The Irishman
DE MARTIN SCORSESE Une sorte d’Arsène Lupin semi-grabataire
En cette fin d’année 2019,
on ne se rend pas compte à quel point on a de la chance de vivre dans une époque où Martin Scorsese respire le même air que nous. Il faut donc en profiter tant que l’homme tourne encore. Mais avec un léger bémol : ses films de ce dernier quart de siècle, à l’unanimité presque générale, ne valent pas son dernier chef-d’oeuvre, “Casino”, où le réalisateur était arrivé (en 1995, donc) au sommet de son art. Mais un Scorsese déceptif, vaut de toute façon mieux qu’un bon Tarantino, avec tout le respect que l’on doit au cinéaste du magnifique “Once Upon A Time In... Hollywood”. Et puis, n’oublions pas non plus une chose importante : Martin Scorsese a aujourd’hui 77 ans. Combien de cinéastes de génie tournent encore de très bons films sur le tard ? En ce qui concerne Abel Ferrara, Dario Argento ou David Cronenberg, aucun de leurs films de la dernière décennie ne vaut ceux de leur âge d’or. Mais, aux côtés de quelques cas exceptionnels (Steven Spielberg, Ridley Scott, Paul Verhoeven et le sacrosaint Clint Eastwood, 89 ans), Martin Scorsese assure encore. Certes, “The Irishman” n’a pas la cruauté des “Affranchis”, la hargne de “Raging Bull ou les états d’âme infernaux de De Niro dans “Taxi Driver”... Mais quel film ! Son sixième meilleur, d’après un récent top 25 établi (de manière forcément subjective) par Télérama. 3 h 30 d’un chant du cygne où le réalisateur speedé (dans la vie, il parle à la même vitesse que Daffy Duck !) fait un bilan nostalgique avec son genre fétiche (le film de gangster) et son acteur de prédilection (Robert De Niro). Un authentique angélus du cinéma de mafia en quelque sorte. Comme une prière d’adieu aux coups de flingues et aux règlements de compte, le tout en forme de pardon et de repentir. Comme dans son “Gangs Of New York”, Scorsese s’offre une nouvelle saga sur le crime organisé dans l’Amérique d’après-guerre en suivant le parcours criminel et familial de Frank Sheeran (De Niro), tueur à gages pour la mafia et homme de main de Jimmy Hoffa (Al Pacino), le plus mythique (et douteux) des syndicalistes. Avec ses luttes internes, ses trahisons, ses rivalités de gangs, ses codes d’honneur et ses amitiés italo-viriles sur fond de relations filiales — père de substitution compris. Sauf que, contrairement à “Gangs
Of New York”, ”Les Affranchis” ou “Casino”, “The Irishman” baigne dans une mélancolie abyssale. A propos d’un genre cinématographique et de ses personnages, certes, mais aussi de l’âge d’or d’un cinéma qui n’existe plus. Scorsese a d’ailleurs fait récemment les choux gras de la presse en se révoltant (à raison) contre le Hollywood d’aujourd’hui, gavé de films Marvel. Car “The Irishman”, malgré sa concession à quelques effets numériques étranges (les rajeunissements un peu bâtards de De Niro et Pacino pour les séquences de flashbacks) reste bel et bien un film. Au sens où John Ford, Akira Kurosawa, Michael Powell ou Ingmar Bergman (et beaucoup d’autres) l’entendaient. Et qui repose sur les nombreux face-à-face fascinants de deux acteurs emblématiques du Nouvel Hollywood, Pacino et De Niro, enfin réunis pour de vrai 24 ans après leur courte confrontation finale dans le “Heat” de Michael Mann. De plus en plus critiqué depuis quelques mois pour fournir des films facilement distrayants mais peu habités, Netflix produit ici l’un des derniers grands metteurs en scène contemporains (disponible sur Netflix).
Brooklyn Affairs
Sans être une immense star comme son collègue Brad Pitt, avec lequel il se mettait sur la tronche dans “Fight Club” de David Fincher, Edward Norton est quand même un acteur qui compte à Hollywood. Tout le monde l’aime bien. Et c’est peut être pour cette raison qu’il a décroché suffisamment de sous pour produire le film noir (derrière comme devant la caméra) qu’il fignolait depuis une décennie. “Brooklyn Affairs” est un flashback nostalgique d’un genre qui connut son heure de gloire au temps des pelloches avec Humphrey Bogart et des romans de Raymond Chandler. Avec tout le fétichisme qui accompagne : ombres portées bien placées, chapeaux mous vissés sur les crânes et filatures sans fin. Norton joue ici un détective privé atteint du syndrome de Gilles de la Tourette qui enquête sur le meurtre de son mentor (Bruce Willis, présent à l’écran les vingt premières minutes). Une bonne occasion de se balader pendant 2 h 25 dans le New York des années 50, où Brooklyn, Harlem et Manhattan reprennent vie comme si on y était. Certes, le début laisse craindre un exercice de style anodin où la méticulosité des décors et des costumes prendrait le pas sur l’intrigue. Mais, petit à petit, on s’attache réellement à ce personnage de détective bourré de tocs qui à une revanche à prendre sur Big Apple, ville gangrénée par le racisme et la corruption. Un peu à l’image du “Chinatown” de Polanski dont “Brooklyn Affairs” est la référence première (actuellement en salles).
The Lighthouse
A l’instar de certains films fantastiques récents (comme “Midsommar” de Ari Aster), “The Lighthouse” fait partie d’un certain cinéma étrange, disons plus hautain, et surnommé elevated genre. A la fois moins frontal et moins agressif, plus expérimental et plus littéraire, où la bizarrerie ambiante l’emporte sur la compréhension du scénario.
Trois ans après “The Witch”, autre elevated genre qui privilégiait l’épouvante psychologique à la terreur pure, Robert Eggers revient avec ce huis clos timbré où l’on suit les longues journées (et les longues nuits) de deux gardiens de phare dans la Nouvelle Angleterre du 19ème siècle. Le mélange entre la promiscuité, la solitude et le passé trouble des deux hommes, les forçant à s’opposer ou à pactiser dans
une suite de séquences où l’amitié laisse place à la haine qui laisse place à l’alcool qui laisse place aux doutes qui laisse place à la confrontation. Leurs regrets et leurs affres finissant par avoir raison de leurs âmes.
Par son aspect vintage (le film est tourné en pellicule noir et blanc) et son excellente direction d’acteurs déchaînés (Willem Dafoe contre Robert Pattinson), “The Lighthouse”, d’abord un poil agaçant, finit par fasciner, voire émouvoir. Et ce jusqu’à une étonnante séquence où une allusion à un dieu de la mythologie grecque fait basculer cette bizarrerie dans un fantastique aussi interrogatif que métaphorique (actuellement en salles).
First Love, Le Dernier Yakuza
Takashi Miike est probablement le réalisateur japonais contemporain le plus prolifique avec pas loin d’une centaine de films réalisés ces 20 dernières années. Plus que Marc Dorcel, en quelque sorte, et avec quasiment que des choses déjantées au programme, comme le très gore “Ichi The Killer”, la trilogie zinzin des “Dead Or Alive” et son traumatique “Audition”, son film le plus connu et le plus exporté dans le monde. Avec “First Love”, Miike, comme à son habitude, se sert de son intrigue lambda (un boxeur taiseux et une call girl toxico sont poursuivis dans Tokyo par un flic corrompu, une tueuse badass et un yakuza) pour se laisser aller à une série d’apartés scénaristiques et stylistiques folledingues où l’on passe, sans sourciller, du cartoon explosif au polar urbain teigneux traversé par une histoire d’amour. Miike filmant le plus énergiquement possible une galerie de personnages aussi timbrés et nihilistes les uns que les autres (en salles le 1er janvier).
L’Art Du Mensonge
Un vieil homme élégant et une vieille dame classieuse se draguent sur un site de rencontres... A priori, une comédie romantique pour cartes vermeil... En fait, pas tant que ça... Car l’octogénaire est une sorte d’Arsène Lupin semi-grabataire spécialisé dans le détournement d’argent. Et la septuagénaire, comme par hasard, dispose d’un compte en banque bien rempli. Si les faux semblants, les mensonges et la romance larvée s’emboîtent avec élégance, c’est grâce à la mise en scène stylisée de Bill Condon. Mais aussi et surtout grâce aux talents de deux magnifiques acteurs : Ian McKellen (Magnéto dans les “X-Men” et Gandalf dans “Le Seigneur Des
Anneaux”) et la sublime Helen Mirren, l’actrice anglaise la plus shakespearienne de son pays. Leur face-à-face, bardé de coups de théâtre et de besoin d’amour, n’en est que plus convaincant
(en salles le 1er janvier).