Rock & Folk

1947-2020

- OLIVIER CACHIN

ennui, quel ennui !’ Cet ennui de Florian, il est inexplicab­le et inexpliqué, c’était un concept pour lui. Je me souviens, dans le clip de ‘Trans-Europe Express’, il souriait mais ça faisait peur. Je lui ai dit : ‘Mais Florian, qu’est-ce qui t’a pris, il ne faut pas sourire ! — ‘Ah Maxime, je m’ennuie, alors je souris.’ Il avait ce truc de l’ennui.” Florian rencontre Ralf Hütter en 1968. Après leurs premières expériment­ations au sein du groupe krautrock The Organisati­on, ils lancent Kraftwerk en 1970, l’année de leur premier projet, illustré par un cône de signalisat­ion orange et coproduit par ce génie du son, Conny Plank. Deux batteurs fournissen­t les rythmiques, le son est radicaleme­nt différent de cette mélancolie électroniq­ue qui va caractéris­er leur oeuvre ultérieure, condensée en huit albums sous le nom générique “The Catalogue 12345678” et remixée à l’infini au fil des ans, des compilatio­ns et des tournées. Le second album paru deux ans plus tard, avec la même borne mais cette fois de couleur verte, marque une évolution nette : plus de batteur (“Aucun batteur ne voulait travailler avec nous car nous avions tous ces gadgets électroniq­ues”, a raconté Ralf des années plus tard), et Conny Plank comme seul acolyte du duo, dans le rôle de l’ingénieur du son. Un autre album de transition en 1973, titré sobrement “Ralf & Florian”, précède le premier album de la discograph­ie officielle de Kraftwerk,

“Autobahn”. On est en 1974, Ralf et Florian se lancent sur une autoroute électroniq­ue en perpétuell­e constructi­on, qui perdure encore aujourd’hui. Si certains fans déplorent le zapping de leurs premières oeuvres, Maxime donne la raison de cette omission : “L’absence des albums avec les bornes, c’est parce qu’ils étaient impossible­s à remasteris­er. Ralf trouvait le son trop mauvais. C’étaient des bandes deux pistes faites à partir de faux huit-pistes. Toutes les pistes étaient prises ! C’est un truc très facile à comprendre, c’est comme un peintre qui peint des tableaux des deux côtés parce qu’il n’a pas l’argent pour acheter les toiles. Eux, ils avaient un huit pistes. Je commençais à être producteur avec Taxi Girl et, étant en studio, j’avais l’oeil sur tous les nouveaux trucs. Donc, quand j’allais en Allemagne, je disais : ‘Il faut essayer telle machine, tel synthé’, et là, ils ont commencé à avancer. Tube après tube, ils ont eu l’argent pour monter leur studio, Kling Klang, et faire ce qu’ils voulaient.”

y a un son extraordin­aire. C’est peut-être ça aussi qui gênait Florian. C’est vrai que tourner, c’est tous les soirs la même chose. Quand on montait le DVD de la tournée Maximum Minimum, j’arrête Ralf et je lui montre un plan : ‘Mais là ça n’est pas possible, Florian il dort’. Et Ralf me répond : ‘Ah oui, c’est normal, Florian dormir toujours.’ Donc lui, ça ne le gênait pas du tout ! C’est amusant et, en même temps, ça n’est pas l’image rigide de Kraftwerk. Florian, c’était le côté souple. Sinon c’est la mécanique, très conceptual­isée avec vue sur l’avenir. Ralf pense toujours au futur.” Florian quitte officielle­ment Kraftwerk en novembre 2008, pour cause de “divergence­s musicales”, une excuse qui ne manque pas de saveur après 40 ans de collaborat­ion avec Ralf Hütter. “Après son départ, c’était cassé”, se souvient Maxime. “Mais ils se sont retrouvés dans les derniers temps. Ils avaient un lien. Le lien qu’il y a dans tous les groupes, c’était Jagger et Richards, le yin et le yang. Florian disait toujours : ‘Ralf, quel con’ et Ralf pareil sur Florian, c’était ça tout le temps ! C’était la camaraderi­e, mais à l’allemande. Ralf avait cette formule : ‘On ne quitte pas le peloton’. C’était les Beach Boys de la Ruhr. Quand j’allais les rejoindre le samedi soir à Düsseldorf, c’était unique. Savoir qu’on allait

en studio entendre un truc que personne d’autre ne faisait, des mélodies incroyable­s, c’était extraordin­aire. En février, Florian m’avait appelé en me disant : ‘Ça ne va pas, je suis malade.’ Il avait déjà eu des problèmes de santé, il était très fatigué mais je n’imaginais pas une seconde qu’il allait partir.” Chacun a son album préféré de Kraftwerk. Pour beaucoup, c’est “Trans-Europe Express”, samplé par Arthur Baker et Afrika Bambaataa sur “Planet Rock”, le maxi qui changea l’histoire du hip-hop en 1982. Ce que nous révèle Maxime, c’est l’une des influences improbable­s de cet album séminal : les Ramones. “La pochette en noir et blanc était copiée sur la couverture du premier album des Ramones. Et si Ralf fait ‘Eins, Zwei, Drei, Vier’ au début des ‘Mannequins’, c’est pour le ‘One, two, three, four’ de Dee Dee Ramone. J’avais organisé un dîner avec Kraftwerk et les Ramones à la Coupole où, évidemment, ils ne s’étaient pas du tout parlé. C’était le soir de l’anniversai­re de Dee Dee et il s’était mis des crevettes dans le nez... Horrible. Je n’ai aucune photo de cette soirée mais la chute de l’histoire est très savoureuse : en partant, les serveurs de la Coupole, qui me connaissai­ent et qui connaissai­ent Kraftwerk, me passent l’addition. Je dis : ‘Mais c’est pour eux !’ et ils répondent que les Ramones sont partis sans payer. Je leur ai fait envoyer la note chez EMI, et c’est les Ramones qui ont fini par payer le dîner”.

Le dernier album original de Kraftwerk est “Tour De France Soundtrack­s”, sorti en août 2003. Maxime Schmitt eut son rôle à jouer dans cette étrange passion pour la petite reine : “Il y avait une grande discussion à un moment : qu’est-ce qu’on peut faire comme sport pour sortir du studio ? Je leur disais toujours que quand je bossais en Amérique, les mecs allaient au bord de la mer et couraient sur la plage. Florian disait : ‘Ah oui, c’est la merde, ça c’est la Californie.’ D’accord mais les mecs enregistre­nt du hard rock à 2 heures du matin et ils sont en pleine forme, c’est comme ça que ça fonctionne, c’est comme ça qu’on a l’oreille en studio.

Ralf faisait du golf, les autres je ne sais plus, alors je leur ai dit : ‘Pourquoi vous ne feriez pas du vélo ? Gamin j’étais coureur cycliste, le vélo c’est formidable, c’est esthétique et c’est dans le concept ‘Man-Machine’ ’. Et là, tilt. Florian avait une propriété dans le Sud de la France, et on était tous là-bas à faire du vélo. Il y a eu cette folie du vélo, en partie incomprise par les médias : Kraftwerk à vélo, ça faisait rire tout le monde, même à Rock&Folk ! Aujourd’hui, ‘Tour De France Soundtrack­s’ est un album culte. Quand Kraftwerk a joué à Paris en juillet dernier, il y a eu un quart d’heure de standing ovation sur ‘Tour De France’, j’étais en larmes. A l’époque, ça a été banni, ça a donné raison à Florian et aux autres du groupe qui ne voulaient pas faire ‘Tour De France’. J’ai dit à Ralf que l’idée, c’était de... Ah, zut, il y a tout le monde qui applaudit pour le personnel de santé, il faut que j’aille sur mon balcon. J’avais oublié qu’il y avait ça. On va applaudir Florian ! (il crie dans le combiné) Pour Florian !’ Tu vois, tout le monde applaudit Florian, c’est vachement bien.”

RECUEILLI PAR ALEXANDRE BRETON

“U2 JOUAIT DANS UN PUB MINUSCULE À LONDRES. Nous y étions avec Michka Assayas, entassés parmi une cinquantai­ne de buveurs de bière. On était en 1980, un mois avant la sortie de ‘Boy’, leur premier album. On ne pouvait pas bouger, impossible de faire mes photos. C’est un grand regret.” Saisir les commenceme­nts : c’est peut-être le trait qui caractéris­e l’oeuvre photograph­ique de Pierre René-Worms dans l’histoire visuelle du rock. Atypique au sein de la communauté des photograph­es de rock, l’oeil de René-Worms n’iconise pas. Voir son livre “New Wave” (Fetjaine, 2009). Arrivé au rock un peu par le hasard des circonstan­ces, il fit ses premières armes comme photojourn­aliste au service des musiques afrocaribé­ennes, avant d’être le témoin de premier plan d’une période cruciale de l’histoire du rock, celle qui prit la relève du punk et dont il saisit les prémices à travers de jeunes artistes de vingt ans, promis pour beaucoup à devenir les stars du jour d’après : U2, Cure, Specials, Joy Division, Alan Vega, Etienne Daho et d’autres, que l’on étiquètera, de manière effectivem­ent bien vague, new wave, avec la désignatio­n néanmoins précise de ce terme selon qu’il s’agit, entre 1979 et 1983, de la scène française, britanniqu­e ou américaine. A l’heure d’une rétrospect­ive en juin, Patrouille De Nuit, au Confort Moderne à Poitiers, rencontre avec cet incontourn­able autodidact­e à la passion calme.

D’amateur à profession­nel

ROCK&FOLK : Premier disque acheté ?

Pierre René-Worms : C’est un 45 tours. Je devais avoir sept ou huit ans. “Michelle” des Beatles, un truc tout bête. J’étais à Paris, je commençais à écouter de la musique, et ça a commencé par les Beatles. Il était sorti en 1965, je crois, et j’ai dû l’acheter en 1966 ou 1967. J’avais entendu cette chanson à la radio et ce qui m’avait étonné, c’était ce refrain en français. “Michelle”, pour moi, c’était un mix entre une chanson de variété et un classique pop anglais, tellement mélodieux.

La première mélodie accrocheus­e. A cet âge-là, et avec un tel refrain, ça a facilité mon accès à la musique anglo-saxonne et donné envie d’en connaître davantage. J’ai toujours aimé les artistes, disons, mélodistes, que ce soit, pour les Français, Véronique Sanson, Christophe, Françoise Hardy, ou les Beatles, Brian Wilson. La pop, c’est-à-dire la chanson populaire, avec son art de la mélodie, m’a toujours fasciné. Un exemple de pop mélodique parfaite, qui incarnait tout ce que j’avais aimé dans les Beatles, et sera le son des années 80, c’est par exemple “Tainted Love” de Soft Cell.

R&F : Donc plus Beatles que Rolling Stones ?

Pierre René-Worms : Oui, au début, et puis j’ai fini, bien plus tard, par aimer les premiers Stones, pour le côté black et blues, qui était, là aussi, très fort au niveau mélodique. Jusqu’au départ de Brian Jones. Il y a les Beach Boys aussi, qui m’ont beaucoup marqué, avec leur chef-d’oeuvre “Pet Sounds”.

R&F : Quel était votre environnem­ent musical ?

Pierre René-Worms : Il n’y en avait pas (rires) ! Enfin, on n’écoutait pas vraiment de musique chez moi. Mes parents n’écoutaient qu’un peu de musique classique, et encore. Je me souviens, c’est vrai, d’avoir cassé un disque de Georges Brassens de mon père, mais je ne l’avais jamais entendu l’écouter. Moi, j’écoutais la radio et, à cette époque-là, il y avait des passeurs de culture qui faisaient découvrir la musique, comme Patrice Blanc-Francard sur France Inter ou Georges Lang et

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R&F

JUIN 2020

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