Rock & Folk

Christian Décamps interview

Entre deux célébratio­ns au Trianon, le natif d’Héricourt, grand architecte du groupe, picore dans un demi-siècle de souvenirs.

- RECUEILLI PAR PIERRE MIKAÏLOFF

ROCK&FOLK : Remontons cinquante ans en arrière.

Christian Décamps : On avait un groupe de bal qui s’appelait Les Anges. On faisait des reprises : Hendrix, Moody Blues, Beatles, Free. C’était vers 1966-67. J’ai eu envie de chanter autre chose. A dix-sept ans, j’avais vu Brel sur scène. Il m’avait bluffé. Je me suis dit : “Ce qu’il chante, c’est du blues, faudrait mettre d’autres arrangemen­ts derrière ses textes, faire un truc encore plus fort.” Et je pense qu’on a fait ça dans “Le Cimetière Des Arlequins”, mais, pour revenir aux débuts d’Ange, j’ai battu le rappel et on a commencé à répéter “La Fantastiqu­e Epopée Du Général Machin”. Le courant progressif qui arrivait avec King Crimson. Procol Harum nous fascinait. Et puis, il y avait les Stones. C’était un éventail de choses qu’on adorait, on a tout mélangé, c’est comme ça qu’est né Ange. On répétait dans une écurie désaffecté­e, on a commencé à composer et on est parti sur la route.

R&F : L’élément déclencheu­r est le tremplin du Golf Drouot.

Christian Décamps : Notre manager nous a dit : “Il faut faire le Golf Drouot, sans ça vous ne serez jamais connus.”

Alors on est partis sur Paris. Les partenaire­s du tremplin étaient Rock&Folk et Le Métier. Le groupe gagnant décrochait un contrat d’enregistre­ment. On a joué un peu partout, on a vécu ces années un peu folles. Il y avait des festivals foireux où le mec se barrait avec la caisse. Auverssur-Oise fut un désastre ! On n’a pas pu jouer. Notre camion était enlisé jusqu’aux moyeux. C’est les pompiers, complèteme­nt bourrés, qui nous ont sortis du truc à deux heures du matin.

R&F : Quel accueil le public britanniqu­e vous a-t-il réservé au festival de Reading ?

Christian Décamps : Reading, c’est une grande scène centrale et deux plus petites de chaque côté. On était sur la scène côté jardin. Ça a bien marché, à tel point que le mec de chez Island voulait nous signer. En sortant de scène, on a été félicités par Carl Palmer et Greg Lake. Le chanteur de Marillion avait quinze ans, il m’a dit : “Je me souviens, t’avais tes marionnett­es. Tu fais partie des gens qui m’ont donné envie de chanter.” C’était une standing ovation en plein après-midi. Les seuls spots, c’était le soleil.

R&F : Venons-en à “Emile Jacotey”, un de vos sommets.

Christian Décamps : Ça a vraiment été un changement dans la carrière du groupe. Au départ, l’album devait s’appeler “Le Livre Des Légendes” et on devait se barrer sur des légendes francs-comtoises, lorraines, les triturer. Ça a germé dans ma tête en tournée au pays de Galles, j’ai dit aux autres : “Si on appelait l’album ‘Emile Jacotey’ ? On lui demande de nous prêter son nom et on y va.” On avait vu ce type dans les journaux. Une fois par semaine, il racontait des légendes au coin du feu. On est allés voir le vieux, on lui a dit : “On a besoin de votre nom, prénom.” C’est un anonyme qui est devenu célèbre. C’est la sérendipit­é, comme la tarte Tatin, il ne l’a pas fait exprès.

R&F : Les autres membres du groupe vous suivaient ?

Christian Décamps : Pas toujours. Moi, je partais dans mes délires, il fallait batailler. J’aimais bien qu’il y ait un dialogue avec les musiciens, qu’on avance sur le même fil, comme des funambules. En 1977, on était au sommet, c’est monté à la tête de certains. Ange a suivi un fil rouge, avec des gens qui sont montés à bord, comme un vaisseau qui prend des passagers. Il y en a qui ont voulu s’en aller, ils étaient libres.

R&F : Quelles étaient vos conditions d’enregistre­ment dans les années 1970 ?

Christian Décamps : Philips possédait le Studio des Dames. On avait le temps de faire ce qu’on voulait. On nous laissait assez libres artistique­ment. A partir du moment où les albums se vendaient, c’était : “Ouais, faites votre truc !”

R&F : Comment abordez-vous les années 1980 ?

Christian Décamps : On ne peut pas être numéro un toute sa vie. On l’a été pendant six ans et puis Téléphone, Trust, Lavilliers, Thiéfaine, Bashung sont arrivés. Il y a surtout eu le mouvement punk qui a mis un peu d’acide. On sent déjà le changement dans “Guet-Apens” où on part vers quelque chose de plus roots.

R&F : Comment percevez-vous l’avancée du temps ?

Christian Décamps : C’est intéressan­t de se voir vieillir et de prendre avec sérénité les petits aléas qui te contournen­t comme des étincelles, qui, quelquefoi­s, te pourrissen­t la vie et quelquefoi­s, bah... C’est pas si mal que ça finalement. Je n’ai pas trouvé d’autre moyen pour vivre que de vieillir. Ça se saurait sinon. J’ai toujours été attiré par l’avancée de la vie, la mort ne me fait pas peur du tout. Ce que je regrettera­i, c’est de ne pas avoir pu finir ce que je veux faire. Comme j’ai toujours quelque chose à faire, je regrettera­i de toute façon.

R&F : Il semble que la formation actuelle soit la plus stable qu’Ange ait connue.

Christian Décamps : Elle a fait la moitié des cinquante ans. J’ai la chance d’avoir des passionnés. C’est une formation incroyable. Mais on n’aurait pas eu tout ça si on n’avait pas eu tout ce qu’il y a eu avant. C’est pour ça que j’ai un profond respect pour l’arbre Ange, des racines à la pointe des bourgeons. On s’est bien amusé... pendant cinquante ans.

“Puis Téléphone, Trust, Lavilliers, Thiéfaine, Bashung sont arrivés”

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