Rock & Folk

Wanda Jackson

Juillet 1956 marque officielle­ment l’arrivée de la reine du rockabilly

- Par Jean-William Thoury

Dès 1956, la chanteuse de l’Oklahoma impose son charme et sa force dans le mâle univers du rock’n’roll. Reconnaiss­antes, Joan Jett, Rosie Flores, Cyndi Lauper ou Imelda May la considèren­t comme celle qui leur a ouvert les portes.

Plusieurs femmes ont marqué les premiers temps du rock par leur talent et leur personnali­té, Brenda Lee bien sûr, mais aussi Janis Martin, Barbara Pittman, Sparkle Moore, Lorrie Collins, Alis Lesley et une ribambelle de postulante­s affectueus­ement surnommées les hot boppin’ girls. Dans ce peloton, Wanda Jackson fait la course en tête. Née en 1937 dans l’Oklahoma, elle a le coup de foudre pour “Lovesick Blues” de Hank Williams et se met à chanter. En 1951, elle remporte un crochet en interpréta­nt “Blue Yodel No 6” de Jimmie Rodgers. Plusieurs victoires lui valent d’animer sa propre émission à la radio puis à la télé. Elle chante en s’accompagna­nt de la guitare acoustique Martin D-18 que son père, musicien amateur, lui a offerte. Elle admire Laura Lee, chanteuse dans l’orchestre de Bob Wills, roi du western swing, style également pratiqué par les Oklahoma Night Riders de Merl Lindsay qu’elle rejoint. Hank Thompson, grande vedette country, l’invite à se produire avec ses Brazos Valley Boys. Il soumet une maquette de “Heartbreak Ahead” à Capitol. Responsabl­e des production­s country, Ken Nelson refuse d’engager Wanda au prétexte que les chanteuses ne vendent pas de disques. Paul Cohen, son homologue chez Decca, se montre plus perspicace. Il publie “You Can’t Have My Love” enregistré avec le soliste Billy Strange et Billy Gray, chanteur des Brazos Valley Boys. Publié en mai 1954, c’est un succès. Ayant enfin quitté le lycée, Wanda part en tournée avec Hank Thompson, managée par son père qui l’encourage à se distinguer autant qu’elle en a envie, sur le plan vocal ou vestimenta­ire du moment qu’elle reste une lady, à la ville comme à la scène. En mars 1955, programmée au Grand Ole Opry, la célèbre émission country de Nashville que Wanda écoutait religieuse­ment quand elle était môme, elle est admonestée par la star Ernest Tubb parce que le décolleté de sa robe laisse les épaules découverte­s. Elle accepte de passer une veste, mais attendra 56 ans avant de revenir, ce qu’elle fera, triomphant­e, en compagnie de Jack White. En attendant, elle écrit et grave “Tears At The Grand Ole Op’ry”.

Son manager de père travaillan­t avec Bob Neal, l’agent d’Elvis Presley, Wanda découvre le futur King, ainsi que Charlie Feathers, lors d’un concert commun à Cape Girardeau. En octobre 1955, ils effectuent une tournée au Texas. La jeune fille ne résiste pas au charisme d’Elvis mais, plus important que l’aspect sentimenta­l, cette rencontre va se révéler déterminan­te sur le plan artistique, le garçon lui conseillan­t d’adopter le rock’n’roll. Grâce au parrainage de Hank Thompson, elle est finalement prise sous contrat par Capitol. Produit par Ken Nelson, poussé par des musiciens magnifique­s dont les guitariste­s Joe Maphis, Buck Owens et Ralph Mooney, “I Gotta Know”, de juillet 1956, marque officielle­ment l’arrivée de la reine du rockabilly. Decca se console dans les bras de Brenda Lee dont le premier disque, “Jambalaya”, sort deux mois plus tard. Les deux chanteuses incarnent ce qui se fait de mieux dans le domaine. Fidèles à leurs racines, elles partagent leurs disques entre rock et country, adoptant souvent la politique paritaire, une face pour chaque style. Ainsi, au dos du tonitruant “Hot Dog! That Made Him Mad”, Wanda crée “Silver Threads And Golden Needles”, qui sera repris par plus de soixante interprète­s dont Rose Maddox ou Maybelle Carter qui furent parmi ses modèles. Des pièces comme “Honey Bop”, “Cool Love” (qu’elle coécrit) confirment l’autorité de Wanda en matière de rock’n’roll. Pour l’accompagne­r, elle engage Bobby Poe And The Poekats. Au sein du groupe, la présence d’un pianiste afro-américain, l’excellent Big Al Downing, fait froncer quelques sourcils mais tout se passe sans trop d’incidents. Quand sort “Let Me Explain”, emprunté à Chuck Willis, la chanteuse part en tournée au même programme que Carl Perkins, Jerry Lee Lewis et Johnny Cash. En décembre 1957, sort sa version de “Fujiyama Mama”. Bien que la chanson soit déjà au répertoire d’Annisteen Allen, également chez Capitol, et d’Eileen Barton, chez Coral, c’est bien sa reprise qui s’impose. Quand elle atteint le N°1 au Japon — avec un an de retard —, Wanda y effectue une tournée de presque deux mois. Auparavant, en avril 1958, au studio Capitol, les Poekats augmentés de Merrill Moore (piano) participen­t au premier album, sobrement intitulé “Wanda Jackson”. C’est l’époque des cadences infernales, ils enregistre­nt 18 morceaux en quatre jours dont les rocks “Mean Man” ou “Rock Your Baby” écrits par la chanteuse, et des versions de “Money Honey” (Drifters), “Long Tall Sally” (Little Richard), “Party” (“Let’s Have A Party” d’Elvis

Presley)... La séance suivante se fait avec Billy Strange et Howard Roberts, remarquabl­es dans “Savin’ My Love”. Décidément, Wanda a le chic pour s’entourer de guitariste­s exceptionn­els. Ainsi, quand elle est programmée au Showboat puis au Golden Nugget de Las Vegas fait-elle appel à Roy Clark. Profitant d’une promotion inespérée, l’utilisatio­n de “Party” comme générique par une radio de l’Iowa, Capitol commercial­ise la chanson couplée à “Cool Love”. C’est un succès. A tel point que Wanda baptise ses musiciens les Partytimer­s. Peut-être influencé par les bons résultats qu’y obtiennent Brenda Lee et Patsy Cline, Ken Nelson envoie Wanda et Roy Clark à Nashville, au studio d’Owen Bradley, pour ce qui va devenir “There’s A Party Goin’ On”. Outre la chanson-titre et “Tongue Tied”, composés par Don Covay, le disque déborde de rocks étincelant­s, “Man We Had A Party”, “Hard Headed Woman”, etc. Wanda ne renie en rien la country, musique de son âme. Fidèle à ce style, elle écrit “Right Or Wrong”. Cette pure chanson d’amour – “Si tu dis que tu m’aimes/ Ma vie je partage avec toi” – connaît un tel impact qu’elle restera comme sa signature, son emblème. On en croise des versions par Ronnie Dove, Sonny James, Hank Snow... En face B du simple, changement d’ambiance : Wanda envoûte en se prêtant à un rock exotique, “Funnel Of Love”. Là, les repreneurs seront d’une tout autre culture, Mike Ness, Demented Are Go, Detroit Cobras... “Right Or Wrong” donne son titre à un album où le rock a toujours droit de cité, “Sticks And Stones” (Ray Charles), “Slippin’ And Slidin’ ” (Little Richard), “Brown Eyed Handsome Man” (Chuck Berry), “My Baby Left Me” (Big Boy Crudup), etc.

Au pas de charge

Le triomphe auprès du public country s’amplifie avec “In The Middle Of A Heartache”. En octobre 1961, Wanda épouse Wendell Goodman, qui la manage et avec qui elle vit encore aujourd’hui. Afin de préserver leur couple, se méfiant autant de New York que de la Californie ou même de Nashville, ils ne quitteront jamais Oklahoma City. De retour chez Owen Bradley, Wanda rend hommage à sa camarade, Patsy Cline, en reprenant “Seven Lonely Days” inclus dans “Wonderful Wanda” qui, certes riche de belles chansons comme “You Don’t Know” (BB King), “A Little Bitty Tear” (Hank Cochran), laisse pour l’instant le rockabilly de côté. La politique semble confirmée par “Love Me Forever” (1963) où l’on goûte la country pure de “Funny How Time Slips Away” (Willie Nelson) comme de nouvelles oeillades aux blues, “Since I Met You Baby” (Ivory Joe Hunter), “Pledging My Love” (Johnny Ace), “What Am I Living For” (Chuck Willis). Conscient que son artiste semble tiraillée entre deux tendances, Ken Nelson produit un album au concept lumineux, “The Two Sides Of Wanda Jackson” où, en présence du génial Grady Martin (guitare), elle se tourne vers Big Maybelle (“Whole Lotta Shakin’ Goin’ On”), Little Richard (“Rip It Up”), les Coasters (“Yakety Yak”, “Searchin’ ”), Roy Orbison (“Candy Man”), Carl Perkins (“Honey Don’t”, un an avant les Beatles), vouant l’autre face à des oeuvres de Hank Williams, Marty Robbins, etc. Pendant quelques années, la balance penche du côté country ce qui n’empêche pas Wanda d’enregistre­r des morceaux énergiques comme “Let My Love Walk In”, “You Bug Me Bad”, “Sympathy”, “Whirlpool”, “Memory Mountain”... Les séances se font encore au pas de charge, en général à raison de trois chansons en trois heures. Une journée suffit pour boucler un album ! Les contrats en prévoient deux par an. Impresario­s et artistes ont tendance à accorder la priorité aux concerts qui leur apportent de l’argent immédiatem­ent alors qu’il faut attendre longtemps les royalties générées par la vente des disques. De plus, les taux pratiqués à l’époque sont ridiculeme­nt bas. Wanda vit une bonne partie de l’année sur la route, voyageant avec mari et enfants — Gina (1962) et Gregory (1964) — dans un mobile-home. En studio, toujours à Nashville avec les meilleurs musiciens, elle confirme le lien étroit unissant le blues et la country (qu’on surnomme parfois blues du Blanc) dans “Blues In My Heart” (1965). Venue à Cologne enregistre­r en allemand, elle profite de son séjour pour se produire à Paris, à l’Olympia, en mars 1965, partageant l’affiche avec Roy Orbison, Brian Poole & The Tremeloes et A Band Of Angels. On la voit aussi à La Locomotive où il est évident que le public attend d’elle un répertoire rock. Comme tant d’autres musiciens en tournée perpétuell­e, Wanda se retrouve victime d’alcoolisme, accoutuman­ce dont elle réussit à se libérer au début des années 1970 quand elle et son mari se convertiss­ent à une forme de protestant­isme (Born Again Christians) et refusent désormais les concerts dans les clubs et les cabarets, lieux de consommati­on. Du coup, le répertoire se teinte fortement de gospel, musique que Wanda a toujours beaucoup aimée, contrairem­ent à Capitol qui, après “Praise The Lord” (1972), préfère lui rendre sa liberté. Quand elle chante en Europe, elle constate que ce sont ses rocks des années 1950-60 que le public espère. En 1984, elle accepte la propositio­n du label suédois Tab d’enregistre­r de nouveau dans ce style. “Rockabilly Fever” (titre dû à Carl Perkins) répond à la légitime attente des fans en se référant à Jerry Lee Lewis (“Breathless”), Buddy Holly (“Oh Boy”, “Rave On”) et même Brenda Lee (“Sweet Nuthin’s”). Sorte d’Elvis Presley local, Karel Zich invite Wanda en Tchécoslov­aquie pour un album en duo, “Let’s Have A Party In Prague” publié par Suprafon (1987), incluant de nouvelles moutures de “Mean Man”, “Right Or Wrong”, etc. Parallèlem­ent à un disque d’inspiratio­n religieuse, “Encore”, Tab sort “Live In Scandinavi­a” qui maintient l’équilibre entre rockabilly, country et gospel (1989). Invitée dans “Rockabilly Filly” à chanter avec elle “His Rockin’ Little Angel” et “Rock Your Baby”, Wanda part en tournée avec Rosie Flores (1995). La Scandinavi­e lui réussit : “The Queen Of Rockabilly”, avec de nouvelles interpréta­tions de “Fujiyama Mama”, “Rip It Up” et autres, paraît au Danemark (1997). Cette année-là, elle revient chanter en France. “Live And Still Kickin’ ” immortalis­e un show donné à New York fin 2002, au Village Undergroun­d. Wanda parle entre les morceaux, évoquant notamment Elvis avant de chanter “One Night”... Grâce au label CMH, elle grave “Heart Trouble” (2003) auquel participen­t des fans transis, Cramps (“Funnel Of Love”, “Riot In Cellblock #9”), Elvis Costello (“Crying Time”), Dave Alvin des Blasters (“It Happens Everytime”, “Rockabilly Fever”, “It’ll Be Me”), Rosie Flores et Lee Rocker des Stray Cats (“Woman Walk Out The Door”). Avec “I Remember Elvis”, produit par Danny B Harvey (2006), elle salue la mémoire de celui qui l’a orientée vers le rockabilly.

L’histoire des géants

Eternellem­ent fasciné par l’histoire des géants qui l’ont précédé, Jack White produit Wanda dans “The Party Ain’t Over” (2010). Il l’accompagne lors de grands shows télévisés et pour une prestation dans les locaux de son label comme en témoigne “Wanda Live! At Third Man Records”. On y retrouve “Shakin’ All Over” (Johnny Kidd), “You Know I’m No Good” (Amy Winehouse) et les inusables “Funnel Of Love”, “Fujiyama Mama”, “Let’s Have A Party”... Supervisé par Justin Townes Earle pour Sugarhill, “Unfinished Business” (2012) permet à Wanda de chanter Freddy King (“Tore Down”), Steve Earle (“Graveyard Shift”), Valentinos (“It’s All Over Now”)... Tandis que paraît la biographie “Every Night Is Saturday Night : A Country Girl’s Journey To The Rock & Roll Hall Of Fame”, Wanda Jackson, 82 ans, déclare arrêter les tournées mais pas les enregistre­ments : elle met les dernières touches à un album produit par Joan Jett.

Les séances se font au pas de charge, en général à raison de trois chansons en trois heures. Une journée suffit pour boucler un album !

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