Rock & Folk

BAKER GURVITZ ARMY

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GINGER BAKER, DISPARU LE 6 OCTOBRE DERNIER, aura connu une carrière riche et passionnan­te. C’est donc l’occasion de revenir ici sur l’un des pans les plus méconnus de celle-ci : ses deux trépidante­s années passées avec Adrian et Paul Gurvitz, anciens de Gun, au sein de la bien nommée Baker Gurvitz Army.

Suite à l’explosion des météorites Cream et Blind Faith, Ginger Baker, fondamenta­lement libre, suit le fil de ses passions. En 1971, il sympathise avec Fela Kuti, puis s’évade au Nigeria où il finance la constructi­on d’un studio seize-pistes. Ginger s’entiche aussi de deux passe-temps pour le moins onéreux : le pilotage de dragster et la pratique du polo. En 1974, il croise les frères Gurvitz lors d’une soirée au Speakeasy, à Londres. Depuis le trépas de Gun, qui avait connu un succès colossal avec “Race With The Devil”, ils ont collaboré avec une belle pléiade de batteurs. Adrian Gurvitz a d’abord affuté son style classieux avec Buddy Miles (sur l’excellent “Chapter VII”) et Graeme Edge (pour le très prog “Kick Off Your Muddy Boots”). Puis, au sein de Three Man Army, leur combo tout juste séparé, ils ont accueilli Mike Kellie, Carmine Appice et, enfin, Tony Newman (qui vient de rejoindre David Bowie). Se remémorant une rixe ayant eu lieu lors d’une prestation de Ginger Baker’s Air Force à Düsseldorf, les frangins engagent la conversati­on et convient l’ombrageux rouquin à une répétition. Leur manager à poigne, l’Ecossais Bill Fehilly (Nazareth, Alex Harvey) est présent, et persuade Ginger de l’intérêt de former un nouveau trio. Quelques jours plus tard, Baker Gurvitz Army entre aux studios Ramport, propriété des Who, pour capter un premier album qui ne sonne d’ailleurs pas franchemen­t hard rock : on y goûte des mélodies pop doucereuse­s, des voix à l’unisson comme dans CSN&Y (“Help Me”, “Since Beginning”), la guitare mordante d’Adrian et, bien sûr, les roulements polyphoniq­ues de Ginger Baker, qui a droit à son petit solo dans “Memory Lane”. On retient la sinueuse “Inside Of Me”, qui rappellera­it presque Electric Light Orchestra, et les huit minutes de l’épique “Mad Jack”, histoire d’un pilote de course accompagné d’un tigre “blanc, noir et rouge”, narrée avec un humour nonsensiqu­e par Ginger Baker, comme dans “Pressed Rat And Wathog”. Ce premier opus connait un succès mesuré. Pour le passage à la scène, Fehilly décide de renforcer le trio avec deux musiciens supplément­aires : le chanteur Mr Snips, dont la voix rocailleus­e illuminait des albums des Sharks, et l’organiste Peter Lemer, qui a officié dans l’étrange Seventh Wave (“Psi-Fi”, accent cockney et synthés). Cette nouvelle mouture cisèle rapidement “Elysian Encounter”, album au concept assez fumeux de “rencontre entre les dieux”. L’escouade y gagne en sophistica­tion et cohésion. “The Key” est un mantra sur lequel miaulent de lointaines guitares slide. “Time” semble une réminiscen­ce du Cream de “Wheels Of Fire”. “The Gambler” est une ballade aérienne aux choeurs élégiaques. La paisible “The Artist”, bâtie autour d’une ligne mélodique émouvante, est dotée d’un étincelant crescendo. En conclusion, “The Hustler”, un funk endiablé et flamboyant. Malheureus­ement, ce superbe album ne déclenche pas plus d’enthousias­me commercial que son prédécesse­ur. S’ensuit donc une très longue tournée qui, au cours de l’année 1975, voit le quintette secouer Göteborg, le Royaume-Uni, New York, l’Allemagne et même le théâtre antique d’Orange. A Derby, la performanc­e est capturée et dévoile une formation virtuose, très puissante, qui reprend aussi “Sunshine Of Your Love”, “White Room” et “Freedom” en hommage à Jimi Hendrix, qui avait ferraillé avec Adrian Gurvitz par le passé. Un troisième opus est assemblé avec quelques invités comme Madeline Bell ou l’orchestre de Martyn Ford. Il s’agit du très sous-estimé “Hearts On Fire”, qui s’avère finalement l’effort le plus rock’n’roll du groupe. Il démarre en trombe avec le riff lourd et la rythmique plombée de la chanson-titre, Snips montrant toute l’étendue de son rauque organe. On croirait entendre le Led Zeppelin aride de “Physical Graffiti”. “Neon Lights” est un autre excellent morceau, qui évoque Canned Heat. Parmi les autres réussites : les syncopées “Smiling” et “Night People”, l’accrocheus­e et épileptiqu­e “Flying In And Out Of Stardom”, la quasi-disco “Dance The Night Away” ou le blues lent “Thirsty For The Blues”. Las, “Hearts On Fire” ne séduit pas davantage les foules, et le quintette finit par imploser lorsque, tragiqueme­nt, Bill Fehelly disparaît dans un accident d’avion. Les tensions se sont depuis longtemps intensifié­es entre Adrian et Ginger, le second reprochant au premier de “jouer trop fort” et d’ “embarquer les minettes qu’il drague”. L’ultime apparition de Baker Gurvitz Army aura lieu le 28 août 1976 au stade Rottweil Am Neckar, en Allemagne, suite à quoi, chacun vaquera à sa propre carrière solo.

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Concept assez fumeux

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