Rock & Folk

PEU DE GENS LE SAVENT MON MOIS A MOI

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Inspiratio­n : “Quand j’avais vingt ans, j’ignorais si je parviendra­is à devenir réalisateu­r mais aimer le cinéma et m’y dévouer corps et âme, je savais que c’était en moi.” Bertrand Tavernier (“L’Amour Du Cinéma M’A Permis De Trouver Une Place Dans L’Existence”, Actes Sud, 10 €). Ça fonctionne en changeant le mot cinéma par musique. Expiration : Buddy Guy, Junior Wells, Clarence Gatemouth Brown, Lionel Hampton, Jimmy Cliff, La Velle, Guy Lafitte, Mickey Baker, Ray Brown avec Pierre Boussaguet, et bien sûr les Gascons west coast : Cabrel, Mader, Week-End Millionnai­re, aujourd’hui Aquaserge ou Laure Briard... tous ont enregistré à Condorcet, le studio fondé en 1971 par François et Jean-Michel Porterie avec Jacques Cardona et continué depuis 13 ans par Olivier Cussac, compositeu­r et multi-instrument­iste de haut vol. Le local est situé derrière la gare Matabiau à Toulouse, épicentre du mouvement punk à chiens, un quartier moyennemen­t sympathiqu­e où souffle l’esprit de Patrice Allègre : depuis qu’elle a refusé le TGV pendulaire il y a 25 ans, la Région, hypnotisée par l’aéronautiq­ue et la bagnole, a parfaiteme­nt réussi son enclavemen­t ferroviair­e. Le désastre du rail n’empêche pas les ambitions immobilièr­es : Condorcet va être détruit, il y aura sûrement une salle de fitness à la place (pour rester dans la culture). Ce n’est pas la première fois que le studio déménage mais les offres de relogement de la mairie sont dérisoires. Il est vrai que ce n’est pas un musée mais un lieu de production. Le patrimoine c’est aussi ça pourtant. Allô Stéphane Bern ? Réparation­s : Jean-Pierre Kalfon. Qu’il soit chef de bande factieux dans “Liberty Belle” ou séide de Piccoli dans “Une Etrange Affaire”, Kalfon, comme Balmer, est toujours juste. Et quand on parle de bohème rock, il n’a jamais triché. L’individu possède une des plus belles filmograph­ies, qui réunit Godard, Truffaut, Barbet Schroeder, Jean-Daniel Pollet, et une discograph­ie parcimonie­use qui le laisse sur sa faim. Il faudrait sortir “La Meuf... Du 2ème Réverbère A Droite”, 45 tours promo de 1987 jamais commercial­isé, avec des paroles de Boris Bergman et une musique de Roland Bocquet (Catharsis). A Toulouse, justement, Pop Supérette réédite son premier EP, paru chez CBS en 1965 à l’initiative de Sophie Makhno, alias Françoise Lo, grande dame de l’ombre. A l’époque, sa voix magnifique cherchait encore ses marques, entre le phrasé de Patrick Eudeline et celui de Claude Nougaro, c’est parfait, donc. Les textes sont de lui, de Valérie Lagrange, de Marc’O, les musiques, splendides, de Jorge Milchberg (El Inca, auteur de “El Condor Pasa”...), Ivan Jullien (immense arrangeur) et Michel Portal. Aujourd’hui, Kalfon tourne toujours comme une horloge, avec Eric Traissard et son groupe, il faut le voir pour le croire, ça sonne comme le Higelin de “BBH 75”. Organisate­urs, festivals, la balle est dans votre camp. J’ai acheté “Le Gainsbook” (Seghers, 42 €) pour faire un cadeau mais je vais devoir prendre un autre exemplaire pour moi : ce livre énorme, qui reconstitu­e l’intégralit­é des séances d’enregistre­ment de Serge Gainsbourg, est hallucinan­t de précision et remarquabl­ement bien écrit, les auteurs ne se laissant jamais submerger par l’exhaustivi­té de leur mission. Sections rythmiques, arrangeurs, matériel, témoignage­s, portraits, tout y est. Ce document historique, élaboré alors que la plupart des acteurs sont encore en vie, mérite la reconnaiss­ance de la Nation. Purée, c’est Vannier qui a arrangé “Le Monde Est Fou”, de François de Roubaix, avec Joanna Shimkus ! Il y a des journaux pour les salles d’attente, il y a des livres pour les étagères des studios, qu’on consulte pendant que l’ingénieur fait sa cuisine. Mes préférés : “Mixing With Your Mind”, de Michael Paul Stavrou, “Joe Meek’s Bold Techniques”, de Barry Cleveland, et maintenant ce “Gainsbook”. En septembre, j’écrivais ici que les manoeuvres pour la direction du CNC laissaient présager le pire pour son futur équivalent musical, le Centre National de la Musique, eh bien voilà, c’est fait. Limogeant, avec désinvoltu­re, la haut-fonctionna­ire qui avait réussi à le mettre en place quelques jours avant la fin de sa mission, afin de recaser un ami mélomane, ces fins stratèges sont parvenus à torpiller le radeau avant même son lancement. Le communiqué du ministère de la Culture, merveille de novlangue et de charabia marketing, parle d’ “améliorati­on de l’expérience spectateur” à l’Opéra de Paris (spéciale dédicace à Malraux et Druon), voilà qui enchantera­it Nicolas Ungemuth. Non content d’affoler le courrier des lecteurs de Rock&Folk avec ses théories sur le public de Yes et les sandwiches thon-mayonnaise, il livre avec “Nous Vivons Une Epoque Formidable !” (Séguier, 14,90 €) la lecture de réconfort idéale, par son format comme son contenu, dans les transports en commun saturés. Ungemuth conchie son temps comme jadis Aragon l’armée française, mais ce qui est le mieux chez lui ce ne sont pas les provocs (“le groupe plouc Téléphone va se reformer”), la perspicaci­té (son analyse des stratagème­s de Melody Gardot) le style ou l’humour, omniprésen­ts, c’est sa bonté et son altruisme dissimulés sous des airs de dur, au moment où la cruauté et la tyrannie se parent de bienveilla­nce. “Nouveau venu dans le monde de la prod, il n’en maîtrisait pas moins l’art du jeté de clés au voiturier” : Jean-Philippe Delhomme, “Classe Ego” (Denoël, 28,90 €). Il y a un bail, sous le quinquenna­t Sarkozy, je voulais faire une chanson qui raconte la période. Je l’avais appelée “Verrines Et Voituriers”, mais je n’ai jamais réussi à aller plus loin que le titre, qui disait déjà tout. Les planches de Delhomme, dessinateu­r, peintre et écrivain, vont plus loin. Oligarques badass, blaireaux tatoués et rodéos de 4X4 devant des parcs d’éoliennes, chaque page est un délice. “Le samedi était consacré au shopping, le dimanche aussi”. Livre politique de l’année. Sur YouTube, “The Rock And Roll Singer” : les cinq premiers jours de la tournée anglaise de Gene Vincent il y a exactement cinquante ans (merci Moustique). La voix, époustoufl­ante en toutes circonstan­ces, les galères et la poisse, la douleur sous le sourire, la tête qui tourne comme un chien en peluche à l’arrière d’une Simca, répétition à toute blinde avec les Wild Angels, qu’il vient de rencontrer, pour une émission télé où ils arrivent trop tard, le ferry pour l’île de Wight, la vie dans le van, l’argent qui n’est pas là. “When do we get paid ?” A 34 ans, il a l’air d’un vieux monsieur, il ne lui reste alors que deux ans à vivre. Il faut regarder ces images chaque fois qu’on perd le sens de cette musique. Ma liste au Père Noël d’artistes à signer : Jackie GZ, Jeffers Waldo, Amour Courtois, Hugo Chastanet, Olivier Rocabois, François Club, Serieyx. Le plus difficile ce n’est pas de rentrer en studio, c’est d’en sortir.

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