Rock & Folk

Ronald régale Interview 2019

A la faveur d’un sympathiqu­e album hommage à Chuck Berry, le guitariste des Birds relate ici quelques souvenirs. R&F : Vous pouvez vous targuer d’avoir quasiment inventé le hard rock avec le Jeff Beck Group, et il est triste que l’aventure se soit arrêtée

- RECUEILLI PAR JONATHAN WITT Album Ronnie Wood With His Wild Five “Mad Lad : A Live Tribute To Chuck Berry” (BMG)

C’est dans le dédale d’un prestigieu­x hôtel londonien que Ron Wood tient séance. S’il juge la températur­e de la pièce trop fraîche, le goguenard septuagéna­ire affiche d’emblée une certaine proximité avec son interlocut­eur et plonge volontiers dans ses souvenirs.

Un truc fantastiqu­e

ROCK&FOLK : Quelle a été la genèse de ce projet ?

Ron Wood : Lorsque Chuck Berry est mort, j’ai été surpris que personne ne lui rende hommage. J’ai donc décidé de m’en charger moi-même, et c’est ainsi que le projet a commencé. Le concert en question s’est déroulé comme une répétition, un tour de chauffe, mais avec un public. Je ne savais même pas que la prestation était enregistré­e. Et puis on a envoyé les bandes à Bob Clearmount­ain, et le miracle est apparu quelques semaines plus tard. Il a réussi à donner du sens à ces bandes, à créer un truc fantastiqu­e.

R&F : Quels souvenirs gardez-vous des moments passés avec Chuck Berry ?

Ron Wood : Je l’ai accompagné durant quelques concerts et... je ne m’en souviens pas des masses à vrai dire (rires). Je me rappelle juste qu’il était souvent surpris en écoutant mon style, et me demandait à chaque fois : “où est-ce que tu as appris cet accord ?” Et je lui répondais : “Mais en t’écoutant, pardi !” Je crois qu’il aimait bien le fait que je me sois inspiré de son style...

R&F : Remontons un peu dans le temps. Aviezvous d’autres modèles étant gamin ?

Ron Wood : Oui, plusieurs. Jimmy Reed par exemple, dont j’ai honoré la mémoire en compagnie de Mick Taylor... Son guitariste, qui s’appelait Eddie Taylor, est relativeme­nt inconnu. J’aimerais bien lui apporter un peu de lumière, tout comme à Hubert Sumlin et Big Bill Broonzy. Ils ont un style de guitare très pur, élégant. Et puis il y avait aussi Scotty Moore ainsi que Gallopin’ Cliff Gallup, le guitariste de Gene Vincent.

Etats-Unis au moment où l’on devait se produire à Woodstock... C’est sûr que ça aurait pu être génial d’y être, mais je n’ai aucun regret, car si ça avait été le cas, je n’aurais peut-être pas eu l’opportunit­é d’intégrer les Faces ou les Rolling Stones. Je suis un type très chanceux, vous savez.

R&F : Etiez-vous heureux dans le rôle du bassiste ?

Ron Wood : Totalement ! Nous avons joué de la guitare à deux sur scène avec Jeff durant un seul show. A la fin de celui-ci, il m’a demandé si ça me gênerait de passer à la basse. Je lui ai dit que je comprenais, en plus j’aimais vraiment la basse.

R&F : Vous avez également été le colocatair­e de Jimi Hendrix...

Ron Wood : Exact. Nous avons habité ensemble du côté de Holland Park, pendant quelques semaines. C’était quelqu’un d’adorable, vraiment très gentil. Il n’aimait pas sa voix, et je lui répétais sans cesse : “Ne te fais pas de bile, ton jeu de guitare compense largement” (rires).

R&F : Après les Faces, vous avez également sorti de remarquabl­es albums solos, notamment les trois premiers.

Ron Wood : Ah, je suis flatté que vous les connaissie­z ! Je suis très content du documentai­re qui est sorti et qui s’appelle “Somebody Up There Likes Me”. On y voit des extraits de ma tournée en solo qui a suivi “I’ve Got My Own Album To Do”. Certaineme­nt mon album préféré. C’étaient les seventies, une époque, disons, spéciale... On l’a gravé chez moi à The Wick, dans le Richmond. J’avais installé un studio dans la cave. Pete Townshend a depuis racheté cet endroit, et le possède toujours.

Des choses sur le feu

R&F : Contrairem­ent à d’autres, vous avez survécu à ces années.

Ron Wood : Je ne changerais pas tout ce que j’ai traversé, ces différente­s périodes de ma vie avec la drogue et l’alcool. Tout le monde buvait à l’époque, c’était normal. Et puis mon corps m’a dit d’arrêter. Cela m’a pris un certain temps, mais je suis très fier d’avoir réussi, et ces jours sont désormais derrière moi. Il y a aussi la cigarette ! J’ai arrêté depuis quatre ans, lorsque mes jumelles sont nées. Le temps passe tellement vite...

R&F : Avez-vous d’autres projets pour la suite ? Un nouvel album solo ou avec les Rolling Stones ?

Ron Wood : Nous avons des choses sur le feu avec les Stones, mais ces derniers temps ont été consacrés aux tournées. Mick et Keith gèrent tranquille­ment, je les laisse faire. Pour ma part, je suis heureux avec ce projet d’hommage, et j’envisage d’en faire une trilogie. Je souhaitera­is aussi compiler mes albums solos. On avait rejoué avec Rod Stewart lors d’un unique concert, pour la recherche contre le cancer de la prostate. On verra ce qui se passera quand il en aura terminé avec son spectacle à Las Vegas... Il a l’air de s’amuser, puisqu’il a même programmé des dates supplément­aires. Le problème, en fait, est toujours de trouver le bon moment.

“Je suis un type très chanceux, vous savez”

ce qui, comme chacun le sait depuis “Substitute” des Who, est une très bonne idée trop souvent négligée (il n’hésite pas non plus à dégainer la mandoline quand il le juge nécessaire). Il sait également pomper les plans de Curtis Mayfield imitant les motifs de piano de Floyd Cramer. Comme Keith, il apprécie le même son : peu de sustain, zéro reverb, une tonalité aigrelette et maigrichon­ne, sans grosse distorsion, juste crunchy ce qu’il faut. Il joue de la slide de manière lunaire et hésitante, instinctiv­e, à mille lieues de la virtuosité fluide de Mick Taylor. Comme Keith, c’est un guitariste de la fragmentat­ion : il joue par instants, jamais continuell­ement. Ce qu’il a gravé avec Rod ou avec les Faces est magique d’authentici­té et de retenue, on ne le soulignera jamais assez. Dans un esprit qui ne pouvait déplaire à Richards, qui, lui aussi, jouait sur des guitares Zemaitis. Keith n’a jamais été un grand soliste non plus, et il n’est pas impossible qu’un guitariste de la trempe de Mick Taylor dans son groupe l’ait sensibleme­nt complexé... Surtout lorsqu’il est redevenu vaguement straight.

Joyeux bordel

Les Rolling Stones, dès 1975, ont donc désormais deux Keith : le Keith en chef et le Keith adjoint. Les deux guitares entrelacée­s et complément­aires sonnent comme une seule, c’est un joyeux bordel qui tombe à point pour régénérer le son des Stones, qui y parviennen­t finalement à la fin des seventies. Enfin, les deux hommes aiment faire la fête et se défoncer. Keith est à l’héroïne, Woody au crack, ce que Keith désapprouv­e. Woody est un bouffon d’humeur toujours égale, faisant idéalement le tampon entre Jagger et Richards. Woody ne coûte pas cher. Woody a le look, et l’attitude. Il est parfait. Il est constant (il vient même de survivre à un cancer du poumon). Hélas pour lui, Woody ne jouera que sur un grand album des Stones, “Some Girls”, la suite des événements ne valant pas tripette par rapport à ce qu’il a pu faire avec Rod Stewart ou avec les Faces des années auparavant. Sur scène, évidemment, pour les titres de la période Mick Taylor, c’est compliqué — on l’a vu sévèrement ramer sur le solo de “Can’t You Hear Me Knocking” — mais on peut dire, quel paradoxe, qu’il a contribué à faire sonner les Stones un peu comme les Faces, lorsque Jagger lui lâche la bride et, surtout, depuis que Keith ne fait plus grand-chose une fois hissé sur les planches. Et puis, Woody a d’autres talents : il peint des croûtes qui ressemblen­t aux vilaines caricature­s vendues sur la place du Tertre à Montmartre. Quand les temps étaient difficiles, il les vendait très cher. Peu importait le tableau, c’était celui d’un Rolling Stone...

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R&F

JANVIER 2020 Les Rolling Stones, dès 1975, ont donc désormais deux Keith : le Keith en chef et le Keith adjoint

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