Nicolas Godin
“Concrete And Glass”
BECAUSE
Il y a une certaine logique à ce que “Concrete And Glass”, troisième album solo de Nicolas Godin, fondateur du groupe Air, sorte à la fin de la décennie 2010, tant il y a toujours eu chez Air une ambition futuriste évidente. Mais qu’on s’entende : le futurisme des albums d’Air est un futurisme anachronique, un futurisme à l’imparfait. L’avenir selon Air, c’est celui qu’imaginaient déjà Jules Verne, Méliès (on se souvient de la BO pour une version colorisée du “Voyage Dans La Lune”), ou Le Corbusier, auquel le dernier titre de l’album, “Cité Radieuse”, rend hommage. La pop de Nicolas Godin porte en elle cette nostalgie des possibles non advenus. Logiquement, cette musique qui se rêve à dix millions d’années-lumière s’est toujours vouée à la conquête de l’espace, au double sens du terme. Cet art de la légèreté est son atout et sa limite. Rien ici n’atteint tout à fait les vertigineux sommets du meilleur krautrock (Popol Vuh, Michael Rother, Can), influence évidente, mais tout est régulièrement somptueux ; Godin, moins architecte que couturier, brille surtout par le sens du détail, en minutieux arrangeur de matières sonores : batterie jouée aux balais et trompette en sourdine froufroutant de concert sur “Cité Radieuse”, quelques notes de synthétiseur s’éparpillant en séquences à la Philip Glass sur “We Forgot Love”, chuintements de vocoder sur le très beau “The Border”. En ces temps incertains, rien de plus désuet, de plus admirable aussi, que ce modernisme obstiné et fier qui, au contraire de la plupart des grands films de science-fiction des dernières années (“Ad Astra”, “Gravity”), films de deuil, d’effroi, de chute dans le vide terminal, s’émerveille encore d’un ciel étoilé. ✪✪✪