NICOLAS GODIN
Avec un nouvel album qui parle de bâtiments et de lignes de fuite, le musicien de Air semble mettre en pratique la fameuse phrase de Frank Zappa : “Ecrire sur la musique, c’est comme danser sur de l’architecture.”
FILS D’ARCHITECTE élevé non loin du château de Versailles, étudiant en architecture lui-même, Nicolas Godin a grandi dans un environnement où les perspectives, les volumes et les lignes de fuite avaient de l’importance. Fidèle à ses origines, il a donné avec Air, dès la fin des années 90, une dimension inédite à la pop française. Il l’a fait briller, comme personne avant le duo, au-delà de l’Hexagone. Après “Contrepoint”, un premier album solo en forme d’hommage à Jean-Sébastien Bach paru en 2015, et la parenthèse “Au Service De La France” (il a signé la BO de cette série télévisée), Godin concrétise un vieux rêve : publier un disque chic qu’il apparente lui-même, en référence à l’album le plus clinquant de Roxy Music, à une sorte de “variété internationale à la ‘Avalon’ ”. Cette oeuvre, il l’a pourtant concoctée, volontairement, dans un environnement modeste : un home-studio à peine amélioré. Mais voilà, dans sa tête et entre ses oreilles, Nicolas Godin a toujours pensé les choses en grand, en beau. Rencontre avec l’un des plus fins compositeurs de la pop d’ici.
Des cordes neuves
ROCK&FOLK : C’est à l’artiste protéiforme Xavier Veilhan qu’on doit en partie “Concrete And Glass”.
Nicolas Godin : Oui, lorsqu’il a exposé dans des lieux à l’architecture remarquable, il m’a chargé de l’habillage sonore pour ce que j’ai considéré, au départ, comme des expériences. Cette collaboration a débuté à Los Angeles, ville reflet de toute une culture, musicale, cinématographique et donc visuelle, à laquelle j’ai toujours été sensible. Un peu dans la continuité de ce que nous faisions déjà avec Air, j’ai créé des bandes-son pour ces expositions que les visiteurs avaient dans les oreilles tandis qu’ils déambulaient. Aujourd’hui, les gens qui vont au cinéma ne sont pas étonnés de découvrir la BO en même temps que le film. Je pense sincèrement qu’un jour, dans les musées, la musique pourra avoir cette fonction.
R&F : Bach avait été le déclencheur de “Contrepoint”... Avez-vous besoin d’une idée-force avant de vous lancer dans un nouvel album ?
Nicolas Godin : Totalement. Dans la forme, “Concrete And Glass” ne pourrait pas être plus différent de mon premier disque, mais, à cette époque, j’avais déjà la volonté de laisser une trace, en l’occurrence de mon lien avec le compositeur, sous la forme d’une appropriation et d’une relecture de son oeuvre.
R&F : On imagine que, sur ce nouvel album, les morceaux sont tout à fait différents de ce qu’ils étaient initialement. Nicolas Godin : Absolument. J’ai voulu éviter l’approche musique de film systématique que je trouve assez ringarde, et la plupart des titres ont subi des modifications drastiques pour devenir de vraies chansons. Je n’ai, le plus souvent, conservé que la mélodie et les harmonies.
R&F : Après avoir travaillé quelques années dans le studio spacieux que vous partagiez avec Jean-Benoît Dunckel, vous avez enregistré ce nouveau disque dans une toute petite pièce... Nicolas Godin : Oui, louée à Ferber. Je me suis retrouvé là, au milieu de mon matériel, avec mes synthés, mon ordi, une nouvelle basse, une Music Man des années 80 sur laquelle j’ai mis des cordes neuves...
R&F : Une hérésie pour vous qui en changiez le moins souvent possible ! Nicolas Godin : Oui, mais je voulais un nouveau son et sortir de mes plans à la Gainsbourg. Avec mon producteur Pierre Rousseau, j’ai donc retravaillé tous les morceaux, puis nous avons fait les batteries en une journée dans un studio plus grand. J’en ai tiré des boucles rythmiques assez raides, à l’image des angles droits chers à certains architectes.
R&F : Paradoxalement, “Concrete And Glass” sonne très grosse production. Nicolas Godin : C’est fou et c’est en grande partie dû aux talents de mon producteur. Mais vous savez, lorsque je faisais “Ce Matin-Là” dans ma piaule à Montmartre, je voulais déjà que ça sonne comme Burt Bacharach (rires) !
Je n’aime pas ma voix
R&F : Vous avez sollicité des collaborateurs vocaux : Cola Boyy, Kadhja Bonet, Alexis Taylor de Hot Chip...
Nicolas Godin : Je n’aime pas du tout ma voix et lorsque je m’en sers, elle passe systématiquement par un vocoder. Bien sûr, j’aurais pu faire appel à des chanteurs de ma génération que j’aurais eu plaisir à retrouver, mais après avoir longuement réfléchi, j’ai choisi des jeunes, assez peu connus. Je tenais à ce que personne ne vole la vedette aux chansons, que le disque sonne frais.
R&F : A la fois, l’utilisation du vocoder renvoie aux années Air.
Nicolas Godin : Certes, même si je ne l’avais plus utilisé depuis des lustres... Mais j’assume tout à fait ce choix car, quelque part, c’est mon héritage.
Album “Concrete And Glass” (Because)
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R&F
FÉVRIER 2020