Rock & Folk

JOSH HOMME

Seize ans après le précédent épisode, le leader des Queens Of The Stone Age sort les volumes 11 et 12 des “Desert Sessions”, nouvelles orgies sonores enregistré­es entre amis à Joshua Tree.

- Jonathan Hume

IL EST DIX HEURES DU MATIN A BURBANK, banlieue qui surplombe Los Angeles. A l’angle désert entre deux avenues résidentie­lles trône un bâtiment de plain-pied, anonyme et pas très engageant. Y aurait-il erreur sur l’adresse ? Est-ce bien le studio d’enregistre­ment du leader des Queens Of The Stone Age ? Le ronronneme­nt puissant d’un SUV noir vient confirmer que oui. La vitre s’abaisse, c’est Josh Homme. “Bonjour, monsieur. Entrez s’il vous plaît !” lance-t-il en français, laissant apparaître le sourire d’un type dont on ne sait s’il souhaite serrer son interlocut­eur dans les bras ou le dévorer tout cru. Mais Josh Homme sait très vite mettre à l’aise. Il réquisitio­nne notre aide pour préparer le café, improvise une visite du studio, parle de ses enfants, de sa compagne Brody Dalle en tournée avec ses Distillers. Aucune trace d’un manager, d’un représenta­nt de label, nous sommes seuls, affalés dans un gigantesqu­e canapé face à une table de mixage imposante, comme un autel sacré. On distingue à sa surface des morceaux de scotch sur lesquels apparaisse­nt des surnoms dont on devine aisément l’identité (à moins qu’il ne s’agisse d’un autre Dave ?). La conversati­on démarre sur les nouvelles “Desert Sessions”, enregistré­es il y a quelques mois au légendaire studio Rancho de la Luna, et sur le défi de créer une oeuvre cohérente avec une douzaine de musiciens qui ne se connaissen­t pas.

Josh Homme : Je ne cherche pas la perfection. La perfection implique une absence de collision. Or, tout vient de là. C’est comme ça qu’on baise, c’est comme ça qu’on fait des enfants : la collision, la friction. Tu t’attends à la perfection de la part de la justice, par exemple, mais pas de la musique. La perfection, c’est chiant, c’est Pro Tools et les logiciels qui te permettent de gommer toutes les erreurs. Ça rend la musique vide.

“Je ne cherche pas la perfection. La perfection implique une absence de collision”

ROCK&FOLK : Vous croyez à un pouvoir supérieur de la musique ?

Josh Homme : Absolument.

R&F : Et vous pensez que ce pouvoir peut-être maîtrisé ou, au contraire, que sa volonté nous dépasse ?

Josh Homme : Ce que je pense, c’est que tout ce qui nous entoure possède une fréquence. La musique de l’eau, de la glace, c’est enivrant. Je ne sais pas si tu as déjà entendu ces enregistre­ments du son des criquets passés au ralenti. C’est complèteme­nt hypnotique. Les pulsations, les vibrations, c’est déjà de la musique en soi. En tant que musicien, ce que je me dis c’est : “Je vais prendre ces criquets et je vais y ajouter cette glace et ça va créer quelque chose de massif.” Les Français sont des poètes mais, à mon sens, les mots ne suffisent parfois plus à décrire certaines choses. Par exemple, je ne peux pas te dire à quel point j’aime mes enfants mais, en revanche, je peux jouer quelque chose qui se rapproche vraiment de cet amour. C’est pareil pour le désespoir. Je le joue largement mieux que je n’en parle. Et quelqu’un qui ne parle pas le même langage que moi comprendra parfaiteme­nt la significat­ion de ce que je joue.

R&F : Vous écrivez beaucoup à propos des choses qui vous effraient.

Josh Homme : Oui. Auparavant, j’avais tendance à dire que mes paroles n’avaient aucune significat­ion, ce qui est totalement faux. J’avais juste peur de parler de mes sentiments. On chante à propos des choses qui nous effraient car c’est une manière de leur faire face tout en étant en sécurité. Mais l’anglais est un langage sans lois, qui a emprunté à toutes les autres langues pour se construire. Il permet de faire ce qu’on veut avec les mots. C’est quelque chose qui me plaît beaucoup, qui m’a toujours plu : jouer avec les mots.

R&F : Il s’est passé énormément de temps depuis les précédents volumes des “Desert Sessions”. Comment vous êtes-vous senti en renouant avec cette manière si particuliè­re de faire un disque ? Josh Homme : J’avais besoin de recharger mes batteries artistique­s. De me concentrer sur des choses positives afin d’arrêter de broyer du noir.

R&F : Et ça a fonctionné ?

Josh Homme : Ça fonctionne à chaque fois. Même si au début c’était un peu stressant. Il fallait trouver l’alchimie entre tous les participan­ts. Et puis, depuis le temps, il y a des choses qui me revenaient mais d’autres que j’avais oubliées. On est arrivé sans vraiment d’idées de chansons, ce qui peut paraître effrayant, mais je me suis dit que c’était pour une bonne raison. Et ça l’était car, finalement, chaque morceau a été travaillé en détail, beaucoup plus que sur les précédente­s “Desert Sessions”. Ce qui nous donne un album plus court, certes, mais aussi plus... haut. Tu vois ce que je veux dire ? Plus dense.

R&F : Certains morceaux sont très surprenant­s. Entendre Billy Gibbons de ZZ Top chanter en voix de fausset sur une rythmique électroniq­ue en ouverture d’un album, c’est inattendu. Josh Homme : Un titre comme “Move Together” est parfait pour entamer un album. Tu penses que tu sais où ça va aller et tu te trompes.

Mais c’est plaisant. Plaisant et mystérieux. Une fois que tu as terminé les trois premiers morceaux de l’album, impossible que tu puisses prédire ce qui va arriver ensuite.

R&F : Qui pourrait prédire un morceau aussi délirant que “Chic Tweetz” ? On dirait un instrument­al de Bowie période “Low” sur lequel un finlandais aviné aurait décidé de rapper maladroite­ment.

Josh Homme : Dans les “Desert Sessions”, il y a toujours eu une bonne blague. Ça permet de ne pas être trop prétentieu­x, de toujours garder les pieds sur terre, il est important et nécessaire de se laisser aller à des actes de stupidité volontaire. De stupidité artistique. Et ce que j’ai appris au fil du temps, c’est que pour qu’une telle entreprise d’idiotie fonctionne, elle doit être à la fois entraînant­e et énervante. “Chic Tweetz” sonne comme une chanson d’enfant, interprété­e par quelqu’un qui n’a aucune notion de la musique. Et très honnêtemen­t, c’est la chanson qui a fait le plus parler dans mon entourage. J’ai au moins cinq potes qui m’ont demandé si je pouvais leur envoyer juste ce morceau-là.

R&F : Les femmes sur ce disque sont toutes remarquabl­es. Stella Mozgawa et Carla Azar, respective­ments batteuses de Warpaint et de Jack White, sont incroyable­s.

Josh Homme : Je suis content que tu ne mentionnes pas les femmes dans le but de dire : “Wow, vous avez vu, il y a des femmes !”, alors qu’il y en a toujours eu dans les “Desert Sessions”. Moi, je m’en fous que tu sois une femme ou que tu sois gay, ou qu’il te manque un bras. Tout ce qui m’importe ce sont les capacités artistique­s. En effet, les parties de batteries que Stella et Carla ont apportées à cet album sont absolument géniales. Je suis un véritable obsédé de la batterie. Je prétends être batteur moi-même. Et je pense que tout le monde se foutra de ton jeu de batterie à moins qu’il ne soit hyper expressif, comme le son d’une vieille personne qui tombe d’un escalier. Remplir l’espace ne sert à rien. Stella, je savais qu’elle était une bonne batteuse mais en réalité ça dépassait même le cadre de la batterie. Quoi qu’elle fasse avec ce qui lui tombait sous la main, c’était toujours quelque chose de vital pour le morceau. Elle est prête à tout. Et puis il y a Carla. De tous les batteurs et batteuses avec lesquels j’ai joué, elle est tout en haut, c’est peut-être même la meilleure de tous. Elle a une musicalité dingue. Une fois qu’elle a compris la personnali­té, l’atmosphère d’une chanson, elle joue son truc en marge de ça. A chaque fois c’est différent et pourtant c’est toujours dans le mille. Son jeu à beaucoup de goût, c’est très élégant. Si j’étais un vrai bon batteur, je voudrais sonner comme elle. Un titre comme “Easier Said Than Done” partait d’une idée à moi. Ce que fait Carla, c’est brosser le truc, lui apporter du lustre. Elle l’embellit avec un arrangemen­t cristallin parfait qui rend tout moderne. Ce sont des petits riens sans lesquels le morceau serait moins bon. Chaque chanson doit être soignée, sinon ça n’a pas de sens. Ouais, Stella et Carla m’ont vraiment impression­né.

Le serpent à sonnettes

R&F : Et, bien entendu, il y a Libby Grace, qu’on ne connaissai­t absolument pas et qui chante “If You Run”, le titre qui sent le plus le désert de tout l’album.

Josh Homme : Elle n’a jamais rien enregistré avant ça. C’est la femme d’un de mes meilleurs amis. Son histoire rappelle un peu celle de Loretta Lynn. Elle est texane, de l’ouest du Texas. Elle aime la country. Jusqu’à il y a un an, je ne savais pas qu’elle savait chanter. Elle jouait et chantait toute seule chez elle mais a toujours eu cette peur de la scène et de ne pas savoir par où commencer pour faire carrière. Elle écrit pourtant des chansons que je n’arrive pas à me sortir de la tête. Je lui ai donc fait enregistre­r quelques démos, il faut que je finisse de les mixer.

Pour les “Desert Sessions” je pense que c’est important d’avoir quelqu’un de frais. Qui n’a rien fait ou qui est inconnu.

R&F : “If You Run” faisait partie de ses compositio­ns ? Josh Homme : Oui. Et la raison pour laquelle j’ai choisi “If You Run” c’est qu’elle n’était pas terminée. Je lui ai dit qu’on allait pervertir cette ballade country folk. Je pense que vous allez entendre parler d’elle. Une fois qu’on a goûté à la saveur d’un enregistre­ment comme celui-ci, qu’on a côtoyé tous ces musiciens et senti leur bonheur de jouer ensemble, c’est bien trop enivrant pour ne pas avoir envie d’en reprendre une gorgée.

“Le meilleur moment d’un concert, c’est l’instant d’avant. L’entrée en scène”

R&F : Le jour où nous avons appris que cette interview aurait lieu, nous sommes allés voir une de vos vieilles connaissan­ces en concert. Quelqu’un avec qui vous avez collaboré plusieurs fois, en partie pour les “Desert Sessions” : Alain Johannes. Josh Homme : Ça devait être incroyable. Il fait des choses dont on se demande comment elles sont possibles. Comme des mirages. C’est sûrement le plus grand musicien qu’il m’ait été donné de fréquenter.

R&F : Durant le concert, il a joué “Hangin’ Tree” qui est né sur un album des “Desert Sessions” puis a connu une seconde vie sur l’album “Songs For The Deaf”, des Queens Of The Stone Age. Est-ce que vous voyez des morceaux de ce nouvel album suivre la même voie ?

Josh Homme : J’ai toujours souhaité et encouragé les participan­ts aux “Desert Sessions” à prendre un morceau s’ils le souhaitaie­nt, pour en livrer leur propre version. Je suis sûr que ça arrivera. J’ai la ferme conviction que chacun peut et doit faire ce qu’il souhaite. On se sert la main et c’est bon, c’est acté. C’est justement ce qu’on avait fait avec Alain Johannes à l’époque. On a écrit ce morceau dans un canapé et j’adorais le fait qu’on ait engendré quelque chose dont je me disais : “Merde, ça pourrait être la meilleure chanson sur l’album de quelqu’un”. Et c’est devenu l’une des meilleures chansons de “Songs For The Deaf”. C’est génial quand tu as ce sentiment d’avoir attrapé un gros poisson. C’est une opportunit­é rare de pouvoir avancer en symbiose avec le rythme de ton inspiratio­n. J’aime l’inconnu. Voyager vers l’inconnu entouré de personnes que j’aime. J’aime me demander sans cesse ce qui va se passer et pourvoir me permettre de dire : “Je n’en ai absolument aucune idée.”

R&F : Et de ces voyages, vous ressortez changé ?

Josh Homme : Il vaut mieux, sinon c’est que j’ai fait une erreur quelque part. Il y a ce mythe du désert à propos de la transforma­tion, la mutation...

R&F : Le serpent à sonnette qui effectue sa mue.

Josh Homme : Exactement. Une transforma­tion pas vue comme quelque chose d’effrayant mais, au contraire, révérée. Je n’organise pas les “Desert Sessions” pour montrer aux autres qui je suis. J’y vais pour grandir. Je veux voir les choses sous un nouvel angle et tenter des choses dont j’ai peur. C’est bon de pouvoir le faire au sein d’un groupe de personnes. Ça permet de se dire que si on rate quelque chose, c’est de la faute du collectif et pas de quelqu’un en particulie­r. Personne ne peut vraiment se préparer à cette expérience. Tu te pointes avec ton armure habituelle et tu réalises rapidement qu’elle ne te sera d’aucune utilité ici. Il m’est déjà arrivé de me retrouver avec des personnes qui s’embrouilla­ient un peu, qui ne s’aimaient pas trop. Et en un jour ou deux à Rancho de la Luna, ils avaient tissé des liens forts. Moi, mon job ce n’est pas de m’interposer là-dedans, c’est d’observer comment deux personnes qui ne pensent pas pouvoir s’entendre vont finalement s’unir et engendrer quelque chose de créatif. J’ai juste à être le témoin de ça. Comme je ne ressens pas toujours le besoin de jouer sur un bon morceau, parfois j’ai seulement besoin de voir les gens le jouer et être tout près.

R&F : Il y a donc vraiment un aspect rituel dans tout ça ?

Josh Homme : C’est devenu ma religion. J’ai laissé derrière moi certains aspects de la religion qu’on m’a donné à la naissance mais je pense qu’on peut effectivem­ent devenir une meilleure personne en se mettant à genoux, en abandonnan­t ses traumas, ses fardeaux. Il est possible d’exprimer tes véritables sentiments à quelqu’un de manière très concrète, sans arrière-pensée, avec les “Desert Sessions”. J’ai une vie plutôt volatile, je ne sais pas pourquoi mais c’est comme ça, et ces moments me remettent les pieds sur terre. Je pense que ça aide toutes les personnes impliquées.

R&F : Certaines personnes atteignent cette plénitude en assistant à des concerts.

Josh Homme : Le meilleur moment d’un concert, c’est l’instant d’avant. L’entrée en scène. Tout est là. Rien n’est encore arrivé, mais ça commence. Quand une chose a débuté, elle devient tout ce qui aurait pu être. Les “Desert Sessions”, c’est ce moment crucial de l’avant, mais étiré sur une longue période de temps. Parce que c’est une série de premières fois, de premières prises de conscience­s, liées entre elles. Des premières fois qui s’enchaînent à un rythme soutenu, sans interrupti­on. Il y a un rush d’adrénaline comparable au tout début d’un concert, mais renouvelé sans cesse.

Prendre une machette

R&F : Il semble que vous ayez fait beaucoup de chemin depuis “...Like Clockwork”, une période durant laquelle vous sembliez troublé.

Josh Homme : J’ai désormais les bons outils pour gérer mes états d’âme. Avant, dès qu’il se passait quelque chose de difficile, je gardais tout pour moi. Les gens autour parlaient, mais moi, j’ai été élevé selon le principe que, par respect pour soi-même et pour les autres, il ne faut surtout rien dire. Mais, petit à petit, j’ai vu que seule la version des gens qui s’exprimaien­t était considérée comme étant la vérité, ce qui fait que je me sentais impuissant et incompris. Je me sens toujours incompris, plus que jamais. En tant que personne publique, en tout cas. Mais j’ai toujours avancé de manière latérale, parce que je me fiche d’aller vers le haut, ce n’est pas ce que je cherche. Ce qui est déstabilis­ant, c’est que je ne sais jamais vraiment comment agir. Comme je te le disais, j’ai une vie dissolue, je ne sais jamais de quoi mes lendemains seront faits. Donc, j’ai des hauts et des bas. Parfois je me dis que tout ça c’est de la merde et que ça ne sert à rien. Puis je rencontre des gens qui me disent que ma musique les a sauvés. Comment ne pas avoir envie de faire partie de ça ? De toute façon, c’est quoi l’alternativ­e ? Je fais partie de quoi, sinon ? Je ne pourrais jamais travailler pour quelqu’un, je finirais par foutre le feu. Au moins, j’admets être conscient de ça. Je pense donc que je préfère tout risquer pour créer un monde dans lequel je peux vivre, et faire face aux éventuelle­s conséquenc­es, que l’inverse. Le succès, je l’ai déjà eu, donc j’ai la chance de pouvoir tenter des choses. Je ne m’attends jamais à ce que ça marche mais si, chemin faisant, je m’éclate, alors ça en vaut la peine. Je n’ai pas envie d’être la quinzième meilleure copie de Jimi Hendrix. Ce que je veux, c’est prendre une machette, partir dans la jungle et tracer ma route. Et si j’attrape la malaria, tant pis.

Album “Desert Sessions Vols 11 & 12” (Matador/ Beggars)

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