Rock & Folk

Faiseurs d’Ange discograph­ie sélective

En 1978, dans Rock&Folk, Christian Décamps arbore un badge des Stranglers au revers de sa veste

- PIERRE MIKAÏLOFF

“Caricature­s” (1972)

Dès les premières notes de “Biafra 80” l’auditeur se trouve projeté dans l’univers parallèle d’Ange, peuplé de chevaliers et de dames dépravés, de diableries et de saillies anticléric­ales à la manière d’un Jacques Brel. On découvre un groupe affûté, qui rode son répertoire sur scène depuis deux ans. Les sonorités d’outretombe des deux orgues, les envolées de Brézovar à la guitare et à la flûte, les figures rythmiques complexes, sont magnifique­ment restituées par René Ameline, qui réalise l’exploit de mettre en boîte ce premier album en une semaine au studio Davout.

“Le Cimetière Des Arlequins” (1973)

Roger Chapman, le chanteur de Family, et Jacques Brel figurent parmi les artistes qui ont donné envie de chanter à Christian Décamps. On comprend facilement pourquoi : la truculence de l’un, la présence scénique de l’autre, se retrouvent dans son jeu théâtral. Une filiation revendiqué­e sur ce second album avec cette reprise magistrale de “Ces GensLà” qui fit découvrir le chantre du Plat Pays à une nouvelle génération. Pour le reste, “Le Cimetière Des Arlequins” est traversé d’incantatio­ns, de défis lancés aux dieux et de riffs lourds et maléfiques que ne renierait pas la première incarnatio­n de Black Sabbath.

“Emile Jacotey” (1975)

L’album est conçu comme un recueil de légendes. Certaines ont été recueillie­s auprès du maréchalfe­rrant de 85 ans qui lui prête son nom, d’autres sont issues de l’imaginatio­n fertile de Christian Décamps. La face A s’ouvre sur l’évocation d’un Gilles de Rais local : “Ça se passait au Moyen Age. Le comte de Vouilley était une sorte de pédophile qui, une fois qu’il avait abusé d’elles, égorgeait les petites filles avec une lame en leur demandant de dire : ‘Bêle, bêle petite chèvre’.” L’ambitieuse suite “Ego Et Deus”, qui occupe la presque totalité de la face B, a été composée et enregistré­e dans l’urgence et garde un goût d’inachevé. Près de quarante ans plus tard, Ange en livrera la version définitive sur “Emile Jacotey Résurrecti­on”. Malgré ses faiblesses — toutes relatives —, le millésime 1975 reste un des sommets du groupe.

“Tome VI” (1977)

En mai 1977, au faîte de sa popularité, Ange remplit deux fois le Palais des Sports de la porte de Versailles et s’offre un double album live enregistré avec les moyens du Manor Studio de Richard Branson. Galvanisé par la présence du public, le quintette livre une version dynamisée de son répertoire, digresse pendant plus d’un quart d’heure sur “Dignité”, flirte avec le krautrock sur l’inédit “Le Chien, La Poubelle Et La Rose (Il Est 22 H 30)”, et confirme son statut, pour quelque temps encore, de premier groupe français.

“Guet-Apens” (1978)

En 1978, dans Rock&Folk, Christian Décamps arbore un badge des Stranglers au revers de sa veste. Rocker des champs, peut-être, mais pas déconnecté des bouleverse­ments qui viennent de secouer la planète rock. Le renouvelle­ment n’est pas perceptibl­e que dans la musique — notamment grâce à l’apport du nouveau guitariste Claude Demet. Le Moyen Age et les fées ont disparu des textes. Les thèmes sont plus actuels, mais le ton reste cinglant. “Réveille-Toi !”, inspiré d’un fait divers, narre une relation nécrophile, quelque part entre Edgar Allan Poe et Bukowski. Dans “Cap’taine Coeur De Miel”, que Christian présente comme

“une des plus grandes réussites dans la carrière du groupe, un personnage qui existe en moi”, il évoque le dernier voyage d’un Achab imbibé de rhum. Un final grandiose pour un groupe qui s’apprête lui aussi à affronter la tempête.

“Les Larmes Du Dalaï Lama” (1992)

Si, dans les années 1980, la discograph­ie d’Ange est inégale, le groupe entame la décennie suivante avec cet album gorgé de singles potentiels qui, dans un monde parfait, auraient dû séduire les programmat­eurs de la bande FM. La verve de Christian n’a rien perdu de son insolence, sa voix a gagné en rondeur et en puissance. C’est aussi le dernier album studio réunissant les frères Décamps et les grognards Haas, Guichard et Brézovar.

“Heureux !” (2018)

Cette oeuvre hybride, enregistré­e devant un public dans les conditions du studio, est l’occasion, pour ceux qui auraient manqué les récents épisodes, de réaliser qu’Ange a un passé mais aussi un présent et sans doute un futur. Francis est parti, mais Tristan Décamps a pris sa place derrière les claviers. La formation actuelle est impression­nante de précision et de versatilit­é, passant du galop sauvage sur “L’Autre Est Plus Précieux Que Le Temps”, à la rêverie intersidér­ale sur “Nancy-Jupiter A La Nage”. Il y a aussi cette chanson toute simple, “Heureux !”, de celles qui se passeraien­t presque d’orchestrat­ion, de celles qu’on élabore lentement depuis le secret de son atelier et dont la formule se transmet... de père en fils.

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