ANCIENT GREASE
VENU DE LA VERDOYANTE CAMPAGNE GALLOISE, ANCIENT GREASE est un cas assez unique puisqu’il n’a choisi ni son patronyme, ni la pochette, ni même écrit ses propres chansons. Voilà pourquoi la genèse de “Women And Children First”, sommet de hard rock viril à forte tendance blues, a longtemps été difficile à retracer, mais recèle d’inattendues ramifications...
Nos pas nous mènent donc au pays de Galles, au mitan des sixties. A Cardiff et Swansea, les groupes pullulent et certains parviennent même à se faire acclamer en Angleterre : Amen Corner, Love Sculpture, ou encore Man. Au coeur de cette vague, Eyes Of Blue. Au départ, comme tant d’autres, la formation usine chaque soir des reprises de tubes rhythm’n’blues du moment. En 1966, le batteur John Weathers rejoint la prometteuse affaire. Le garnement a déjà un passif mouvementé. En guerre larvée avec ses géniteurs, il a été exilé chez sa tante, à Liverpool, juste avant l’avènement des Beatles. Pour ne pas rater le proverbial wagon, il rapatrie prestement ses fûts, et entame une double vie plus qu’harassante : il pétrit la pâte lorsque les premières aurores rosissent et devient un rocker quand les cieux s’obscurcissent. Un peu plus tard, lorsqu’il revient crécher à Swansea, sa renommée le précède, et il fait donc partie des nouvelles recrues d’Eyes Of Blue, aux côtés du claviériste Phil Ryan et du chanteur Gary Pickford-Hopkins. Le sextette décroche la timbale lors d’un concours organisé par le Melody Maker. La récompense : un contrat d’un an avec Decca, mais la déception est au rendez-vous puisque le vénérable label impose chansons et musiciens de séances... Suite à quelques premières parties d’envergure pour les Small Faces et les Who, un virage musical s’opère, Eyes Of Blue affectionnant désormais Buffalo Springfield et Moby Grape. La formation obtient une résidence au Speakeasy où elle croise Jimi Hendrix ou Blind Faith. Par l’entremise du producteur Lou Reizner, rencontré sous les volutes de fumée du légendaire club, Eyes Of Blue signe avec
Mercury et entre très vite en studio, à Londres, où il s’acoquine avec Graham Bond. Un premier album, “Crossroads Of Time”, voit le jour à l’orée de 1969. Il s’agit d’un opus de soul psychédélique, au son un peu daté mené par un orgue Hammond bavard, mais avec des compositions réussies comme “Prodigal Son” ou “Love Is The Law”. Quelques mois plus tard, un second album, “In Fields Of Ardath”, suit. Cette fois, Eyes Of Blue a viré rock progressif : un disque musicalement foisonnant, mais parfois indigeste. Il ouvre alors pour tous les mastodontes british en goguette au pays de Galles, du Spencer David Group à Led Zeppelin, en passant par The Move et Deep Purple. Pendant ce temps, dans sa contrée natale, un autre groupe se taille une réputation de machine de guerre : les Strawberry Dust. John Weathers les avait déjà remarqués lorsqu’ils secouaient les murs grisâtres de la cité minière de Rhondda. Saisi d’admiration, il leur arrange une démo, composée par Buzz Linhart, qui accroche l’oreille experte de Lou Reizner. C’est ainsi que Strawberry Dust investit les studios Morgan à Willesden, qu’ils n’ont le droit d’utiliser qu’entre minuit et six heures du matin. En une semaine seulement, le féroce quartette, encore trop juvénile pour écrire ses propres chansons, met en boîte des titres principalement écrits par Weathers, jugés trop violents pour Eyes Of Blue. Le longformat paraît finalement en juillet 1970 sous le titre “Women And Children First”, oeuvre d’un certain Ancient Grease, un nom choisi par Reizner. Très différent d’Eyes Of Blue, il démarre avec le riff rêche de “Freedom Train”, dominée par la voix gutturale de Gareth Mortimer. “Don’t Want” est dans la même lignée blues rauque, avec une limpide démonstration de Graham Williams à la guitare, bien soutenu par l’explosif batteur Dick Ferndale. Williams brille encore sur l’épique “Eagle Song”, dotée d’un mémorable crescendo ou sur “Mother Grease The Cat”, tantôt aérienne, tantôt ultralourde. La paisible et superbe “Odd Song” lorgne, quant à elle, davantage du côté du folk rock, tout comme “Mystic Mountain”. “Prelude To A Blind Man” met en valeur la basse épaisse du bien nommé Jack Bass, qui se confronte à un harmonica lancinant. La chanson-titre est une conclusion grondante, orageuse. Comme pour tant d’autres à la même époque, il n’y a aucun soutien promotionnel bien que le disque soit formidable, Mercury concentrant alors ses fonds sur Rod Stewart. Dépité, Strawberry Dust remballe ses amplis Marshall : retour au pays de Galles. Il décide de marquer une pause, tout comme ses parrains d’Eyes Of Blue. John Weathers et Graham Williams croiseront le fer à nouveau dans Wild Turkey, puis dans l’orchestre seventies occulte de Graham Bond (Magick). Enfin, John connaîtra la gloire avec Gentle Giant, tandis que Graham formera Racing Cars avec Gareth Mortimer, là aussi avec un certain succès.