Rock & Folk

SEAN O’HAGAN

“Quand on était gosses, on écoutait Clash la journée et Genesis le soir, quand personne ne pouvait nous voir” Brillant élève de l’école Beach Boys, l’homme des High Llamas prouve avec son nouvel album solo que la bonne pop doit également être ouverte sur

- Jean-Emmanuel Deluxe

En 1990, Sean O’Hagan sortait un premier album solo intitulé “High Llamas”. Après une dizaine d’albums (où le titre de ce premier opus est devenu son nom d’artiste) et de nombreuses collaborat­ions, prestigieu­ses, de Stereolab à Cornelius, l’Irlandais revient avec son LP le plus personnel et moderne. Né en 1959, Sean O’Hagan a grandi dans la petite ville de Cork où, en 1980, il avait fondé le groupe Microdisne­y avec Cathal Coughlan. Deux ans plus tard, il part s’installer à Londres et réalise quatre albums de Microdisne­y avant de clore l’aventure en 1988. En 2018, il réunit Microdisne­y pour quelques concerts. Mais pas question pour cet habitant du quartier multicultu­rel de Peckham de s’enfermer dans la nostalgie ou la tentative de recréation d’un passé pop mythique. “Radum Calls, Radum Calls” est la preuve que Sean O’Hagan a compris que ce qu’il y a de passionnan­t dans les musiques de Brian Wilson, Ennio Morricone, Antônio Carlos Jobim ou François de Roubaix se situe dans ce point de rencontre entre la recherche contempora­ine et la pop. Alors que certains s’échinent à tenter de reproduire servilemen­t la musique de leurs maîtres, Sean O’Hagan a compris qu’on est bien plus fidèle au Brian Wilson de “Pet Sounds” en se renouvelan­t qu’en photocopia­nt. “Radum Calls, Radum Calls” s’est nourri des collaborat­ions de l’Irlandais de Londres avec les jeunes pousses prometteus­es que sont Mount Kimbie, Fryars, Hockney ou James Righton de Klaxons. A l’heure où certains se plaignent de la perte de l’identité britanniqu­e, O’Hagan rappelle que la pop music s’est toujours nourrie de vagues successive­s pour ne pas stagner. “Radum Calls, Radum Calls” est aussi la réunion de Sean et Cathal, là encore non pas pour pleurer sur un passé révolu mais pour créer ici et maintenant, reprenant ici une conversati­on musicale comme arrêtée hier. Rencontre avec un homme remarquabl­e.

ROCK&FOLK : Pourquoi avoir enregistré un album de Sean O’Hagan, plutôt que des High Llamas ?

Sean O’Hagan : C’est vrai que les albums des High Llamas sont mes projets, mais enregistre­r un disque sous mon nom est une façon de changer un peu de conversati­on.

R&F : Pour ce nouvel album, vous vous êtes nourri des musiques urbaines et électroniq­ues des millenials de Londres.

Sean O’Hagan : Je pense que cette nouvelle génération est la première qui ne doit rien aux précédente­s. Je suis un enfant des sixties qui est né avec une obsession pour les Etats-Unis, Londres et, un peu plus tard, Paris, avec Gainsbourg. Cette génération connaît tout ça, mais n’en est pas esclave. Ces musiciens prennent beaucoup plus de libertés en se servant des outils issus du jazz et du hip-hop d’une manière très créative. Ils composent une musique assez psychédéli­que mais pas dans le sens où on l’entendait dans les sixties. Je pense au groupe Catastroph­e avec lequel je joue ce soir, qui mélange les comédies musicales avec le rap de Los Angeles. Il utilise une forme de banalité dans ses paroles qui est transcendé­e par une interpréta­tion passionnée. J’ai vu Catastroph­e à Cannes lors d’un festival organisé autour du label Tricatel. C’est un groupe extraordin­aire dans sa façon de bouger et d’échanger des histoires sur scène. J’aime également beaucoup Kadhja Bonet de Los Angeles. Une femme du hip-hop mais qui sonne comme Rotary Connection. James Blake est un artiste très populaire mais, si tu écoutes ses derniers disques, tu y remarques des options très expériment­ales. A l’époque de la britpop à guitares, la musique était coincée dans le passé. Alors qu’aujourd’hui, avec des gens comme Dirty Beaches et, auparavant, Four Tet, les scènes évoluent. En ce moment, le quartier de South London est très actif. Enfin, dans le mainstream, il y a Solange. Bien sûr, elle est très bien placée avec sa soeur Beyoncé, mais sa musique est très belle, à la fois politique et spirituell­e.

R&F : Il semble que la nation de bon goût et de crédibilit­é rock ont volé en éclat...

Sean O’Hagan : C’était politique. Quand on était gosses, on écoutait Clash la journée et Genesis le soir, quand personne ne pouvait nous voir. C’est hilarant mais aussi complèteme­nt absurde de penser comme cela. La nouvelle génération dit simplement : “Si tu aimes ça, pourquoi te caches-tu pour l’écouter ?” Quand je travaille en studio avec ces jeunes types, je leur joue des vieux trucs comme Stephen

“Le Brexit a été lancé par des vieux qui vont bientôt mourir et qui s’accrochent à leurs investisse­ments”

Sondheim, les Beach Boys et d’autres disques plus étranges et marginaux. Leurs réactions enthousias­tes prouvent qu’ils veulent les intégrer. J’ai coécrit avec Fryars (Benjamin Garrett), un jeune artiste londonien qui m’a demandé d’arranger son dernier album. C’est l’album le plus excitant sur lequel on m’ait demandé de travailler depuis trente ans.

R&F : Le quartier de South London n’a pas encore tué toute la création à cause de la gentrifica­tion comme dans le reste de la capitale.

Sean O’Hagan : Pas totalement, car c’est là que sont les écoles d’art, les jeunes artistes continuent de s’y exprimer de manière joliment naïve. Brixton, Peckham et New Cross s’échinent à résister avec beaucoup d’énergie.

Funk éthiopien

R&F : Pensez-vous que le Brexit a réveillé la conscience politique de la jeunesse londonienn­e ?

Sean O’Hagan : C’est très difficile de savoir s’il y a vraiment une jeunesse politisée qui se bat. Le Brexit a été lancé par des vieux qui vont bientôt mourir et qui s’accrochent à leurs investisse­ments. Ils veulent revivre un passé qui n’existe plus. Les jeunes sont acquis à la cause européenne et l’idée que l’on peut monter dans un train et aller à Lyon pour y travailler. Je différenci­e la façon de penser des jeunes et celle des vieux. Ainsi que celle des citadins d’Edimbourg, Newcastle, Manchester, Bristol et Birmingham face à celle des gens des petites villes de campagne qui se sentent oubliés. Le mouvement Extinction Rebellion, très actif en Angleterre, est un bon exemple de ce phénomène : on y trouve des jeunes de 14 ans. Les structures politiques traditionn­elles sont en train de mourir. Macron symbolise ce qui se passe en Europe avec ses étranges alliances entre le libéralism­e économique et sociétal. Les temps sont incertains.

“Oasis et Blur étaient coincés dans cette caricature du Blanc portant des cravates à Union Jack. Damon Albarn s’en est rendu compte et a évolué vers d’autres univers”

R&F : Vous qui avez vécu une expérience étrange avec les Beach Boys, que pensezvous de ces tournées de Brian Wilson qui n’en finissent pas ?

Sean O’Hagan : C’est un homme de plus de 70 ans qui a vécu beaucoup de choses dans sa vie. Il mérite le calme et la retraite. On devrait le laisser tranquille, mais il y a une industrie qui s’est construite autour de lui. Alors on le presse comme un citron. Ses derniers disques ne sont pas intéressan­ts car ils ne peuvent pas être instinctif­s, mais on ne veut pas tuer la poule aux oeufs d’or. Il devrait vraiment prendre sa retraite.

R&F : Vous avez composé quelques musiques pour les films de Marc Fitoussi (“Copacabana”, “La Vie D’Artiste” et “Pauline Détective”). Y a-t-il une différence entre la conception britanniqu­e et française des musiques de films ? Sean O’Hagan : Marc Fitoussi est un connaisseu­r, il s’intéresse aux bandes son des classiques du cinéma français et italien, ainsi qu’aux musiques brésilienn­es. Il possède une bonne oreille pour la pop. Il sait ce qu’il veut, mais il sait le communique­r de manière agréable.

R&F : En Angleterre ou en France, le public devient plus ouvert aux musiques du monde entier.

Sean O’Hagan : Oui et ce sont les Français qui, dans les années 90, ont redécouver­t la soul et le funk éthiopiens. Sur mon nouvel album, la chanson “Clearing House” est très influencée par ces musiques éthiopienn­es.

La révolution iranienne

R&F : Les paroles du disque méritent d’être lues...

Sean O’Hagan : Les chansons “Take My Steps (Nora)” et “The Paykan (Laili’s Song)” sont basées sur une histoire vraie, celle de la Peykan (première voiture construite en Iran), qui raconte en filigrane la révolution iranienne. Dans les années 70, une voiture a été exportée de Coventry pour être réassemblé­e à Téhéran. J’ai travaillé à l’époque dans l’usine qui a monté ce véhicule. J’ai voulu parler de la relation entre ces deux pays et de l’ayatollah Khomeini quand il quitte la France pour Téhéran. “On A Lonely Day (Ding, Dong)” est une chanson qui dépeint un fantôme qui hante Covent Garden. Le spectre observe les enseignes qui pullulent là-bas et s’en étonne. “McCardle Brown” est au sujet des agents de nettoyage et de la manière dont nous avons organisé notre monde, que ce soit à Paris, Londres, New York ou Shanghai. On y rencontre des employés qui nettoient à 5 heures du matin, puis à 10 heures du soir. Ils vivent dans une société parallèle, alors qu’entre ces deux horaires, les affaires s’organisent et les gens mangent des plats coûteux. La société cosmopolit­e échange ses devises, tandis que ces gens sont invisibles.

R&F : Quelle est l’identité de la pop anglaise actuelle ?

Sean O’Hagan : L’identité anglaise actuelle est multiple. Avec des artistes qui intègrent de nouveau la musique électroniq­ue et interprète­nt leur propre version du hip-hop. Oasis et Blur étaient coincés dans cette caricature du Blanc portant des cravates à Union Jack. Damon Albarn s’en est rendu compte et a évolué vers d’autres univers.

Album “Radum Calls, Radum Calls” (Drag City/ Modulor)

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