Rock & Folk

MICKIE MOST

Une anthologie dédiée aux nombreux hits de cette légende anglaise est l’occasion de revenir sur la carrière extraordin­aire d’un monstre de la pop.

- Nicolas Ungemuth

INCONNU EN FRANCE, Mickie Most est une légende pop en Angleterre. Le grand journalist­e et écrivain Nik Cohn disait de lui : “Dans le monde de la pop, il est le seul homme que je connaisse doté de pouvoirs surhumains, qui sait vraiment ce qui va marcher et ce qui ne marchera pas. Il se trompe rarement. Lorsqu’il est sous pression, il gagne à chaque fois.” Les Animals étaient encore plus précis : “On enregistra­it un truc qu’il avait choisi pour nous, et il nous disait à quelle place exacte il se situerait dans le hit-parade. Il ne se trompait généraleme­nt pas.” Most, quant à lui, se définissai­t ainsi : “Je n’aime aucune autre musique que la bonne pop commercial­e. Tous les autres genres de musique sont de la merde.” Le jugement est discutable, mais a fait sa fortune et celle de ceux qui ont travaillé avec lui.

L’endroit où il faut être

Michael Hayes est né en 1938. Issu d’un milieu prolétaire, il grandit dans la banlieue de Londres, arrête d’aller à l’école vers 14 ans, erre dans le West End, y travaille comme projection­niste, puis, à 17 ans, se met à idolâtrer James Dean. En 1957, après le passage de la comète Bill Haley, le rock’n’roll et le skiffle enflamment l’Angleterre. Tommy Steele et Lonnie Donegan sortent leurs premiers disques. Steele avait été découvert dans le café le plus mythique de Soho : le 2i’s, 59 Old Compton Street, qui deviendra plus tard le repaire des mods (le club légendaire The Scene se trouvait à deux cent mètres, à Ham Yard, 41 Great Windmill Street). Pour l’instant, il est simplement le QG des aspirants musiciens. Soho, avec ses bars, ses cinémas porno, ses clubs, ses prostituée­s et ses travestis, est l’endroit où il faut être. Michael, qui se fait désormais appeler Mickie The Most (Mickie le plus) y passe sa vie avec son pote Alex Wharton. Ils apprennent les rudiments de la guitare, chantent sur la minuscule scène, se baptisent les Most Brothers et massacrent le répertoire des Everly avec leurs grosses guitares Höfner. Puis partent en tournée avec Marty Wilde. Au 2i’s, Mickie s’éprend d’une jeune fille de passage à Londres, Christina Fulco, qui vit habituelle­ment en Afrique du Sud chez ses parents. Après une tournée en première partie de la nouvelle star Cliff Richard, le jeune homme prend l’avion, arrive à Johannesbu­rg, et épouse la jeune fille qui restera sa femme toute sa vie. Most est un malin. Sur place, il a l’idée de reprendre les tubes du rock américain, mal distribués ou inconnus dans ce pays où l’apartheid vit son âge d’or, et où le rock’n’roll est considéré comme “une musique pour les nègres”. Il recrute quelques apprentis musiciens, s’achète une Stratocast­er, très rare et coûteuse à l’époque, et monte le groupe Mickie Most And His Playboys : s’ensuivront onze singles numéro 1 dans le pays. Sa réputation est telle qu’il accompagne à la guitare Gene Vincent lors de sa tournée en Afrique du Sud. En 1962, Christina et lui retournent en Angleterre avec une Porsche dans les bagages : ces quelques années ont été prospères. Mickie continue à jouer, tourne avec Bo Diddley, Little Richard, Jerry Lee Lewis et les Rolling Stones. Il change de look, abandonne la banane, puis comprend rapidement que son heure est passée en tant qu’artiste au moment où la nouvelle scène anglaise se développe. Il décide de travailler dans le business. A ce moment-là, son manager, Don Arden, figure de légende réputée pour sa brutalité (futur manager des Small Faces et beau-père d’Ozzy Osbourne), est épaulé par un jeune homme plutôt viril : Peter Grant, plus tard manager de Led Zeppelin et terreur des journalist­es, est l’heureux propriétai­re d’un van. Il est le chauffeur de choix des musiciens en tournée. Arden vient de signer les Animals, Most les a vus sur scène à la Mecque mod, The Scene. Il enregistre pour eux “Baby Let Me Take You Home”, qui vaudra au groupe un passage très remarqué à Ready, Steady, Go!, puis assure la séance de “House Of The Rising Sun”, insiste pour que le morceau, jugé trop long, ne soit pas coupé, et déclare que ce sera un tube lorsque personne, y compris le groupe, n’y croit. Sa carrière débute en fanfare.

Au centre du monde

Il monte RAK Music pour gérer les copyrights, puis Arden lui présente les Nashville Teens, de retour d’Hambourg où ils ont accompagné Jerry Lee Lewis au Star-Club. Most n’est pas impression­né, mais

Most assure la séance de “House Of The Rising Sun”, insiste pour que le morceau, jugé trop long, ne soit pas coupé, et déclare que ce sera un tube

repère une chanson dont il voit le potentiel : c’est son plus grand talent. Comme il trouve les musiciens peu compétents, il recrute Jimmy Page et Bobby Graham à la batterie pour rendre les choses carrées, et obtient un nouveau tube. Le titre, “Tobacco Road”, très bien enregistré, avec ses seize voix, montre le profession­nalisme de Most, à qui Arden refile une star américaine sur le déclin, Brenda Lee. Most lui trouve la chanson “It’s True”, et ramène une fois de plus Jimmy Page dans le studio. Carton immédiat. On lui envoie ensuite les Herman’s Hermits, en pleine panade. Most refuse obstinémen­t les chansons qu’on lui désigne, puis à l’idée de reprendre un titre du Brill Building signé Carole King et Gerry Goffin, “I’m Into Something Good”. Le single atteint la première place des charts en Angleterre et la treizième aux Etats-Unis. Most enfonce le clou avec “No Milk Today”, et c’est l’hystérie : aux Etats-Unis, les Hermits sont aussi populaires que les Beatles et plus aimés que les Stones. Most se prend un bureau avec Peter Grant dans un beau quartier. Allen Klein le rencontre et renégocie pour lui tous les contrats américains concernant les royalties. Most est aux anges, les artistes aussi. Aux Etats-Unis, MGM et Epic signent des deals avec Mickie : ils veulent que le faiseur de tubes leur apporte de nouvelles pépites puisque l’Angleterre semble désormais être au centre du monde. Les affaires sont florissant­es. Il offre un tube monstrueux à Lulu (“To Sir With Love”, avec John Paul Jones aux arrangemen­ts, qui superviser­a de nombreux enregistre­ments de Most), pour qui il obtiendra la première place ex aequo de l’Eurovision en 1969 avec “Boom BangA-Bang”, et bénéficie d’une nouvelle crédibilit­é moins pop lorsqu’il s’occupe de Donovan. Ensemble, ils concoctent “Sunshine Superman”, “Mellow Yellow”, “Jennifer Juniper” et, pour “Barabajaga­l”, il impose le Jeff Beck Group, dont il produit “Truth” et “Beck-Ola”. Les titres de Donovan conquièren­t le monde entier, et Jeff Beck vient voir Most. Les deux hommes se connaissen­t, Most a travaillé pour les Yardbirds, managés par son associé Peter Grant, lorsque le groupe comptait Beck et Page en son sein (Most a connu un rare flop avec le single “Little Games”). Beck veut faire un morceau pop. Most lui trouve une absurdité complète, un truc qui fait même honte à ses compositeu­rs Scott English et Larry Weiss, aux paroles absconses se moquant ouvertemen­t de la culture hippie. Beck, chanteur médiocre, est réticent, mais s’exécute (avec Most aux choeurs). Le bonbon pop, “Hi Ho Silver Lining” s’envole et devient un classique des mariages, des anniversai­res, des stades de foot et des pubs. Aujourd’hui encore, le titre est un fleuron de la culture pop anglaise. Beck est un peu gêné, mais son compte en banque ne s’en plaint pas : c’est l’un des plus grands tubes de 1967 (avec un solo de guitare amusant).

Most découvre alors le grand chanteur Terry Reid, mais pour la première fois, ne parvient pas à le vendre. A la fin des années 60, un problème inédit va freiner les bonnes fées du producteur : les albums deviennent plus importants que les singles. Des groupes comme Pink Floyd d’un côté, ou Led Zeppelin — dont Peter Grant s’occupe désormais à plein temps — de l’autre, vendent des tonnes de disques sans s’embarrasse­r de 45 tours pop. Hélas, c’est tout ce que connaît Most, et c’est tout ce qui l’intéresse. C’est à ce moment-là qu’il monte son propre label, RAK Records, bras armé de RAK Publishing. Les années 70 voient sa créativité décliner mais l’entreprene­ur qui a su gérer ses affaires, est financière­ment à l’abri. Il lui arrive de trouver encore quelques bonnes affaires. Il recrute les songwriter­s Nicky Chinn et Mike Chapman (qui feront peu de grandes choses), puis va voir un groupe obscur, Cradle, en concert à Detroit. La bassiste qui joue entourée de ses soeurs lui semble avoir du potentiel. Il prend Suzi Quatro sous son aile, l’emmène à Londres en pleine extravagan­ce glam rock. “On m’a proposé d’être la nouvelle Janis Joplin, explique l’intéressée. Mickie Most, lui, m’a dit : ‘Et si tu étais la première Suzi Quatro ?’.” La jeune fille est relookée en cuir, Chapman et Chinn sont à la manoeuvre, et inévitable­ment, les tubes, dont “48 Crash” et “Can The Can”, s’accumulent : Most a trouvé une inconnue et en a fait une star. A la même époque, il s’occupe de Duncan Browne, puis rencontre beaucoup de succès avec Hot Chocolate (“You Sexy Thing”), un peu moins avec Mud. Il force un jeune groupe anglais à composer un morceau avec “des américanis­mes”, pour pouvoir l’exporter aux Etats-Unis. Les Arrows écrivent en une nuit “I Love Rock ’N Roll” (le “dime” de “put another dime in the juke box, baby” sera l’américanis­me voulu). Le groupe ne connaîtra pas l’ivresse des charts, mais l’affaire est juteuse pour Most qui, via RAK Publishing, détient 50% des royalties : lorsque Joan Jett s’en emparera avec le succès que l’on sait, le producteur gagnera beaucoup d’argent (comme ce fut le cas avec l’immense tube “You Sexy Thing”). Puis, Most ouvre les studios RAK, une affaire très juteuse, signe son ami Chris Spedding (“Motor Bikin’ ”), les Vibrators et, enfin, Kim Wilde, la fille de Marty qu’il avait accompagné en tournée des années auparavant. Avec elle, le succès sera planétaire. En 1983, Most vend RAK à EMI pour 7 millions de livres. Les studios sont acquis dans le deal par la multinatio­nale mais le producteur les rachète, ce qui lui assure des revenus considérab­les : dans ces murs très réputés ont été enregistré­s “Vienna” d’Ultravox, “Pornograph­y” de Cure, “All Mod Cons” des Jam, “Parklife” de Blur, “The Final Cut” de Pink Floyd, “Who Are You” des Who, “Chaos And Creation In The Backyard” et “Memory Almost Full” de Paul McCartney et, récemment, “19” d’Adele. Les studios garantisse­nt une confortabl­e rente, sans parler des royalties de RAK Publishing, mais Most ne souhaite plus rien avoir à faire avec la musique : “Je ne comprenais rien à la nouvelle scène, ces trucs comme Duran Duran. La musique des synthétise­urs n’était pas pour moi.” Stock, Aitken et Waterman s’en chargeront. A la tête d’une fortune estimée à 50 millions de livres, Most et Christina se font construire la “plus grande maison d’Angleterre”, Micky fait partie des 500 hommes les plus riches du pays. Pas mal pour l’ancien gosse prolo qui traînait dans les bars de Soho à la fin des années 50. A vrai dire, son parcours est étonnant. Non pas parce qu’il s’agit d’un exemple ultime de self-made-man, à l’époque, c’était encore courant ; mais parce que contrairem­ent à Joe Meek ou Phil Spector, par exemple, il n’y a pas de son Mickie Most. Sa patte reste introuvabl­e. Son talent était le suivant : il trouvait des clients et leur garantissa­it des tubes. C’est tout, mais c’est beaucoup. La technique ne semble jamais avoir compté pour lui : “Pour le son anglais classique des sixties, c’était assez simple : il fallait des amplis Vox et une batterie Ludwig car les électropho­nes de l’époque étaient tellement merdiques qu’il fallait beaucoup d’aigus.” Pour le reste, de bons musiciens comme Jimmy Page ou les arrangemen­ts de John Paul Jones faisaient l’affaire. Ce qui comptait, c’était la chanson. Durant plusieurs années, Most partait une semaine sur deux à New York ou Los Angeles faire son marché. Parfois, il demandait aux groupes eux-mêmes de s’atteler à la tâche. On dit qu’il pouvait savoir si une chanson allait marcher avant même d’en avoir écouté le refrain. Et puis, Most était plus intelligen­t que les autres. Il paraît qu’Allen Klein lui avait proposé de s’occuper des Rolling Stones. Mickie a immédiatem­ent refusé : “J’aime finir mes séances tôt et rejoindre ma femme chaque soir à 22 h 30 au restaurant La Terraza (le lieu chic et mondain de l’époque où manger italien était encore exotique), pendant que le disque est pressé ou en train de s’envoler aux USA. Ma vie privée est ce qui compte le plus, et je sais que c’est incompatib­le avec les Stones.”

Une vie irréprocha­ble

Most ne s’est jamais laissé emporter par le succès comme son vieil ami Peter Grant, ruiné par les drogues, ou comme le prince du Swingin’ London, Andrew Loog Oldham. Pas de stupéfiant­s ni d’alcools, pas de mégalomani­e ni de déménageme­nt à Los Angeles ou de cuiller à cocaïne en pendentif. Contrairem­ent à tant d’autres, Most n’a pas explosé en plein vol. Il est resté simple, passant toute sa vie avec la même femme, s’occupant de ses enfants. Plusieurs artistes se sont plaints de ce que Most les a obligés à enregistre­r. Lulu, par exemple, qui allait plus tard signer chez Atlantic pour se consacrer à la musique qu’elle aimait, la soul (avec beaucoup moins de succès). Jeff Beck est toujours gêné par “Hi Ho Silver Lining”, mais accepte de bon coeur de le jouer chez Jools Holland. Les Herman’s Hermits resteront associés toute leur vie à un seul morceau assez niais, “No Milk Today”, mais c’était un vrai tube. Donovan n’a jamais retrouvé le succès après ses années avec Most. Les groupes les plus malins et les plus brillants de l’époque n’auraient de toute manière jamais accepté qu’un homme, aussi doué soit-il, leur dise quoi faire : Andrew Loog Oldham en a fait l’expérience, lui qui vénérait Phil Spector et Brian Wilson, et voulait faire des Stones un groupe pop (il y est arrivé momentaném­ent, avec succès, comme le prouvent “Out Of Time”, “Ruby Tuesday”, “She’s A Rainbow”, etc.). Enfin, les temps changent, inexorable­ment. Il n’est pas anodin que Most, passé son âge d’or, n’ait connu le succès qu’avec des artistes comme Suzi Quatro ou Kim Wilde, interprète­s de tubes efficaces, mais plus portées par leur image que par une réelle crédibilit­é artistique. Cela correspond­ait à la vision de Mickie Most : c’est à se demander si cet homme a écouté une seule fois un album en entier dans sa vie. Le single, le single, encore le single. Voilà ce qu’il avait en tête. Il est mort d’un cancer, un mésothélio­me, le 30 mai 2003. Il avait seulement 64 ans. L’injustice est énorme pour un homme qui avait passé une vie irréprocha­ble et était devenu un fanatique de sport. A son enterremen­t, parmi les convives, Jimmy Page, Jeff Beck, Lulu et Donovan, avaient l’air plus grave que d’habitude.

Compilatio­n “The Pop Genius Of Mickie Most” (Ace)

Il prend Suzi Quatro sous son aile, l’emmène à Londres en pleine extravagan­ce glam rock

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