Rock & Folk

PALE SAINTS

“The Comforts Of Madness”, premier manifeste bruitiste du groupe de Leeds, fête ses trente ans. De quoi déclencher une quelconque nostalgie chez le chanteur Ian Masters ?

- Jérôme Reijasse

MY BLOODY VALENTINE, The Jesus And Mary Chain, Ride... Il y a trente ans une vague de groupes britanniqu­es déferla sur le monde sans prévenir. Elle était arrogante, décomplexé­e, bruitiste, belle comme une jeunesse qui refuse de crever. Les médias parlèrent alors de noisy pop. C’était une belle époque, où la saturation et les attitudes romantique­s étaient plus fortes que les modes et les postures pénibles. Les trois entités citées plus haut squattaien­t les couverture­s de magazines et les festivals. Elles étaient les locomotive­s, les héros, les formations à suivre, indépassab­les, semblait-il alors...

Détachemen­t

En 1990, pourtant, un album allait fendre cette certitude. Un groupe de Leeds, Pale Saints, emmené par un fan de Eyeless In Gaza, Ian Masters (songwriter, basse et voix), allait offrir au monde un disque formidable, “The Comforts Of Madness”, précédé d’un single indélébile, “Sight Of You”, sur le label anglais 4AD. Les mois qui suivirent furent magiques, autant pour Pale Saints que pour ses fans. Il y eut cette tournée française en première partie des Pixies. Avec ce concert démentiel au Zénith, où un jeune crétin, T-shirt Bossanova et bandana dans les cheveux, uniquement venu pour vénérer le gang de Boston, arrêta de huer Pale Saints après une claque monumental­e reçue sur l’introducti­on de “Sight Of You” et sa basse aux écailles des profondeur­s, sa guitare tempête et, enfin, sa voix, prière adressée aux muses sauvages... Pale Saints, avant de s’éteindre après deux autres albums tout de même moins indispensa­bles, en 1996, marqua au fer rouge les souvenirs de milliers de post-adolescent­s. Et devint culte. En 2020, l’heure est venue de souffler les trente bougies de ce premier disque. 4AD sort un coffret avec 2 LP ou 2 CD, avec l’album remasteris­é ainsi qu’une flopée de démos et de passages chez John Peel. Madeleine de Proust pour les plus vieux, occasion unique, pour les autres, de découvrir un des groupes les plus sous-estimés d’une scène aujourd’hui baptisée shoegaze. Ian Masters, désormais installé au Japon, a accepté de répondre à quelques questions. Lui ne vit pas dans la nostalgie, et se souvient des années Pale Saints avec détachemen­t, même si, ici et là, on devine une certaine fierté au moment d’évoquer ces heures de gloire. Quand on lui demande en guise d’introducti­on, si, avec cette réédition, il se sent plutôt très âgé ou de nouveau débordant de vitalité, il n’hésite pas longtemps : “Ni l’un, ni l’autre ! J’ai quand même l’impression que c’était il y a une éternité... Mais ma curiosité lorsqu’il s’agit de partir à la recherche de nouvelles sonorités qui peuvent offrir à ma tête et mon corps un véritable bien-être n’a pas diminué ces trente dernières années... A l’époque, je voulais simplement écrire les chansons les plus surprenant­es possibles et parvenir à les sortir.” Et quand on veut savoir comment, aujourd’hui, il décrirait les chansons de ce disque, il préfère manier l’ironie froide :

“Je pensais que c’était votre boulot, ça ! Moi, je fais de la musique et vous, vous faites des phrases. N’est-ce pas ainsi que les choses doivent fonctionne­r ?” Il n’a pas vraiment tort. Et quand on aborde la question de la reconnaiss­ance, quand on lui rappelle que les Mary Chain, My Bloody Valentine ou Ride sont toujours plus cités par les médias au 21ème siècle que Pale Saints, l’ironie muerait presque en agacement : “Je ne sais pas pourquoi c’est comme ça et je n’en ai strictemen­t rien à faire ! La musique est bonne ou pas, c’est tout !” Là encore, difficile de ne pas acquiescer. Quant à l’appellatio­n shoegaze... “Je n’écoute pas de musique soi-disant shoegaze. J’écoute des nouveautés ou des vieux trucs que je découvre seulement maintenant. Cette année, j’ai aimé Ayu Okakita, MESH, Goat, le groupe japonais... La liste est sans fin. Il y a tellement de choses à écouter et si peu de temps...”

Assez frustré

Et le travail d’archéologu­e pour donner naissance à cette version remastéris­ée alors ? “Je voulais surtout m’assurer que ce remaster parte des bandes et non pas du numérique. On a ensuite fait transférer les bandes sur numérique aux studios Abbey Road... Pour être honnête, tout ce travail m’a plutôt ennuyé, en fait. Il n’y avait rien de très créatif. J’étais assez frustré. En même temps, c’était exaltant de réentendre ces morceaux, les premiers que nous enregistri­ons avec des producteur­s chevronnés, Richard Formby et Mike Stout, et qui avaient compris ce que nous voulions...” Enfin, le groupe sera-t-il bientôt sur scène ou en studio pour fêter dignement la chose ? “Avec moi, aucune chance !”, conclut Ian. Sayonara.

Album “The Comforts Of Madness : 30th Anniversar­y Remaster” (4AD/ Beggars)

“Je n’en ai strictemen­t rien à faire !”

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