BRIGITTE FONTAINE
Tour à tour chanteuse rive gauche, comédienne, âme libertaire, poétesse ou reine des kékés, l’artiste qui sort son vingtième album est multiple et inclassable. Tentative de portrait de la femme Fontaine.
L’ATTACHÉE DE PRESSE ÉTAIT BIEN INQUIÈTE : arrivera-t-elle à caler, avant la deadline, et avec toutes ces grèves et bamboulas de fin d’année, une interview avec la grande Brigitte ? Qu’elle se rassure. Je n’en ai cure. Pas la peine de faire de l’autostop comme en 1995 ou de demander à l’ami Guillaume de sortir la Harley-Davidson pour m’amener à bon port. Je le sais d’avance. On n’interviewe pas Brigitte Fontaine. Cela ne sert à rien. Paul Amar en fit jadis les frais. Pour la promo de “Kékéland”, il avait monté toute une émission, était retourné dans la Bretagne natale de la diva, avait retrouvé son institutrice et la famille façon Bigouden et crêpes de froment. Réaction de la Brigitte : “Pas envie de voir leurs sales tronches à tous ces demeurés. C’est un très mauvais souvenir.” Et je le sais, sinon... elle m’aurait fait son show, son numéro. Parlé de tout — surtout de rien —, refusant systématiquement d’aborder ce qui m’intéressait. Histoire de garder le mystère. Je comprends bien. Et ne lui en veux pas. De toute façon, je déteste les interviews.
De l’oeuvre conséquente de la Fontaine, je ne retiens vraiment qu’une dizaine de chansons. Mais cela, déjà, est énorme. Oui, dix chansons. Mais quelles !
Au hasard ? “Il Pleut”, “Cet Enfant Que Je T’Avais Fait”, “Comme A La Radio”, “Château Intérieur”, “Je T’Aime Encore”, “Y’A Des Zazous”. “Dévaste-Moi”. “Les Filles D’Aujourd’hui”. Son dernier album, “Terre Neuve”, raison de ce papier, sort ces jours-ci. Son premier depuis 2013. Guère électro rock malgré tout ce qu’on va vous raconter. Non, heavy atonal, façon free rock (impressionnantes guitares de Yan Pechin. Vraiment. Producteur, en plus, de l’affaire) et barré (presque trop ou forcé, parfois), comme on pouvait s’y attendre. Parlé surtout, plus que jamais, et dans presque tout l’album (retour aux sources théâtrales ?) et hard rock. J’aime bien “Blues Kenavo”, “God Go To Hell”, “Chrysler”... Entre The Litter, Blue Cheer et le “Free Form Guitar” de Terry Kath, Dame Brigitte tangue et titube. Pas de vraie chanson. “Terre Neuve”, peut-être. “Le Tout Pour Le Tout” où elle parle de sa mort ? Des paroles quand même moins inspirantes que ce qu’elle sut faire (et moins travaillées, si je puis me permettre). Mais dans le paysage actuel, c’est quasiment sans concurrence. C’est le moins qu’on puisse dire. Quand même.