Rock & Folk

The Psychedeli­c Furs

-

Ignorés ou injuriés à leur sortie, certains albums méritent une bonne réhabilita­tion. Méconnus au bataillon ? Place à la défense.

“MIRROR MOVES”

CBS

AU-DELà DE SALOPERIE, GUIMAUVE, DAUBE, SOUPE, POURRITURE : l’insulte suprême dans les années 80, c’était commercial.

La frontière entre le bon grain et l’ivraie. Madonna ? Commercial­e, poubelle, comme “Take On Me”, “Bette Davis Eyes” ou “Every Breath You Take”. Tout ce que le grand public plébiscite doit prendre la direction du vide-ordures. Faut-il, en conséquenc­e, se passer des Beatles, Prince, Nirvana et autres milliers de hits fantastiqu­es ? Alors que le mainstream étale chaque jour davantage son abyssale médiocrité, l’anathème n’a paradoxale­ment plus cours. Le problème de “Mirror Moves”, c’est la période où il sort : 1984. Puisque The Psychedeli­c Furs affiche alors son intention de partir à l’assaut des Etats-Unis, avec des chansons mieux structurée­s, un producteur disco, un son moins rugueux, le groupe s’est mangé l’injure direct : commercial. Le discrédit a perduré, ce disque étant toujours censé marquer son déclin. Rectificat­if : c’est son sommet. Le premier album des Londoniens, en 1980, impression­ne immédiatem­ent, mais pas plus que ceux de leurs collègues post-punk — Echo & The Bunnymen, Killing Joke, Magazine, U2, The Cure, The Teardrop Explodes, The Sound, The Comsat Angels, The Associates... Ce qui les différenci­e de la concurrenc­e, c’est que David Bowie et David Byrne proposent de produire leur deuxième album. Sans attendre que les plannings s’accordent, les Furs récupèrent Martin Hannett, puis récidivent avec le producteur de U2, Steve Lillywhite, pour le deuxième album, “Talk Talk Talk”, qui contient “Pretty In Pink”. Lillywhite : “Ils revenaient d’une tournée, avaient baisé des Américaine­s et voulaient en baiser encore plus. Ecoutez les paroles : elles ne parlent que de baise.” Remaniemen­t pour le troisième album, “Forever Now”, 1982 : deux membres sont éjectés, le producteur Todd Rundgren embauché avec des copains à lui — Flo & Eddie, ex-Turtles. Gros hit : “Love My Way”. Le leader, Richard Butler : “J’ai compris qu’on devenait des stars quand on a été exfiltré d’un magasin à Seattle, coursés par des fans : comme les Beatles !” Le chanteur s’installe à New York, Warhol l’invite aux fêtes de Jagger, John Cale vient jouer sur scène avec le groupe et, dans ce tourbillon, il faut préparer un quatrième album. Jusqu’ici, à chaque fois, un palier a été franchi. Vers des disques plus commerciau­x — et meilleurs. Il faut continuer sur cette pente ascendante. Butler : “On se posait toujours la question : comment progresser, ne pas se répéter ? Pour ‘Mirror Moves’,

notre réponse fut : faisons un Psychedeli­c Furs poppy !” Il faut, en 1984, sortir du post-punk, mouvement qui a fait son temps, ringardisé par Jesus And Mary Chain ou The Smiths. The Cure, avec “The Top” et encore plus “The Head On The Door”, ouvre ses fenêtres, prend des couleurs. Pareil pour les Furs, qui enregistre­nt “Mirror Moves” à Los Angeles avec Keith Forsey, un producteur risqué, atypique. Bras droit de Moroder, il a turbiné avec Amon Düül II, sur des disques abominable­s, des tonnes de hits disco mémorables (de “I Feel Love” à “Flashdance”) et plein de morceaux fantastiqu­es — “Dancing With Myself”, “Eyes Without A Face” (Billy Idol), “The Number 1 Song In Heaven” (Sparks), “Hey Little Girl” (Icehouse), “Cat People (Putting Out Fire)” (Bowie)... Forsey, qui va s’occuper des batteries (programmée­s), pourrait permettre aux Furs d’aller en direction du son plastique de “Let’s Dance”, de dépasser les college

radios pour directemen­t conquérir MTV. Et, contre toute attente, cela fonctionne parfaiteme­nt. “The Ghost In You” donne le ton : grande mélodie, chanson soufflante. Les morceaux prodigieux s’enchaînent : “Here Come Cowboys”, “Heaven”, “Like A Stranger”, “Alice’s House”, tout le disque. L’exception qui confirme la règle : en tentant de composer pour le plus grand nombre, Psychedeli­c Furs façonne des chansons bien plus mélodieuse­s, marquantes, solides — en surface, un album plus artificiel, en substance, plus consistant. L’enveloppe étant clinquante, d’anciens punk décrètent qu’elle masque (mal) un songwritin­g creux — une critique qui marche pour l’album suivant, mais sûrement pas pour “Mirror Moves”, au contraire : chaque compositio­n contient le petit plus qui fait la différence. Plus nuancée, mélancoliq­ue et puissante, la voix de Richard Butler harponne. Disque d’or. Progressio­n à tous les niveaux : qualitatif et quantitati­f. Butler : “Un succès de cette ampleur, c’était inespéré. Je n’avais pas besoin de plus, j’ai donc mal vécu la suite.” Leur vieux “Pretty In Pink” est réenregist­ré pour le film du même nom, gros carton, comme l’album “Midnight To Midnight”, où les Furs se transforme­nt en mastodonte­s à la Simple Minds ou INXS. Fin de l’âge d’or. Trente ans plus tard, plein de formations s’inspireron­t des Psychedeli­c Furs, Interpol en tête. Sans que personne ne sorte l’épithète commercial.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France