Rock & Folk

JULIEN GASC

Sur son troisième album, le musicien français embarque dans un voyage fait d’influences sud-américaine­s et forestière­s.

- Jérôme Reijasse

PARTOUT, DES CARS DE FLICS et des gens qui marchent sous la pluie parisienne. C’est la grève et il n’y a que les privilégié­s et les aveuglés pour s’en plaindre. Julien Gasc est ponctuel et toujours barbu. Il propose de parler de son nouvel album, “L’Appel De La Forêt”, dans un restaurant miniature et oriental. Le patron, accueillan­t, lorsqu’il aperçoit l’enregistre­ur, informe qu’ici, il a déjà servi Mimie Mathy, Fabrice Luchini et quelques rappeurs. “Je sais pas si monsieur est dans le rap ou quoi ?” demande-t-il, le sourire franc. “J’ai fait une reprise du ‘En Mode’ de Rohff”, répond Julien Gasc. Son disque, encore chez Born Bad, chante l’amour et l’abîme, les loups que nous devrions être si nous avions encore un peu d’honneur et la neige purificatr­ice (Gasc est né un jour de tempête hivernale), c’est un mantra sauvage, libre, parfois difficile — une quête n’a jamais rien eu à voir avec le confort —, où les formats et les habitudes implosent. C’est un cri du coeur, des mains qui creusent la terre avec une foi absolument remarquabl­e. Ici, la vanité, le béton et la frilosité tombent sous les balles de l’enfance réactivée.

Oiseaux, arbres, rivières

Julien Gasc est effectivem­ent un môme qu’aucune obligation ne serait parvenue à soumettre. Il parle de ses chansons comme il les enregistre, il ne vulgarise rien, ne relativise rien, il vibre, avec une force et une violence délicieuse­s. Qu’il raconte les sentiments qui nous poussent à vivre ou l’époque que nous subissons, sa musique malaxe les continents et les influences pour mieux n’être qu’elle-même. Et c’est encore un voyage sans selfie ni tour-opérateur auquel il convie l’auditeur. Machette, visions et ruisseaux serpentant loin des villes mortifères. Plus Werner Herzog que Nicolas Hulot, assurément. En guise de préambule, il dit : “Mon disque sort le jour du

Brexit...” Mais laissons aux hommes connectés les débats stériles et plongeons plutôt au coeur de cette forêt magique. Enregistré à Londres en une semaine, comme son prédécesse­ur — les voix ont été capturées plus tard en France —, “L’Appel De La Forêt” devait, au départ, n’être qu’en anglais. Avant finalement de privilégie­r la langue de Dominique Rocheteau. Il y a tout de même la chanteuse Catherine Hershey, fidèle, originaire de Pontiac, dans le Michigan, qui joue ici le rôle du miroir anglophone sur ce disque fantastiqu­e. Et cette reprise en toute fin de disque, “Undying Eyes”, de Chris A Cummings, “un crack de la nouvelle soul dans l’Est américain”.

Et ce titre d’album sylvestre ?“Moi, j’ai grandi dans la forêt et, chaque fois que je suis en ville, j’entends cet appel de la sauvagerie, qui me dit : ‘Julien, rentre, reviens !’ C’est aussi l’appel d’une femme qui m’attire vers ses grands bras pour me choyer. J’ai très vite pensé, en termes de production, à la musique brésilienn­e, aux percussion­s. Tous les instrument­s percussifs au Brésil sont là pour représente­r les sons de la forêt : oiseaux, arbres qui craquent, rivières... Et dans chaque morceau, il y a des percussion­s... La première chanson qui m’est venue, elle parlait d’un chasseur qui pistait une louve dont il est amoureux. A la fin, ce chasseur voit la pureté sauvage en face de lui et, plutôt que de shooter la louve, il se tire une balle... Finalement, je ne l’ai pas faite, mais ça m’a permis de digresser et de parler d’amour plutôt que de moi en train de faire l’amour à un arbre...” Ce disque clôt, en fait, une trilogie. “Dans ‘Cerf, Biche Et Faon’, j’ai donné mon âme. Dans ‘Kiss Me, You Fool!’, j’ai donné mon esprit et, là, c’est le retour au corps. C’est pour ça que ça va plus danser sur ce disque, c’est davantage sur les grooves.”

Maracatu et pagode

Julien Gasc est amoureux et ça s’entend. Il ne chante plus la rupture mais bel et bien les sentiments qui emportent. Musicaleme­nt, il avait ce désir de retourner, oui, à la danse (des danseuses seront d’ailleurs avec lui sur scène). Il parle avec ferveur de cumbia colombienn­e, de maracatu et de pagode brésiliens, de cueca chilienne, des danses sud-américaine­s qui hantent ce disque pour le meilleur. De Chico Buarque, dont le disque “Calabar” a été crucial pour la conception de “L’Appel De La Forêt” et de plein d’autres choses. Il y a tout ça dans cet album qui refuse de s’aligner. C’est un regard plein de passion, posé sur un monde qui ne sait plus comment faire pour déchirer le brouillard qui va l’engloutir. Ce sont des paradoxes furieuseme­nt vivants, la volonté de ne pas ignorer que l’humanité mérite mieux que des slogans boutonneux. La musique de Julien Gasc possède ce qu’il faut pour terrasser nos peurs et nos médiocrité­s. Elle est une transe, monstrueus­e et libératric­e.

Pump up the valium !

Album “L’Appel De La Forêt” (Born Bad Records)

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