Rock & Folk

The Irishman

DE MARTIN SCORSESE Une sorte d’Arsène Lupin semi-grabataire

- 100 R&F JANVIER 2020

En cette fin d’année 2019,

on ne se rend pas compte à quel point on a de la chance de vivre dans une époque où Martin Scorsese respire le même air que nous. Il faut donc en profiter tant que l’homme tourne encore. Mais avec un léger bémol : ses films de ce dernier quart de siècle, à l’unanimité presque générale, ne valent pas son dernier chef-d’oeuvre, “Casino”, où le réalisateu­r était arrivé (en 1995, donc) au sommet de son art. Mais un Scorsese déceptif, vaut de toute façon mieux qu’un bon Tarantino, avec tout le respect que l’on doit au cinéaste du magnifique “Once Upon A Time In... Hollywood”. Et puis, n’oublions pas non plus une chose importante : Martin Scorsese a aujourd’hui 77 ans. Combien de cinéastes de génie tournent encore de très bons films sur le tard ? En ce qui concerne Abel Ferrara, Dario Argento ou David Cronenberg, aucun de leurs films de la dernière décennie ne vaut ceux de leur âge d’or. Mais, aux côtés de quelques cas exceptionn­els (Steven Spielberg, Ridley Scott, Paul Verhoeven et le sacrosaint Clint Eastwood, 89 ans), Martin Scorsese assure encore. Certes, “The Irishman” n’a pas la cruauté des “Affranchis”, la hargne de “Raging Bull ou les états d’âme infernaux de De Niro dans “Taxi Driver”... Mais quel film ! Son sixième meilleur, d’après un récent top 25 établi (de manière forcément subjective) par Télérama. 3 h 30 d’un chant du cygne où le réalisateu­r speedé (dans la vie, il parle à la même vitesse que Daffy Duck !) fait un bilan nostalgiqu­e avec son genre fétiche (le film de gangster) et son acteur de prédilecti­on (Robert De Niro). Un authentiqu­e angélus du cinéma de mafia en quelque sorte. Comme une prière d’adieu aux coups de flingues et aux règlements de compte, le tout en forme de pardon et de repentir. Comme dans son “Gangs Of New York”, Scorsese s’offre une nouvelle saga sur le crime organisé dans l’Amérique d’après-guerre en suivant le parcours criminel et familial de Frank Sheeran (De Niro), tueur à gages pour la mafia et homme de main de Jimmy Hoffa (Al Pacino), le plus mythique (et douteux) des syndicalis­tes. Avec ses luttes internes, ses trahisons, ses rivalités de gangs, ses codes d’honneur et ses amitiés italo-viriles sur fond de relations filiales — père de substituti­on compris. Sauf que, contrairem­ent à “Gangs

Of New York”, ”Les Affranchis” ou “Casino”, “The Irishman” baigne dans une mélancolie abyssale. A propos d’un genre cinématogr­aphique et de ses personnage­s, certes, mais aussi de l’âge d’or d’un cinéma qui n’existe plus. Scorsese a d’ailleurs fait récemment les choux gras de la presse en se révoltant (à raison) contre le Hollywood d’aujourd’hui, gavé de films Marvel. Car “The Irishman”, malgré sa concession à quelques effets numériques étranges (les rajeunisse­ments un peu bâtards de De Niro et Pacino pour les séquences de flashbacks) reste bel et bien un film. Au sens où John Ford, Akira Kurosawa, Michael Powell ou Ingmar Bergman (et beaucoup d’autres) l’entendaien­t. Et qui repose sur les nombreux face-à-face fascinants de deux acteurs emblématiq­ues du Nouvel Hollywood, Pacino et De Niro, enfin réunis pour de vrai 24 ans après leur courte confrontat­ion finale dans le “Heat” de Michael Mann. De plus en plus critiqué depuis quelques mois pour fournir des films facilement distrayant­s mais peu habités, Netflix produit ici l’un des derniers grands metteurs en scène contempora­ins (disponible sur Netflix).

Brooklyn Affairs

Sans être une immense star comme son collègue Brad Pitt, avec lequel il se mettait sur la tronche dans “Fight Club” de David Fincher, Edward Norton est quand même un acteur qui compte à Hollywood. Tout le monde l’aime bien. Et c’est peut être pour cette raison qu’il a décroché suffisamme­nt de sous pour produire le film noir (derrière comme devant la caméra) qu’il fignolait depuis une décennie. “Brooklyn Affairs” est un flashback nostalgiqu­e d’un genre qui connut son heure de gloire au temps des pelloches avec Humphrey Bogart et des romans de Raymond Chandler. Avec tout le fétichisme qui accompagne : ombres portées bien placées, chapeaux mous vissés sur les crânes et filatures sans fin. Norton joue ici un détective privé atteint du syndrome de Gilles de la Tourette qui enquête sur le meurtre de son mentor (Bruce Willis, présent à l’écran les vingt premières minutes). Une bonne occasion de se balader pendant 2 h 25 dans le New York des années 50, où Brooklyn, Harlem et Manhattan reprennent vie comme si on y était. Certes, le début laisse craindre un exercice de style anodin où la méticulosi­té des décors et des costumes prendrait le pas sur l’intrigue. Mais, petit à petit, on s’attache réellement à ce personnage de détective bourré de tocs qui à une revanche à prendre sur Big Apple, ville gangrénée par le racisme et la corruption. Un peu à l’image du “Chinatown” de Polanski dont “Brooklyn Affairs” est la référence première (actuelleme­nt en salles).

The Lighthouse

A l’instar de certains films fantastiqu­es récents (comme “Midsommar” de Ari Aster), “The Lighthouse” fait partie d’un certain cinéma étrange, disons plus hautain, et surnommé elevated genre. A la fois moins frontal et moins agressif, plus expériment­al et plus littéraire, où la bizarrerie ambiante l’emporte sur la compréhens­ion du scénario.

Trois ans après “The Witch”, autre elevated genre qui privilégia­it l’épouvante psychologi­que à la terreur pure, Robert Eggers revient avec ce huis clos timbré où l’on suit les longues journées (et les longues nuits) de deux gardiens de phare dans la Nouvelle Angleterre du 19ème siècle. Le mélange entre la promiscuit­é, la solitude et le passé trouble des deux hommes, les forçant à s’opposer ou à pactiser dans

une suite de séquences où l’amitié laisse place à la haine qui laisse place à l’alcool qui laisse place aux doutes qui laisse place à la confrontat­ion. Leurs regrets et leurs affres finissant par avoir raison de leurs âmes.

Par son aspect vintage (le film est tourné en pellicule noir et blanc) et son excellente direction d’acteurs déchaînés (Willem Dafoe contre Robert Pattinson), “The Lighthouse”, d’abord un poil agaçant, finit par fasciner, voire émouvoir. Et ce jusqu’à une étonnante séquence où une allusion à un dieu de la mythologie grecque fait basculer cette bizarrerie dans un fantastiqu­e aussi interrogat­if que métaphoriq­ue (actuelleme­nt en salles).

First Love, Le Dernier Yakuza

Takashi Miike est probableme­nt le réalisateu­r japonais contempora­in le plus prolifique avec pas loin d’une centaine de films réalisés ces 20 dernières années. Plus que Marc Dorcel, en quelque sorte, et avec quasiment que des choses déjantées au programme, comme le très gore “Ichi The Killer”, la trilogie zinzin des “Dead Or Alive” et son traumatiqu­e “Audition”, son film le plus connu et le plus exporté dans le monde. Avec “First Love”, Miike, comme à son habitude, se sert de son intrigue lambda (un boxeur taiseux et une call girl toxico sont poursuivis dans Tokyo par un flic corrompu, une tueuse badass et un yakuza) pour se laisser aller à une série d’apartés scénaristi­ques et stylistiqu­es folledingu­es où l’on passe, sans sourciller, du cartoon explosif au polar urbain teigneux traversé par une histoire d’amour. Miike filmant le plus énergiquem­ent possible une galerie de personnage­s aussi timbrés et nihilistes les uns que les autres (en salles le 1er janvier).

L’Art Du Mensonge

Un vieil homme élégant et une vieille dame classieuse se draguent sur un site de rencontres... A priori, une comédie romantique pour cartes vermeil... En fait, pas tant que ça... Car l’octogénair­e est une sorte d’Arsène Lupin semi-grabataire spécialisé dans le détourneme­nt d’argent. Et la septuagéna­ire, comme par hasard, dispose d’un compte en banque bien rempli. Si les faux semblants, les mensonges et la romance larvée s’emboîtent avec élégance, c’est grâce à la mise en scène stylisée de Bill Condon. Mais aussi et surtout grâce aux talents de deux magnifique­s acteurs : Ian McKellen (Magnéto dans les “X-Men” et Gandalf dans “Le Seigneur Des

Anneaux”) et la sublime Helen Mirren, l’actrice anglaise la plus shakespear­ienne de son pays. Leur face-à-face, bardé de coups de théâtre et de besoin d’amour, n’en est que plus convaincan­t

(en salles le 1er janvier).

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Brooklyn Affairs
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The Lighthouse
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First Love, Le Dernier Yakuza
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L’Art Du Mensonge

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