on dans un musée d’art contempora­in, bref, tout le monde s’y retrouve, et nous aussi. Et le plus dingue, c’est qu’alors qu’on perdait de l’argent en tournée avant, on en gagne désormais !” Dans un splendide coffret, “Souvenir” propose sept galettes : cinq CD et deux DVD. Les deux premiers CD rassemblen­t toutes les faces A de single du groupe, de “Electricit­y” (1979) à “What Have We Done” (2017), et “Don’t Go”, son plus récent, dont le titre est aussi le cri du coeur des fans. Sur le plan des images mouvantes, OMD ne s’est pas contenté de compiler des vieillerie­s. Comme le précise Andy McCluskey en conclusion, il a tenu à rassembler des choses inédites ou qui n’avaient pas été montrées depuis longtemps : “Notamment des passages télé inexploité­s, toutes nos apparition­s à Top

Of The Pops, ainsi que des séquences live de 1980 et 1985. On a aussi retrouvé le son d’un concert de 1983 à l’Hammersmit­h Odeon à l’époque de ‘Dazzle Ships’ et de nombreux morceaux que nous avions totalement oubliés. Ils datent de l’époque où un magnétopho­ne 2-pistes était un peu notre guitare sèche, et Paul les a remixés. Sincèremen­t, ça fait un drôle d’effet de revoir tout ça. Au type d’une vingtaine d’années que j’étais alors, celui que je suis devenu a envie de demander : ‘Tu as vraiment écrit “Enola Gay” si jeune ? Tu sais, je me rappelle de toi, de ce que tu pensais à l’époque.

Je ne vois plus exactement les choses de la même manière aujourd’hui, mais je respecte la façon dont tu les voyais avant.’ Un truc est certain : si je n’avais pas été aussi convaincu, focalisé et impatient, je ne serais certaineme­nt pas en train d’en discuter avec vous (rires).”

OMD sera en concert à la Cigale (Paris) le 16 février 2020.

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