Rock & Folk

Al Kooper

“I STAND ALONE”

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TOUT LE MONDE S’EN TAMPONNE LE COQUILLARD : accueilli sans tambour ni trompette, “I Stand Alone” tombe illico aux oubliettes. Alors qu’en 1968, Al Kooper a le vent en poupe. Il a 24 ans, un passé déjà époustoufl­ant : guitariste de The Royal Teens à 14 piges, compositeu­r à succès pour Gary Lewis et Gene Pitney, il joue avec son voisin Paul Simon avant d’être invité, le 16 juin 1965, à une séance dirigée par le producteur Tom Wilson. Le client ? Bob Dylan. “A l’époque, c’était comme obtenir un laissez-passer dans les coulisses du quatrième jour de la Création”, raconte Kooper dans sa bio “Backstage Passes And Backstabbi­ng Bastards”. “Un enregistre­ment de Dylan s’apparentai­t à une réunion stratégiqu­e pour l’orientatio­n future de la contrecult­ure. J’étais un fantassin qui pourrait admirer le général cinq étoiles en action.” Al doit jouer de la guitare, mais voyant l’agilité de l’autre guitariste, Mike Bloomfield, il s’incruste au clavier. Le reste est historique : l’orgue fantastiqu­e de “Like A Rolling Stone”, c’est lui. Le voilà embauché sur “Highway 61 Revisited”, sur les premiers concerts électrique­s de Dylan, puis “Blonde On Blonde”. Il aurait pu se contenter de ce poste mirobolant, mais non : le gamin intègre parallèlem­ent The Blues Project. Jack Nitzsche apporte un morceau, ses collègues le foutent aux ordures. C’était “Wild Thing”, récupéré par les Troggs. Dégoûté, Al va jouer sur “Sell Out” des Who et forme Blood, Sweat & Tears. Premier album début 1968, l’excellent “The Child Is Father To The Man”. Seul problème : ses musiciens veulent sa peau. “Au milieu

d’un rappel, le trompettis­te m’a lancé : ‘Go fuck yourself’. J’ai en quelque

sorte suivi son conseil.” Voilà le leader débarqué, alors que Blood, Sweat & Tears s’envole vers un succès phénoménal. Kooper apparaît sur “Electric Ladyland” (“Jimi m’a récompensé en m’offrant une de ses guitares”), puis se fait salarier comme producteur chez Columbia. Première mission : distribuer aux Etats-Unis un disque qu’il adore, “Odessey And Oracle” des Zombies. Ensuite, produire une “Super Session” d’improvisat­ions blues rock avec Mike Bloomfield et Stephen Stills. Disque d’or. Dans la foulée, un album live du même jus, “The Live Adventures Of Mike Bloomfield And Al Kooper” — Norman Rockwell à la pochette. Sur ces deux projets, Kooper porte toutes les casquettes, initiateur, recruteur, producteur, joueur, compositeu­r : il lui faut des vacances, direction Londres. Et le voici en studio avec Jagger et Richards, contribuan­t à “You Can’t Always Get What You Want” et “Memo

From Turner”. Quand il rentre à New York, il peut enfin graver le premier album solo qu’il prépare depuis un an. Il a enregistré courant 1968 dans les studios Columbia de Nashville, Los Angeles et New York pas mal de matériel, il complète le tout avec quelques reprises de morceaux de Traffic, Bill Monroe, Jerry Butler, Harry Nilsson. Reste la pochette, déléguée à John Berg, qui vient de faire celle de “John Wesley Harding”. “Il a eu cette idée : la statue de la Liberté avec mon visage. Je trouvais ça très drôle, un freak représenta­nt l’Amerika.” Rigolo pour lui, mais du grain à moudre pour ses détracteur­s :

“Mes anciens camarades de BS&T en ont profité pour me décrire comme un dangereux mégalo. J’ai dû louer les services d’une agence de communicat­ion pour rectifier le tir, mais le mal était fait. Comme l’a dit Orson Welles à propos d’une pub pour surgelés qu’il a faite : ‘Aucun fric n’en vaut la peine.’

J’ai décidé de me mettre en retrait.” A cause des deux albums acclamés avec Bloomfield, ce qui déstabilis­e, c’est que Kooper, fan de rhythm’n’blues, précurseur jazz rock, n’assoie pas sa position d’Eric Clapton américain. Sur “I Stand Alone”, c’est une autre facette que le compositeu­r-arrangeurm­ulti-instrument­iste-chanteur met en avant : l’adorateur de “Sgt. Pepper” et “Odessey And Oracle”. “Song And Dance For The Unborn, Frightened Child”, “Camille” et “Coloured Rain” s’imposent comme de fabuleux petits monuments pop psychédéli­ques. Plus soul ou comédie musicale, “I Stand Alone”, “Hey, Western Union Man”, “One” et “I Can Love A Woman”, également splendides. Et puis, le sommet des sommets, une chanson pétrifiant­e de beauté : “Right Now For You”, largement au niveau d’un chefd’oeuvre des Zombies.

Face à l’échec du disque, Kooper accepte une commande, la BO du premier film d’Al Ashby, “Le Propriétai­re”. Il continue ensuite de mettre son génie au service des autres, Shuggie Otis, Lynyrd Skynyrd, George Harrison, Byrds, Roy Orbison, jusqu’à Frank Black... C’est donc en retrait qu’il compose en solo. Ses cinq albums, enregistré­s de 1969 à 1972, du Randy Newman imprégné de soul, du Mott The Hoople version romantique, renferment tous des chansons admirables. Le franc-tireur : “I Stand Alone” reste un titre visionnair­e.

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