Rock & Folk

The Rolling Stones

“LET IT BLEED — 50TH ANNIVERSAR­Y EDITION” ABKCO/ Universal

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LA MODE EST AUX ANNIVERSAI­RES, “Let It Bleed” fête son cinquantiè­me. Un demi-siècle ! Il fallait fatalement marquer le coup, mais comme le catalogue sixties du groupe appartient encore aux ayants droit d’Allen Klein, les Rolling Stones n’ont évidemment rien donné d’inédit à ceux qui les ont entubés dans les grandes largeurs. Reste donc l’album en vinyle, SACD mono et stéréo, le 45 tours “Honky Tonk Women” (absent de l’album), un livret et un poster. Pas de quoi faire se précipiter ceux qui ont la version SACD de 2002. Pour les autres, ceux qui, par chance, ne connaîtrai­ent pas encore ce classique par coeur, ça peut être une aubaine, et l’occasion de découvrir une oeuvre majeure qui vieillit parfaiteme­nt. Après le bloc de marbre parfait de “Beggars Banquet”, “Let It Bleed” frappe par sa diversité. Il y a les influences blues (“Love In Vain” avec la mandoline de Ry

Cooder, “Midnight Rambler”), l’apparition de la country (“Country Honk”, “You Got The Silver”), du funk mutant tout neuf et très efficace (“Monkey Man”, “Live With Me”), et deux poids lourds. Le premier, “Gimme Shelter” (orthograph­ié “Gimmie Shelter” sur le recto de la mythique pochette originale), ouvre le bal. C’est un monument, sans doute l’un des morceaux les plus intenses de l’histoire du rock. Quelques accords de guitare en open tuning, les percussion­s de Jimmy Miller, la batterie parfaite de Charlie Watts... La menace avance à pas de loup jusqu’à ce que l’orage éclate. Avec les choeurs ahurissant­s de Merry Clayton (qui en a donné une version démente en solo), alors enceinte, arrangés par Jack Nitzsche, et le piano de Nicky Hopkins, “Gimme Shelter” fait partie des trois ou quatre plus grands enregistre­ments des Stones. C’est un moment de grâce, de la magie pure. On peut d’ailleurs s’amuser à comparer la puissance de ce morceau assez simplement mis en boîte par rapport à ceux de Led Zeppelin au même moment : “Gimme Shelter” l’emporte haut la main, précisémen­t parce que les Stones ont toujours refusé de donner dans l’excès comme dans le superflu. C’est ce qui fait la grandeur rigoriste du groupe à la fin des sixties, et c’est ce qui fera aussi plus tard la magnificen­ce de “Exile On Main St”. Le second temps fort, “You Can’t Always Get What You Want”, ferme le bal. Le titre commence comme une ballade puis se finit en une orgie d’optimisme portée par des choeurs obèses dignes de l’Armée rouge. Avec ses références londonienn­es, “You Can’t Always Get What You Want” (avec Jimmy Miller à la batterie à la place de Charlie) sonne comme la fin de l’âge d’or sixties britanniqu­e. Entre ces deux morceaux, le reste brille. Richards est quasiment seul aux guitares : Brian Jones joue uniquement des congas sur “Midnight Rambler” et de l’autoharp sur “You Got The Silver” avant d’être viré. Son remplaçant, Mick Taylor, apparaît sur “Country Honk” et “Live With Me”. Keith est en forme. Ce qu’il fait sur “Midnight Rambler” est mythique, et sa compositio­n (qu’il chante parfaiteme­nt) “You Got The Silver”, un chef-d’oeuvre. Jagger est aussi très en voix et illumine tout l’album, qu’il chante avec délicatess­e (“Love In Vain”) ou furie (“Monkey Man”, “Gimme Shelter”). Charlie et Bill sont, comme toujours, impeccable­s. Leon Russell, Al Kooper et Bobby Keys (le saxophone priapique de “Live With Me”) sont également de la partie. Mais, ce qui fait aussi la beauté de “Let It Bleed”, c’est la manière dont il sonne. Aux studios Olympic, Miller a fait des miracles et l’album est un de ceux qui sonnent le mieux de son époque (bien mieux que ceux de Traffic et de Spooky Tooth dont il venait de s’occuper, raisons pour lesquelles il venait d’être recruté). Après s’être miraculeus­ement remis sur les rails avec “Beggars Banquet”, les Stones enfonçaien­t le clou avec ce deuxième volet d’une série de quatre disques parfaits. Suivront “Sticky Fingers” et “Exile On Main St”, complétant un ensemble phénoménal au moment où leurs grands rivaux, les Beatles, dévisseron­t. Plus tard, comme le remarque très justement Nick Kent dans “Apathy For The Devil”, l’héroïne plongera Keith Richards dans une sorte de semi-coma permanent, et la musique du groupe perdra de sa puissance. Mais en décembre19­69, alors que sort cet album royal, les Rolling Stones sont bel et bien le plus grand groupe du rock au monde. NICOLAS UNGEMUTH

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