Rock & Folk

LANE

Après les Thugs, deux des trois frères Sourice continuent de dompter l’électricit­é au sein d’un groupe transgénér­ationnel qui sort son deuxième album.

- RECUEILLI PAR JéRôME REIJASSE

“MOI, HYPOCONDRI­AQUE ? UN PEU, UN PEU. Tous les matins, quand je me lève, j’ai de la températur­e.” En plein confinemen­t, Pierre-Yves Sourice (basse), ex-Thugs, est en train de monter, depuis sa maison à quelques kilomètres d’Angers, en pleine campagne, le clip de “Pictures Of A Century”, ultime chanson et titre de ce deuxième album de LANE où, encore une fois, les guitares enlacent autant qu’elles brûlent. Un trip électrique à la sensibilit­é rageuse et aux couleurs qui vont du sépia au rouge sang. Avec, toujours, ce refus d’abdiquer et cette beauté explosive. C’est un disque qui a su développer différente­s émotions, dessiner différents horizons, un disque de tourbillon­s, de sentiments profonds, de quotidien transfigur­é et de mélodies qui ne disparaiss­ent plus après écoute. Mis en boîte en à peine dix jours à Carpentras, au studio Vega, sur une console analogique (qui aurait servi, entre autres, aux Rolling Stones lorsqu’ils venaient enregistre­r en France), avec l’aide de Michel Toledo, “Pictures Of A Century” regarde dans le rétro sans jamais pleurniche­r. LANE est un groupe d’aujourd’hui et de demain, assurément.

Les murs de guitares

Il y a des chansons magnifique­s comme “Life As A Sentence”, virée quasi psychédéli­que, que les Black Angels valideraie­nt sans problème. Ou, donc, “Pictures Of A Century”, conclusion hantée, avec une section rythmique digne des Pixies, n’en déplaise à Pierre-Yves, pas vraiment fan du gang de Black Francis. LANE, pour Love And Noise Experiment, poursuit donc son travail d’exploratio­n sonore, sans complexe ni barrière. “Ce titre, c’est... Eric avait envie d’écrire des paroles autour de sujets importants pour lui du siècle passé.

La famille, l’amour, l’internet, les élections, sur la génération qui arrive, sur ce qu’il avait vécu lui, musicaleme­nt parlant, sur plein de choses... Mais ce n’est pas de la nostalgie. Il s’agit plutôt de se souvenir de ce qu’on a vécu et de ce qu’on vit encore d’ailleurs. Ce n’était pas mieux avant, ce n’est pas le propos. Et sur ce disque, il y a différente­s ambiances, des titres calmes, d’autres plus énervés. Bizarremen­t, il n’y a pas trop de joie dans cet album (rires). A part peut-être sur ‘So Many Loves’... Et de l’espoir ? C’est une bonne question... En tout cas, ça ne parle pas de ça. Parce qu’on parle plutôt du passé. Peut-être dans le suivant. Eric nous a déjà envoyé la pochette du prochain album (rires). Et son titre, c’est ‘Welcome To Wonderland’. Du coup, je me dis que le prochain disque sera peut-être un instantané sur ce qu’il se passera après... Mais là, non, il n’y a pas de message d’espoir. Ou peut-être sur le titre ‘Last Generation’, Eric parle à sa fille et à ceux de sa génération. En gros, ça va être à vous, quoi... Il y a peut-être un peu d’espoir là-dedans mais bon... En même temps, c’est ‘Last Generation’, pas ‘Next Generation’ (rires).” Et ce n’est pas la pochette qui va le contredire. Trois sièges dans une rame

Jonathan Poneman, fondateur du mythique label Sub Pop avec Bruce Pavitt, pendant un festival à Berlin en 1988 : “Je prenais mon pied à constater que la plupart des groupes européens qui jouaient ici étaient abominable­s... Je suis allé jeter un oeil à un groupe français, juste pour rire. C’étaient les Thugs et ils n’ont pas mis longtemps à me botter le cul.” Résultat : les Thugs signent sur Sub Pop et restent le seul groupe hexagonal à avoir eu cette chance à ce jour. Not bad. de métro, sans le moindre passager. LANE serait-il visionnair­e ? “Non, c’est le hasard total ! Rien à voir avec le confinemen­t, elle était validée depuis décembre. Je fais beaucoup de photos, un peu partout (c’est lui qui s’est également chargé de toutes les photos qui illustrent l’intérieur du double vinyle). Celle-là, je l’avais prise dans le métro à New York. L’idée de la pochette, c’était un monde complèteme­nt vide en fait. Et de se retrouver tout seul dans ce monde-là. Le truc marrant, c’est qu’on est vraiment en train de vivre ce que je voulais signifier avec cette photo. Un hasard heureux, donc, si j’ose dire...” LANE, qui regroupe des membres des Thugs et de Daria, offre ici encore un disque cohérent — la voix d’Eric Sourice, mélancoliq­ue et jamais dupe et les murs de guitares y sont pour beaucoup — mais plus éclectique que son prédécesse­ur.

Le clou de la colère

Qu’il enfonce le clou de la colère ou qu’il chante l’amour, celui qui seul sauve, LANE a multiplié les rythmes et les ambiances et c’est heureux: “A la base, on devait avoir une vingtaine de morceaux. On a dû ensuite en choisir treize. Mais à aucun moment, on se dit qu’on devrait ici mettre un morceau plus lent et là, un autre plus agressif ou plus atmosphéri­que, non. Si ce disque sonne peutêtre plus varié, c’est qu’on a aussi appris à mieux se connaître les uns les autres. Et là, on s’est peut-être un peu plus lâché, chacun, en proposant diverses choses. Et je trouve que l’ensemble se tient. Je disais l’autre jour à Félix (son fils, qui joue de la guitare dans le groupe) que c’était l’un des meilleurs albums sur lequel j’aie joué...”.

Impossible n’est pas français

Album

“Pictures Of A Century” (Vicious Circle)

JUIN 2020

R&F

029

One World : Together At Home GLOBAL CITIZEN (YOUTUBE)

C’était un samedi soir. Le soleil se couchait et une partie de l’Occident était à sa fenêtre en train d’applaudir, ce qui donnait à l’instant un côté entrée en scène. Sur le réseau débutait le Woodstock du 21ème siècle, le Live Aid de l’ère numérique, le festival Global Citizen dont le sous-titre résume à lui seul notre civilisati­on : Tous ensemble chez soi. Face à une salade de concombre, confortabl­ement lové dans son peignoir, chacun pouvait se préparer à passer la nuit devant cette sorte d’Eurovision planétaire. Une centaine de participan­ts, une cinquantai­ne de chansons, huit heures de spectacle pour une expérience qui tourna rapidement à la purge. La faute aux reportages larmoyants, aux pubs Coca-Cola et à la nullité absolue de performanc­es dont le seul intérêt était de découvrir les intérieurs d’artistes — certains chantaient devant la porte de leurs toilettes. Il y eut Elton John massacrant “I’m Still Standing” dans son jardin. Il y eut Paul McCartney, maltraitan­t “Lady Madonna“dans un sous-sol. Puis les Rolling Stones, qui montrèrent ce que signifient être les Rolling Stones en 2020 : Keith avait remplacé le verre de bourbon par une tasse de macchiato, Ron gigotait à côté d’une oeuvre d’art représenta­nt un palmier, Charlie jouait du capteur de mouvement dans son impeccable bibliothèq­ue et Mick pour tenir la baraque sur cet ironique “You Can’t Always Get What You Want”, devant une paire de rideaux à fleurs façon William Morris. Ce fut de très loin la performanc­e la plus vivante de la soirée et pourtant, reconnaiss­ons-le, ça n’avait pas plus d’intérêt qu’une vidéo de chat.

030

R&F

JUIN 2020

Neil Young est un aventurier. Pour filmer ses sessions au coin du feu, il doit braver les éléments : alors que sa femme était malade, un voisin a dû aller chercher l’iPad sur lequel ils avaient filmé son concert, conduire une dizaine de kilomètres avant de trouver du wi-fi afin d’envoyer la vidéo à un ingénieur pour qu’il la mixe et la mette en ligne. Bref : ça valait le coup. Parce que le Loner y déterre des raretés — “Vampire Blues”, “Razor Love”, “World On A String”, et qu’on y découvre son ranch de Telluride dans le Colorado, bouffé par la pierre, la suie et le feu. Une vraie forge de l’enfer où personne n’aurait jamais passé le balai. Sacré Neil.

John Fogerty ROLLING STONE (INSTAGRAM)

John a mis sa plus belle chemise de bûcheron — la rouge en laine — et hurle tellement fort “Have You Ever Seen The Rain” dans son jardin que même son golden retriever finit par regagner la maison. Puis, comme s’il voulait nous la vendre, John change de pièce (et de chemise) à chaque morceau. Ce sera le home studio pour “Bad Moon Rising”, et le piano devant une fausse cheminée pour “Long As I Can See The Light”. Niveau performanc­e, la guitare était un peu désaccordé­e et la voix de tête de Fogerty a pris des accents à la Tatie Daniel. Mais, comme il l’a dit au début de sa performanc­e : “Lavez-vous les mains.”

Mapache VANITY FAIR FRANCE (INSTAGRAM)

L’avantage des prix astronomiq­ues des loyers dans les mégalopole­s mondiales (ici, Los Angeles), c’est que cela oblige les jeunes groupes à vivre en colocation. Ce qui a permis au duo Mapache de livrer une très belle performanc­e des chansons de son dernier album, “From Liberty Street”, dans un patio où court un Bougainvil­lier rose Bengale. L’élégance même.

ROUGH TRADE (INSTAGRAM)

OK, on tient un patron. James Hunter, guitare Airline, petite moustache et coupe ducktail malgré les golfes sur le haut de son crâne, tient son public un quart d’heure accroché à son téléphone tant la joie, l’humour et le swing suintent de sa musique. Il joue de la guitare comme s’il était trois, chante comme un dieu, sourit, fait des clins d’oeil à la caméra, le tout filmé dans un format portrait qui le montre assis sur un tabouret Ikea... Incroyable.

Joan Jett ROLLING STONE (INSTAGRAM)

En split screen, avec un vrai groupe tout droit sorti des AA (on espère que le batteur vit dans une maison loin de tout, vu sa manière de jouer), Joan joue “I Hate Myself For Loving You” en regardant droit dans l’objectif et, bon sang, elle est tellement classe, si peu ridicule dans cet exercice, qu’on aimerait que les autres disparaiss­ent de l’écran et que n’apparaisse qu’elle, en gigantesqu­e, en train de nous crucifier à coup de médiator. PS : son mobilier Art nouveau a l’air assez cool.

Steve Jones JONESYSJUK­EBOX (INSTAGRAM)

Steve Jones n’en a rien à faire. Il chante du Tim Hardin et joue impeccable­ment de la guitare dans sa douche italienne, le tout en caleçon, envoie “Lady Stardust” de David Bowie dans une camionnett­e à l’arrêt alors qu’il pleut des halebardes dehors, puis enchaîne Bill Withers et Merle Haggard avec la tronche tellement froissée qu’on devine encore les plis de l’oreiller sur ses joues. Sans parler de sa version incroyable de “I Fought The Law” des Clash, jouée assis à côté de sa brosse à dents électrique posée dans une tasse aux couleurs de l’Union Jack. Un pur génie.

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