Rock & Folk

MARK LANEGAN

L’Américain pose sa voix grave sur un quinzième album teinté d’électroniq­ue. Rencontre dominicale avec un homme qui croit aux esprits mais pas au streaming.

- Jonathan Witt

RECUEILLI PAR JONATHAN WITT

MARK LANEGAN, ET C’EST PEU DIRE, EST UN PERSONNAGE QUI EN IMPOSE. Par sa riche et passionnan­te carrière bien sûr, mais aussi son allure. Immense silhouette, cheveux cramoisis, larges bésicles, le colosse, tout de noir vêtu mais emmitouflé dans une veste en laine immaculée, ressemble à un prince des ténèbres en goguette parmi les mortels. Dès que nous avons pénétré dans son antre, il s’empresse de verrouille­r la porte, pour mieux allumer, dans la foulée, une cigarette. Le regard perçant, le timbre toujours plus grave — il attribue cette caractéris­tique à la génétique plutôt qu’aux excès — Mark ne se départ jamais d’une certaine intensité, développan­t une aura quasiment mystique. Celle d’un survivant devenu une figure culte du rock’n’roll actuel.

Heurtoir maudit

ROCK&FOLK : Votre album s’intitule “Somebody’s Knocking”. On pourrait imaginer que c’est un esprit qui frappe à la porte... Mark Lanegan : Pourquoi pas... Ce bout de phrase, “somebody’s knocking”, figurait dans les paroles de l’une des chansons et je l’avais gardé en tête. Par ailleurs, ma femme avait acheté un heurtoir pour le fixer sur la porte du studio, et j’aimais bien son aspect, avec cette tête diabolique. Je l’ai donc pris en photo avec mon téléphone. Ma femme a entendu des récits disant que ce heurtoir était maudit. J’ai donc peut-être jeté un sort sur mon studio et mon album avec celui-ci...

R&F : Vous croyez à ce genre d’histoires ?

Mark Lanegan : Oui. Je n’y ai pas toujours cru, mais j’ai vécu quelques évènements qui étaient vraiment inexplicab­les... J’ai eu des copines qui avaient d’étranges dons et qui étaient bien plus sensibles à ce type de choses que moi. Je pense qu’il y a tout un monde invisible, et que certaines personnes peuvent entrer en contact avec celui-ci, bien plus que d’autres.

R&F : Revenons à cet album, qui est double. Ne s’agit-il pas d’une démarche un peu anachroniq­ue, en ces temps dominés par Spotify ?

Mark Lanegan : Je n’accorde pas tellement d’attention à ce qui se passe dans le monde réel. J’ai toujours pensé mes albums au format vinyle, et ai souvent eu cette envie de faire un double album. Le prochain, qui va sortir au printemps, en est un également. Le suivant, que je vais enregistre­r avec Black Phoebe, qui est le groupe que je mène avec ma femme, sera probableme­nt double aussi. Je me fous de mes revenus Spotify ou de savoir si les gens achètent encore des disques. Je réfléchis toujours de la même manière et ça ne risque pas de changer.

R&F : Vous n’avez pas l’air de porter les sites de streaming dans votre coeur...

Mark Lanegan : Je pense que Spotify a littéralem­ent détruit les revenus de nombreux musiciens. Ils donnent notre musique presque gratuiteme­nt. Je n’ai jamais gagné ma vie sur les ventes de mes disques, mais ils ont trouvé un système qui est pire que l’époque de Bo Biddley, qui lui au moins recevait une putain de Cadillac d’occasion pour ses chansons. Maintenant, tu ne gagnes rien. Je pourrais comptabili­ser 500 000 lectures sur Spotify en une année et gagner davantage en travaillan­t chez McDonald’s.

Ce que j’ai en tête

R&F : Cet album est porté par des sons électroniq­ues et des boîtes à rythme. D’où vous vient ce goût pour les machines ? Mark Lanegan : Cette inclinatio­n date de quand j’étais gosse, lorsque mon père m’a dégoté un vinyle d’occasion, “Autobahn” de Kraftwerk, lequel était d’ailleurs dans un état assez piteux. Ensuite, dans les années 80, j’écoutais ce qui était populaire à ce moment-là, comme New Order ou Depeche Mode. J’ai continué dans les années 90. Aujourd’hui encore, ce que j’aime écouter est en dehors des sentiers battus de la musique électroniq­ue, comme Martin Jenkins,

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