BANDIT BANDIT
Maëva et Hugo, deux Montpelliérains récemment installés à Lyon, sortent leur premier EP, réussite mêlant sensualité pop acidulée et sauvagerie rock’n’roll. Rencontre à Pigalle, Babel gentrifiée du stupre.
Prospect
FUT UNE EPOQUE OU LA NUIT grouillait de lieux enfumés propices aux rencontres, aux étreintes. Les toxiques participaient du rapprochement des âmes esseulées en quête d’altérité. La nôtre a inventé les services à domicile et le monde est bousillé, rempli de business plans. Et baiser, c’est encore sacrifier aux injonctions de la société de consommation. “Pour tout dire, on s’est rencontrés sur Tinder.
Nos débuts ont été particulièrement passionnés, on se faisait du mal, on buvait beaucoup, c’était assez dingue. Et on est tombés amoureux, ce qu’on ne voulait pas spécialement...”
Heureusement, la spirale descendante, fût-elle gorgée de libido, dans le cas d’Hugo et Maëva, a évolué vers autre chose. A l’unisson : “On s’écrivait des chansons d’amour, on s’envoyait des vidéos, c’est parti comme ça.” En clair, Maëva et Hugo sont passés de l’humidité douceâtre de leur lit au traitement de texte, des plateformes de rencontres au studio, et du studio à la scène trouvant-là de quoi donner une forme nouvelle à leurs expériences érotiques. En sort cet EP de cinq titres : une collection de digressions jubilatoires sur les turpitudes d’Eros, balancées avec une sensualité torride en mode talk over.
Ce qui n’aurait guère été si simple sans l’intervention providentielle d’un troisième larron. Maëva : “Je travaillais pour un magazine et devais couvrir le Printemps de Bourges, il y a deux ans. Je pars en covoiturage et mets la musique de mon iPod en mode shuffle. A un moment, passe une de nos démos ; là, alors que j’étais à moitié endormie, le type me dit : ‘Putain, c’est quoi ça, c’est vachement cool !’ Je me réveille, lui réponds que c’est une de nos maquettes... En fait, j’étais avec notre futur manager !”
Belle mauvaise idée
Finis les jeux de l’amour et du hasard, le couple devient un groupe. Hugo :
“La pire idée du monde : faire un groupe avec sa copine ! Mais c’était plus fort que nous. Disons, une belle mauvaise idée...”
Hugo prend alors ses distances avec son premier projet, Kursed, incite Maëva à continuer à écrire des chansons qu’il arrange et met en musique. Tout s’accélère. En 2018, le manager les envoie en studio, à peine prêts. Eux n’ont que des titres en anglais et un seul en français, “Maux”, qui fait mouche. “Je savais qu’il fallait écrire en français, mais je n’osais pas, on avait peur, on mettait le français sur un piédestal. On écoute Bashung, Gainsbourg... On cherchait, on n’était pas confiant. ‘Maux’ nous a complètement déverrouillés.”
Effectivement, la langue de Molière sonne, grâce au lexique érotique, évidemment. Côté esthétique, on est flanqués dans des territoires interlopes où se télescopent les pesanteurs languides des Black Angels, les moiteurs toxiques des Raveonettes (“Maux”), les pactes nocturnes SM version The Kills (“Fever”) ou les ralentis postcoïtum en mode cold wave dont le riff synthétique évoque les rêveries coupables d’un Martin Gore (“Never Know”). Une dernière question sur les phares qui ont aidé ce premier engendrement. Hugo : “Tous nos héros sont morts. Kurt Cobain, par exemple. Mais, ce qui a nous nourri, au début des années 2000, c’est Jack White, Josh Homme, les Strokes. Tout ça, j’adore. Le choc décisif, c’est ‘Songs For The Deaf’ des Queens Of The Stone Age.” Maëva : “Moi, c’est ‘Elephant’ des White Stripes. Le grand dépucelage. Et du côté des femmes du rock, hormis Courtney Love ou L7 que j’adore, celle que j’aimerais rencontrer et remercier, c’est Catherine Ringer. Elle et Chichin, c’était le couple idyllique.”
De beaux draps...
ALEXANDRE BRETON EP “Bandit Bandit” (Ditto Music)
“On s’est rencontrés sur Tinder”