Frank Zappa
“EAT THAT QUESTION — FRANK ZAPPA IN HIS OWN WORDS”
Blaq Out
Diantre ! On a failli passer à côté de ce DVD paru il y a quelque temps déjà. Mais on l’a miraculeusement retrouvé dans un sac de courrier récemment ramené de la rédaction du journal. Coup de bol. Car ce documentaire sur Frank Zappa, le géant américain du rock sans pare-chocs, stoppé dans ses expérimentations par un cancer à l’âge de cinquante-deux ans, est un des plus réussi de la décennie. Réalisé par l’Allemand Thorsten Schütte qui l’a présenté dans les festivals les plus prestigieux (et même en France), “Eat That Question” a comblé les vieux fans du musicien et emballé des grappes de jeunes qui ne l’étaient pas encore. C’est d’autant plus fort qu’à un déroulé plan-plan et un récit scénarisé — et comme le sous-titre l’indique — Schütte a préféré aligner les propos du maître, qui considérait le cynisme comme le seul rempart contre la médiocrité. En clair, tout le budget du film est parti dans l’achat de bribes d’interviews de Zappa — aucun de ses proches ou de ses musiciens ne s’exprime — et d’extraits live astucieusement choisis. Bien sûr, en moins de quatre-vingt-dix minutes, Thorsten Schütte ne risquait pas de pouvoir évoquer l’ensemble de la vie (et donc de l’oeuvre) de celui qui, de toute façon, se voulait
“incernable et incondensable”, mais cet assemblage de mots dégringolés de sa bouche de moustachu aux lèvres fines constitue un portrait très certainement fidèle et, en tous cas, cautionné par sa famille (Gail, l’épouse de Zappa, est tristement décédée pendant l’élaboration du film). Comme souvent dans ce type d’exercice, la qualité de l’image pèche parfois, mais la plupart des séquences sont regardables et le ton, ainsi que les propos de celui qui se qualifiait avant tout d’ “entertainer”, font mouche et sont rugueux à souhait. Entre autres perles considérées ici comme des repères biographiques, la tirade dans laquelle Frank Zappa explique pourquoi il refuse de jouer en France à la Fête de l’Humanité vaut son pesant de cacahuètes. Il commence par déclarer qu’il n’est d’aucun bord politique, que les syndicats l’ennuient avant d’affirmer qu’il “emmerde les communistes” et que ceux qui entravent la liberté et notamment d’expression (une allusion à un concert perturbé par des étudiants) sont des fascistes. Aux journalistes qui le questionnaient à propos de son insuccès relatif et, en particulier, de ses difficultés à séduire les programmateurs radio, Zappa répondait que “les gens n’étaient pas habitués à l’excellence.” Evidemment, Schütte n’a pas manqué de ressortir de derrière les fagots, les fameuses interventions dans lesquelles il déglingue l’industrie discographique et les USA. On rit de revoir celui qui, dans les années 60 et 70, était considéré chez lui, comme un être méphistophélique, sabrer au clair ce qu’il appelle “la théocratie fasciste”. Dans la seconde moitié de “Eat That Question”, on comprend que Frank Zappa ne tenait pas à ce qu’on se souvienne de lui après sa mort, mais qu’il n’était pas mécontent de son oeuvre, qu’il considérait comme un tout. Le segment où il évoque l’arrivée des samplers et des ordinateurs est également à se tordre : “L’utilisation de la machine pour faire de la musique permet d’annihiler l’élément humain qui est le moins
fiable de la création musicale.” Sa rencontre avec Václav Havel en Tchécoslovaquie en 1990 et la campagne vaillamment menée pour empêcher la censure des textes de chansons qualifiés d’explicites sont deux autres temps forts du documentaire.