Rock, soul et autres musiques du diable

Les Beatles, Quatre Garçons Dans Le Siècle

FRÉDÉRIC GRANIER Perrin

Arrivera sans doute bientôt le moment où toutes les histoires du rock, les petites comme les grandes, auront été racontées et où ces quelques petites décennies d’effervescence n’auront plus aucun secret à révéler aux curieux et aux érudits. Eh ouais, c’est pas comme si le machin était explorable à l’infini ou que l’avenir du rock, en tout cas dans notre acception du terme, était assuré pour des siècles et des siècles. Une fois tous les protagonistes de l’âge d’or disparus et tous les témoins morts, quand les fans et les curieux auront déjà tout lu et qu’aucun nouvel ouvrage, ou presque, ne pourra plus rien apporter de neuf sur des sujets déjà si exhaustivement traités, les lecteurs endureront le même supplice réservé jusqu’alors aux seuls journalistes qui recensent les sorties littéraires rock, c’est-àdire se taper mille fois des récits des mêmes moments et des mêmes créations. Oui, on en est là, si on fait ce boulot, on a forcément lu vingt-huit versions différentes des Rolling Stones à Altamont, quarante de la mort de Cobain et quatorze de la conversion électrique de Dylan. Autant vous dire qu’on sait dans notre chair comme l’enthousiasme et la pressante motivation sont parfois durs à trouver quand il s’agit de lire, encore et encore, les mêmes histoires sous de nouvelles plumes. Et pourtant, le livre de Frédéric Granier “Les Beatles, Quatre Garçons Dans Le Siècle” véritable et rare somme écrite en français, réussit l’exploit d’intéresser sur un sujet apparemment si rebattu. Profitant du recul offert par le temps écoulé depuis l’explosion phénomène, Granier dresse en profondeur un tableau exceptionnellement complet, non seulement du groupe, de ses membres, de leur carrière et de l’empreinte culturelle et sociale de leur musique mais, aussi, comme le souligne le sous-titre du livre, de tout le contexte de cette éclosion et, donc, du siècle qui vit naître le prodige. Documenté comme le sont rarement les livres rock français, annoté de mille et mille références et interviews, indexé en grands détails, ce livre est indiscutablement une des plus précises et plus minutieuses lectures sur le groupe le plus connu du monde. Granier, donc, chronique tout, la musique, les embrouilles, les concerts, les femmes, les drogues, les tournées, les managers, véreux ou pas, sans rien omettre et sans jamais tomber dans le crapoteux ou l’hagiographie. Au contraire, fan sans doute mais ici avant tout véritable historien lucide et efficace, Granier signe-là une excellente biographie qui, finalement, tient tout autant de l’étude de moeurs d’une époque que du seul portrait des quatre musiciens et dépasse donc les frontières du rock pour atteindre le thème classiquement faustien du succès fou et de ses conséquences irréversibles, chapeau (melon) !

Juke, 110 Portraits De Bluesmen

CHRISTIAN CASONI Le Mot Et Le Reste

Aux antipodes des carrières de stars de rock ultra documentées, les premiers bluesmen sont, eux, notoirement méconnus et la plupart d’entre eux auraient même disparu corps et biens, comme avalés par les marais du Delta, si quelques fanatiques ne les avaient alors enregistrés et n’avaient gardé ces précieuses traces pour notre sainte édification. Car, au fond, c’est de prophètes qu’il s’agit, tout autant pour leur passion et leur ferveur souvent religieuse que pour les bouleversements engendrés par leur musique : nos chers rock, soul et autres musiques du diable. Mais des prophètes aux pieds nus, nés dans la misère, survivant dans un monde où ils n’étaient que des citoyens de dernière zone et où leurs vies, considérées comme minuscules, n’intéressait qu’eux. Les raconter, c’est donc s’aventurer en terrain inconnu et prendre forcément quelques libertés avec la méthodologie classique. Ça tombe bien, Christian Casoni, n’est pas du genre à s’encombrer de ces vétilles quand il aime et c’est au contraire avec gourmandise et malice qu’il reconstitue ces vies. Formidable galerie de portraits, vibrante déclaration d’amour à ces musiciens humbles quoique pittoresques, ces très crumbiennes reconstitutions sont aussi émouvantes que bien troussées, la plume fleurie de Casoni s’épanouit dans ces vignettes fantasques et joyeuses où l’humour se double d’une discrète mais profonde connaissance de cet univers disparu. Comme tous les livres de musique réussis, celui-ci vous fera illico fouiller internet et ses merveilles à la recherche des titres obscurs vantés dans ses pages et vous découvrirez donc, vous aussi sans doute, ces beautés rares et délicates, parfaits véhicules d’un temps enfui et d’âmes mal nées mais princières.