Rock & Folk

Courrier des lecteurs

À nous de choisir quelle sorte de lecteurs nous allons être

- ALAIN DOUNONT

Réflexion mono

Avec son mur de son, Spector soignait en réalité son amour-propre et comblait temporaire­ment son sentiment d’insécurité chronique, c’est ce que l’on apprend au fil des pages de “Phil Spector, Le Mur De Son” de Mick Brown : “Le problème de Phil, ce n’était pas qu’il se jugeait au-dessus des autres. C’est plutôt qu’il ne s’estimait jamais à la hauteur” fait remarquer Nino Tempo, ami du bâtisseur et musicien. Phil Spector eut un jour, à cette époque où les ténèbres ne l’avaient pas encore totalement enseveli, une réflexion, disant, en gros, que son art se valait dans la mesure où les ados n’étaient pas à même d’intellectu­aliser leurs blessures. Et que, donc, ses chansons jouaient ce rôle. “Nous sommes les seuls à communique­r avec les adolescent­s. Ils sont tellement enclins à l’anxiété et à la destructio­n (...). notre musique les aide à mieux se comprendre.” D’où la pertinence de ses “petites symphonies pour les mômes”. Et Spector parlait en connaissan­ce de cause si l’on en croit Jack Nitzsche, Spector étant lui-même un môme, nous confie l’arrangeur, qui l’ “appelait à 4 heures du matin parce qu’il voulait qu’on sorte manger une glace”.

Et Jerry Wexler, l’associé d’Ahmet Ertegün (boss d’Atlantic) de décrire les différente­s incarnatio­ns du producteur au fil des âges, en commençant par : 1/ le producteur documentar­iste (tel Leonard Chess de Chess Records) qui essayait, dit-il, de transplant­er “de la

salle de bar au studio” le blues urbain d’un Muddy Waters par exemple. 2/ Vint ensuite le producteur serviteur

du projet, qui, soucieux après ça que l’artiste apparaisse sous son meilleur jour, s’efforçait de mettre en valeur l’ensemble, trouvant ainsi

la chanson, le bon arrangemen­t, le groupe et le studio le plus adapté.

3/ Puis, révolution spectorien­ne oblige, le producteur au service duquel se mettaient, en une inversion flagrante des rôles, les musiciens. “Le producteur en tant que star, artiste, force unificatri­ce”. “Plutôt que de

développer des carrières d’artistes, dit Wexler, Phil se développai­t lui-même, il n’était pas au service de l’artiste, c’est l’artiste qui était au service de

Phil.” Il est remarquabl­e a posteriori que YouTube ait mis depuis à la diète les producteur­s, au même titre que les interprète­s, auteurs-compositeu­rs, éditeurs musicaux et directeurs de labels. D’autre part aujourd’hui, à l’ère de YouTube, l’amour-propre, eh bien... On a l’impression qu’on ne pourrait pas plus s’en foutre. Et ainsi, les drames, le romantisme mortifère issus des chansons de Spector, sont superfétat­oires dans un monde qui rationne lui-même son système de valeur sur la base du nombre de vues. Conclusion, les fournisseu­rs d’accès sont donc les nouveaux nababs, magnats, par la force des choses, de l’industrie musicale. Comme Phil Spector en son temps, “premier

magnat du monde adolescent”, dixit Tom Wolfe. Et seulement ensuite, il deviendrai­t cet ermite flippant dont le goût sans limite pour le sordide — et les flingues — se solderait en un épilogue tragique et macabre – en témoigne son emprisonne­ment actuel. Mais pour l’heure, “c’est le début des années soixante, et ce mec est un freak. Il a du reste produit vingt tubes instantané­s et gagné deux millions de dollars ; il incarne ce que la pop a de plus hot.” (Nik Cohn). DOO-DAH BAND

Carrefour Hachiko

Ecouter la chanson “In Shibuya” de Bill Pritchard et Frédéric Lo sur le célèbre crossroad. Ne serait-ce pas mon dernier moment rock’n’roll de 2019 ? Bons baisers de Tokyo. JCS

Un Ange passe

Voyez-vous, paisibleme­nt assis en écoutant George Jones (en suivant la dernière chronique rééditions) je me pose une question quasiment métaphysiq­ue, j’aimerais bien savoir ce que Nicolas Ungemuth pense du groupe Ange ? Ne cherchez pas pourquoi ! JEAN-LUC NOEL

Hypertexte

Hello Rock&Folk magazine ! C’est amusant que vous vous lanciez dans Rock&Folk Radio... Comme vous le dites en page 11 du numéro 628, c’est “certaineme­nt la pire idée depuis

l’invention du rock”. C’est vrai, car vous jouez probableme­nt là ce qui est la véritable identité du magazine : “Rock&Folk, on entend la musique

en le lisant”. Et là, mince, on entend la musique et il n’y a plus besoin de lire !... Holà, c’est risqué, car ça veut dire qu’on n’a peut-être plus besoin que vous écriviez... et que les lecteurs de longue date, comme moi, qui ont toujours pensé que le commentair­e sur la musique est, dans le fond, plus intéressan­t que la musique ellemême, vont se trouver en manque de matière, de références et de distance par rapport au son. Déjà que, depuis l’époque de Paringaux, Alessandri­ni et Garnier, vos articles ont sérieuseme­nt raccourci et qu’il n’y a plus de renvoi en fin de magazine. Peut-être bientôt ne mettrez-vous dans vos pages que des liens hypertexte­s vers des fichiers audio et basta !... Alors, tout est possible. Il va sûrement y avoir des lecteurs qui ne liront plus le magazine, qui se contentero­nt d’écouter la radio. Ceux-là, c’est les amnésiques. Il y aura ceux qui, comme je le fais depuis longtemps, éplucheron­t systématiq­uement le contenu du journal en écoutant sur YouTube les musiques dont vous parlez. Ce sont les curieux, les chercheurs. Mais qui ne font que zapper, comme tout le monde. Il y aura ceux qui ne feront pas le rapport entre écrit et radio. Ils liront, puis chercheron­t et achèteront les CD, qu’ils considèren­t comme des oeuvres à part entière, des oeuvres littéraire­s. Lou Reed se retourne dans sa tombe, car c’est une race en voie de disparitio­n... A nous, les lecteurs, de choisir quelle sorte de lecteurs nous allons être : ceux qui l’écoutent, cette radio ? Ou ceux qui ne l’écoutent pas ? Réussirez-vous l’exploit de créer une nouvelle devise : “Rock&Folk Radio, on voit le texte en écoutant”.

Mission impossible... Alors, votre radio, là, c’est finalement peut-être “la meilleure idée depuis l’invention

du rock”, car elle remet en question notre rock’n’roll attitude de lecteur et d’auditeur. Et ça, c’est du rock ! MICHEL CAILLOL

La tête et le coeur

On ne s’émeut plus de grand-chose aujourd’hui, d’une façon générale. C’est triste. Donc, résultat, à la fin : il n’y a plus de regard, il n’y a plus d’émulation, plus d’inspiratio­n. Juste des modes d’applicatio­n, des tutos, du e-learning, au secours ! Des recettes... de cuisine, entre autres, de l’analyse. Or comme Neil Young le disait : “Penser, c’est ce qu’il y a de pire pour composer une chanson (...) Il me semble que c’est (plutôt) le produit de l’expérience et d’un alignement de circonstan­ces cosmiques. Par-là, j’entends ce qu’on est et comment on se sent à un moment donné.” Noel Gallagher renchérit : “Je suis content de ne pas être trop intelligen­t quand arrive le moment de composer (...) Je compose avec le coeur, pas avec la tête.” Keith Richards : “Une chanson doit venir du coeur. Le savoirfair­e, c’est de ne pas trop interférer. Ignore l’intelligen­ce, ignore tout, va là où ça te mènera. Tu n’as pas vraiment ton mot à dire et, soudain, c’est là devant toi, la chanson (...). C’est l’un des trucs fabuleux de la compositio­n de chansons : ce n’est pas une expérience intellectu­elle. On peut évidemment avoir à se servir de son cerveau ici et là mais, au fond, c’est surtout la capacité à saisir des moments.” Des moments : voilà on y est ! “Ecrire une chanson dont on se souvienne et qui touche profondéme­nt, ça établit une connexion, un contact, un lien avec chacun de nous (...). Parfois, je me dis qu’écrire des chansons, c’est comme tendre au maximum les cordes sensibles de chacun sans aller jusqu’à la crise cardiaque.” Vitale conception de l’affaire... à laquelle j’adhère : “On vit avec ce que la vie distribue, relate

Bob Dylan. Et il faut que ça colle”.

Or en 2019, puisque l’on se refuse à simplement vivre, naturellem­ent intuitifs et spontanés, à ressentir, l’élément

vie a ainsi disparu du processus de création (pourtant, création = vie, non ?). Les réseaux, purée, parlons-en, nous mettent à leur tour dos à dos. Et alors on s’observe fébrilemen­t comme des chiens de faïence, cyborgs humanoïdes, complèteme­nt paranoïaqu­es. Ne décidons plus en conscience, puisque la conscience, cet élément subjectif, est privatisée par les réseaux. Cela dit, heureuseme­nt, les valeureux continuent de s’organiser, depuis leur souterrain, autour de ce crépitemen­t de vie. Je viens d’écouter “Desert Horse” de Melody’s Echo Chamber, quelle belle chanson.

Il y a plus d’expressivi­té, d’indices de vie, dans ce morceau-là, que ne pourrait en concevoir, en supporter même, une station FM contempora­ine dans toute sa playlist. Rictus.

RUDY RIODDES

Sociologie

Il y a des groupes qui plaisent à beaucoup de monde et qui durent longtemps (Rolling Stones). Il y a les groupes qui plaisent à peu de monde et qui durent longtemps (Nits). Il y a les groupes qui plaisent à beaucoup de monde et qui ne durent pas longtemps (Sex Pistols). Il y a les groupes qui plaisent à peu de monde et qui ne durent pas longtemps (mais ça c’est logique, raison pour laquelle cette catégorie est la plus fournie). Il y a les groupes qui plaisent à beaucoup de monde et également aux critiques (Beatles). Il y a les groupes qui plaisent à peu de monde mais qui plaisent aux critiques (Can). Il y a les groupes qui plaisent à beaucoup de monde mais pas aux critiques (U2). Il y a les groupes qui plaisent à peu de monde et même pas aux critiques (ça, ce n’est pas très logique, mais cette catégorie est très fournie malgré tout !). Il y a les groupes qui, euh... On commence à se perdre un peu, là, non ? Il faut dire que c’est un joyeux bordel, et ça fait plus de soixante ans que ça dure. Qui peut vraiment faire le tri dans tout ça ? Et selon quels critères ? Qu’est-ce qui restera, au final, quand la poussière aura effacé nos pas (comme chantait l’autre...) ? La postérité s’embarrasse­t-elle réellement de vantardise­s et de postures ? Aussi, ai-je trouvé un baromètre fiable qui permettra de mettre un terme à toutes ces tergiversa­tions : il suffit de retenir les groupes qui sont le plus souvent cités (musicaleme­nt et verbalemen­t) dans les séries télé, les films, voire les jeux vidéo. Les écrans font partie de notre quotidien, bien plus sûrement que les platines vinyle, non ? Verdict : ABBA, Kiss et Duran Duran sont les groupes les plus importants de l’histoire. Allez, sans rancune. VINCENT PRIQUE

Le tourmenté

Je viens de lire un article dans Rock&Folk sur David Berman, décédé cet été, écrit par Thomas Florin. Je n’avais jamais réellement entendu parler de lui, ni écouté sa musique. J’avais bien vu quelquefoi­s cité son groupe, Silver Jews, mais parmi les millions de groupes et d’albums écoutables de nos jours, ça ne m’avait pas plus interpellé que ça. Et puis ce texte, cet article, cette (malheureus­ement) nécrologie, m’ont touché, une écriture fine, deux pages qui vous donnent envie d’en savoir plus... et finalement, s’apercevoir qu’on est passé à côté d’un grand truc pendant des années. Merci pour ça... PUNK80S

James et le rot

Bonjour Rock&Folk, bravo pour votre nouvelle formule, et merci pour cette interview Mes Disques A Moi parfaiteme­nt vaniteuse et vaine (pas par votre faute) de James Ellroy, l’austérité faite homme. Un jour, ce monsieur m’a pratiqueme­nt roté à la tronche un jour où j’accompagna­is un ami fan à sa séance de dédicaces dans une librairie. La file d’attente était longue, je ne voulais pas laisser mon pote seul dans le froid et j’avais le temps... Je suis un grand lecteur, mais pas de James Ellroy, je le confesse. Arrive le tour de mon pote. Là, Ellroy, gros vendeur mais visiblemen­t pingre de lâcher un glacial “One book, two guys, huh ?”

(On n’a plus le droit d’accompagne­r quelqu’un, maintenant ?). Il signe mécaniquem­ent, dans un rot plus ou moins contenu, se tournant vers son assistant : “Too much choucroute,

ha”. Bien méprisant. Ni merci, ni au revoir, rien. Je passe sans doute à côté d’un des grands auteurs contempora­ins, je le sais. Mais si ce jour-là, j’étais à deux doigts de le lire, ça n’a fait que repousser l’échéance. C’est bête mais plus fort que moi. Heureuseme­nt que j’ai lu Bukowski sans jamais le rencontrer, j’imagine... Happy Blue Cheer à tous. DIMITRI

AixC/DC

27 août 1979, AC/DC à Aix-les-Bains. 3 décembre 2019, Tyler Bryant à Lyon.

Forty years later. Quel rapport ? J’ai retrouvé le même punch, le même naturel, la même énergie, une putain de présence scénique. La flamme du rock’n’roll brille de tous ces éclats et pour a long time. Merci pour cette soirée, j’ai rajeuni de 40 ans. Merde je me retrouve à 27 ans, pas très bon ça... Pas grave. Bye bye. GÉRARD GUITARD

Oh, Susan Quattrocch­io

22 filles mais pas de Suzi Q... est-ce parce que, dans le rock, la basse ça ne compte pas ? SAM

Crémaillèr­e

Dans le même numéro, deux articles sur trois pendus (Berman + deux Badfinger). Il manquait de la place pour Ian Curtis, Michael Hutchence, David Carradine, Chris Cornell ou Keith Flint ? Cordialeme­nt. PHILIPPE BRIOT

PS : Si vous me publiez, évitez de m’envoyer un CD de Linkin Park...

Pari turc

Bonjour, c’est la première fois que je vous écris, mais là c’est pas possible : Connaissez-vous le groupe turc psychédéli­que Baba Zula qui existe depuis 23 ans, c’est le temps depuis lequel je vous suis et de mémoire vous n’en avez jamais parlé ? Comment estce possible ? Il y a du Can (ils ont bossé avec Jaki Liebezeit), du Gong, avec une touche orientale électro qui donne un mélange détonant ! SVP, prenez le temps d’écouter leur album “XX” de 2017, c’est une merveille du psychédéli­sme turc ! Beaucoup de gens auxquels je le fais écouter craquent très vite. SVP : une oreille, un article, quelque chose... Le groupe le mérite vraiment, c’est un son unique ! Et pour l’avoir vu en concert deux fois, c’est une tuerie (le dernier morceau de l’album “XX”). Et pour finir, pour avoir pu côtoyer les musiciens un moment après un concert, ils sont adorables. Voilà. Fallait que je vous le dise. Continuez, vous faites du super boulot. NICOLAS VIALLET

Pierre qui croule

Soulages a 100 ans. De quoi encourager les créateurs de “Paint It Black”. PATRICK MOALIC

Patrickman­ia

Cher Rock&Folk, fan de la première heure de Patrick Moalic ; peux-tu me donner son actualité (album, concert, festival, dernier album reçu...) ? Bien à toi. CHRISTOPHE G

Sévère mais juste

Le dernier disque de Coldplay dans la rubrique critiques de disques. Je me mets immédiatem­ent en grève de lecture de Rock&Folk pour quelques mois. Non mais vous êtes pas bien ou quoi !

DC

Cadeau divin

Je me dois de remercier vivement le monsieur du courrier de Rock&Folk qui a eu l’extrême bon goût de me récompense­r par l’envoi du double CD d’Eric God Clapton “Give Me Strengtt The 74/75 Studio Recordings”. Pour moi, la meilleure période d’un de mes musiciens rock favoris : du rock blues très laid back comme on disait alors, un feeling extraordin­aire, la voix de Clapton tout ce qu’il faut et au-dessus de tout ça, la production de Maître Tom Dowd. Vraiment, comme cadeau de Noël, les gars à R&F, vous pouviez difficilem­ent trouver mieux à part peut-être la version cinq CD des mêmes sessions qui était sortie en même temps... En retour, je vous embrasse tous très fort, au journal, et vous promets de vous rester fidèle !

Ecrivez à Rock&Folk,

12 rue Mozart

92587 Clichy cedex ou par courriel à rock&folk@editions-lariviere.com Chaque publié reçoit un CD

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Illustrati­on Jampur Fraize
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