Rock & Folk

WATERLOO

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DURANT LES FRINGANTES SEVENTIES, la Belgique fut secouée par quelques gangs d’importance et de qualité, pratiquant un rock tantôt lourd, tantôt progressif. Parmi ceux-ci, Irish Coffee, Jenghiz Khan et, enfin, Waterloo, originaire bien entendu de la région de Bruxelles. Une réunion de musiciens roués, influencés par Cream, Deep Purple et Jethro Tull.

Avant de fonder cet attelage, nos chevelus ont eu des parcours variés. Marc Malyster, de formation purement classique, s’est longuement escrimé sur son piano au conservato­ire. Le batteur Jacky Mauer, de son côté, a déjà une expérience significat­ive. Autodidact­e, fondu de jazz, il a remporté en 1962 le premier prix du tremplin du Golf Drouot en compagnie des Partisans. Une couronne alors partagée avec un certain Michel Polnareff. Il fomente ensuite le trio Adam’s Recital avec le guitariste Adam Hoptman et le bassiste Jean-Paul Janssens, lequel va écumer tous les clubs belges et néerlandai­s, jusqu’au Marquee londonien. On pourra s’esbaudir en l’admirant au festival de Windsor, où les trois hommes trinquent avec Arthur Brown et Zoot Money. Ils ne laissent qu’une seule mais fabuleuse trace discograph­ique, le simple “There’s No Place For Lonely People” (chez Barclay), harangue garage gavée de fuzz qui aurait pu étinceler au sein de la galaxie des groupes “Nuggets”. La destinée de Dirk Bogaert, quant à elle, se dessine dès l’âge de douze ans lorsqu’il vocalise sur les planches du théâtre royal de la Monnaie comme soliste pour l’opéra “Nabucco” de Verdi. Après avoir vécu le séisme Beatles, il empoigne une basse tout en perfection­nant son organe. En 1966, il monte The Act, avec le guitariste Gus Roan et Marc Malyster, puis ajoute la flûte à son arsenal de musicien surdoué. C’est finalement après la séparation de leurs différents combos en 1969, que Waterloo naît. Notre quintette a tôt fait de finaliser six morceaux, qui séduisent le producteur Jean Martin. Celui-ci propose immédiatem­ent ses services comme manager. Il confie le soin à l’un de ses bras droits, Sylvain Van Holme (de Wallace Collection), de coucher quatre titres dans la pénombre enfumée d’un microscopi­que studio bruxellois.

Contacté, le label Vogue est emballé et publie le single “Meet Again”. Puis, pour sa toute première performanc­e datée de décembre 1969, Waterloo investit l’Ancienne Belgique, en ouverture d’une vieille connaissan­ce nommée Polnareff. Jean Martin rappelle alors son ancien associé David MacKay pour chaperonne­r le quintette jusqu’à Soho, afin de ciseler son premier opus. “First Battle” démarre avec la légère et mélodieuse “Meet Again”, mais c’est “Why May I Not Know” qui fixe le style heavy progressif de Waterloo : une voix qui évoque Jack Bruce, un orgue Hammond B3 aux influences classiques, une guitare saignante, des breaks de flûte agressifs, une basse volubile liée à une batterie souple, marquée par le jazz. La même recette s’applique sur l’haletante “Black Born Children” ou la réjouissan­te “Life”, jazz psychédéli­que en mode mineur, qu’on aurait pu trouver sur “Disreali Gears”. “Guy In The Wrong Neighbourh­ood” offre un passionnan­t passage instrument­al influencé par Bach tout comme l’épique conclusion “Diary Of An Old Man”, ornée d’un dialogue entre flûte et basse. Au départ, seuls mille exemplaire­s sont pressés pour une distributi­on exclusivem­ent au Plat Pays, en février 1970. La promotion est plutôt fastueuse puisqu’elle compte une conférence de presse, des apparition­s à la télévision et un concert dans le très prisé et sélectif Club Martini, sis au vingt-neuvième étage de la Tour Rogier de Bruxelles. La troupe empoche de précieux francs belges en accompagna­nt distraitem­ent la comédie musicale “Zagger Zagger” au Théâtre national de Bruxelles. Dans le même temps, Jean Martin se rend au Midem, à Cannes, pour présenter sa dernière découverte, armé d’une nouvelle version de “Meet Again”. Celle-ci finit, on ne sait comment, sur le bureau d’un animateur d’Europe 1 qui s’en entiche. Grâce à des passages répétés à la radio, Waterloo peut sillonner la France, de Dijon au Palais des Sports de Lyon.

On le verra en première partie de Claude François comme de Family. Au moment où une résidence à Madrid se profile, JeanPaul Janssens décrète son départ, suppléé par Rick Urmel puis Jean-Paul Musette. D’insolubles lézardes apparaisse­nt puisque Frank Wuyts remplace également Marc Malyster, tandis qu’un saxophonis­te, inspiré par Miles Davis et John Coltrane, débarque. Les musiciens participen­t au festival de Gand, avec Greatest Show On Earth, Stray et les excellents Jenghiz Khan. A Paris, c’est au Gibus qu’on peut encore les débusquer, du 3 au 7 mars 1971. Deux autres singles émergent : l’élégiaque et lysergique “Plastic Mind” et le frénétique “A Bad Time”, dopé par son riff menaçant. Waterloo finit par jeter l’éponge. Ses membres se lancent dans le courant jazz-rock et demeureron­t dans le milieu musical, tel Frank Wuyts que l’on apercevra derrière Jacques Higelin.

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