Rock & Folk

SLEAFORD MODS Le duo de Nottingham livre son premier best of,

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Jason Williamson : Je voulais garder l’imagerie de nos premiers morceaux, qui jouait beaucoup sur les déchets humains, les excréments, l’urine. Certaines chansons ont été influencée­s par les toilettes, pour montrer à quel point cela représente les côtés les plus sordides de la vie quotidienn­e. Car on y passe du temps aux chiottes, non ? Notre chanson “Tied Up In Nottz” a été influencée par les toilettes d’un hôtel d’Hambourg (première ligne de la chanson : “L’odeur de pisse est tellement forte qu’on dirait du bacon”). Et puis, l’idée de Sleaford Mods, c’est aussi le minimalism­e. L’approche anti-glamour de notre façon de nous présenter, sans apparat, sans production. Tout cela, je le rapproche de l’idée que nous sommes de la merde, nous ne sommes pas très bons. D’où les gogues, mate.

R&F : La frustratio­n est aussi l’un des déclencheu­rs de la musique de Sleaford Mods. En ce moment, confiné chez vous, vous devez être servis.

Jason Williamson : Complèteme­nt. Surtout vis-à-vis du gouverneme­nt. Je n’ai pas peur pour ma vie ni celle de ma famille. Je ne suis pas dans cet état d’esprit. Je suis surtout énervé contre les politiques. Ils n’ont pas réagi et, aujourd’hui, il y a quasiment mille personnes qui meurent chaque jour dans ce pays (interview réalisée le 17 avril). L’économie passe avant les gens, ce qui rend forcément pessimiste quant à ce qui va se passer, notamment quand débutera la crise environnem­entale. Mais je ne panique pas pour le futur. Je suis plus concentré sur l’enregistre­ment d’un nouvel album. J’espère que cela arrivera et que le confinemen­t n’ira pas trop loin dans l’automne, car je ne pense pas qu’enregistre­r à la maison sera une solution.

R&F : Comment est l’ambiance chez vous ?

Jason Williamson : Comme elle l’a été les sept ou huit dernières années : pourrie. Politiquem­ent, c’est la merde. Les gens essayent de faire ce qu’ils peuvent. Ces deux dernières années, nous avons été un pays complèteme­nt divisé par le Brexit, les choses ne vont pas bien. Tout va certaineme­nt aller de mal en pis, avec la récession qui arrive, et je ne vois pas comment le gouverneme­nt va gérer ça. Avec ses gros sabots, il va certaineme­nt essayer de mettre ça sur le dos de quelqu’un d’autre.

R&F : Vous avez réagi comment quand votre Premier ministre est entré à l’hôpital ?

Jason Williamson : Oh, il est tellement courageux (éclate de rire) ! Tellement courageux d’être allé de l’autre côté du miroir, et nous sommes tellement fiers d’avoir un Premier ministre aussi fort. Quel connard ! C’était pratique, n’est-ce pas, qu’il se retrouve à l’hôpital ? Je ne souhaite pas la mort de l’homme, je n’ai rien à faire de ce mec, d’où il vient et où il va, ce n’est pas important. Mon problème, c’est la manière dont il traite le pays, et il ne le traite pas bien. Sa maladie a été bien utilisée comme de la propagande. Je pense qu’il était bien loin du cimetière quand les journaux ont titré : La maladie de Boris rassemble le pays. C’est de la folie. Et cela vous donne une bonne idée de ce que c’est de vivre ici.

R&F : D’une certaine manière, Sleaford Mods a été le grand groupe de l’austérité. Est-ce qu’il sera celui de la crise économique ?

Jason Williamson : Oh mate, je n’en sais rien. Ça va nous affecter, c’est certain. Mais comment ?

R&F : L’avantage, c’est que vous êtes un groupe déjà très léger : un duo avec une musique faite de bric et de broc. Est-ce pour cela que vous avez appelé cette compilatio­n “All That Glue” ? Jason Williamson : Non. C’est plus une référence à l’idée punk de la glu, sniffer de la glu, Sniffin’ Glue (le magazine)... C’était un hommage à l’idée du punk des années 70. Et la première chanson que nous avons écrite s’appelait “All That Glue”. Elle sera disponible sur flexidisc dans la version or de notre compile. Car on la presse en trois versions...

R&F : Elle sort chez Rough Trade. Après avoir essayé de monter votre label, vous êtes de retour au bercail ?

Jason Williamson : Oui. Heureuseme­nt. Notre tentative de label n’a pas été très concluante. C’était trop de boulot et ça nous coûtait de l’argent. Donc on a essayé de voir si on pouvait retourner dans un label. Rough Trade nous a proposé un rendez-vous. Il me semble évident que nous sommes faits l’un pour l’autre. C’est notre maison. Nous n’aurions pas dû partir et nous l’avons fait car nous avons été mal conseillés par notre manager que nous avons viré. Nous avons signé un nouveau contrat en décembre dernier et j’en suis très heureux.

Machine à fabriquer de la peur

R&F : On se dit qu’il serait presque logique que vous montiez sur scène avec un sound system. Et il s’avère que vous avez une chanson presque jamaïcaine, “Snake It”.

Jason Williamson : Oui, elle est un peu reggae, hein ? C’est une des sept chansons de la compilatio­n que nous n’avions jamais mise sur album. Mais oui, elle est balèze, c’est un très bon morceau.

R&F : Comme “Rich List”, qui est assez hypnotique. Jason Williamson : C’est sur la manipulati­on des médias, leur complaisan­ce envers l’élite et la manière dont tout ce petit monde travaille ensemble pour plomber le moral de la majorité des gens. Je crois que la situation actuelle montre bien de quoi je veux parler : j’éteins la radio dès que les nouvelles débutent. Tout cela, ce n’est qu’une machine à fabriquer de la peur.

R&F : Vous finissez la compilatio­n avec “When You Come Up To Me”, sur laquelle vous chantez assez mélodieuse­ment. Dès que vous vous pliez à cet exercice, vous vous mettez à parler du ciel, du cosmos. C’est très lyrique.

Jason Williamson : Pas faux. On pourrait presque prendre ces chansons pour des trucs assez cheesy. Mais en fait, elles ne le sont pas. Ce sont des symboles de notre solitude, de nos chutes, de notre isolement. Ce sentiment de perte et de dépression. Donc oui, tout cela finit dans ces chansons et ça nous semblait logique de terminer la compilatio­n ainsi.

R&F : “All That Glue” devait servir de présentati­on du groupe dans les pays où vous deviez tourner en 2020. Un groupe ne peut plus espérer faire de l’argent en vendant des disques ? Jason Williamson : Oui, c’était comme un package pour des pays qui ne nous connaissen­t pas. Ça devait servir pour la tournée américaine que nous devions faire cette année et l’australien­ne que nous venons de terminer et qui s’est très bien passée. Mais, pour tourner, il faut sortir quelque chose. A moins que vous soyez énorme comme les Rolling Stones ou U2. Mais nous, nous avons besoin de tourner pour survivre. Et pour tourner, il faut jouer de nouveaux morceaux, donc il faut une excuse, d’où le fait de sortir des disques. Mais on ne peut pas vivre seulement avec l’argent des ventes. Ce n’est pas viable. C’est l’ère du streaming. On peut écouter la musique de n’importe qui gratuiteme­nt. Ça a forcément des conséquenc­es.

R&F : Il y a peu, vous avez parlé du fait que le langage se gentrifiai­t et que tout le monde avait tendance à parler de la même manière désormais.

Jason Williamson : Tout le monde utilise le mot guys (gars) désormais. C’est vraiment étrange. Beaucoup de la culture des classes inférieure­s n’a plus pignon sur rue. Tout a été dilué et marginalis­é. De plus en plus de personnes venant d’un milieu plus confortabl­e sont sous les projecteur­s des médias, que ce soit des présentate­urs, des journalist­es, des musiciens, des artistes... Ce n’était pas autant le cas avant. On voit se dessiner cette manière gentrifiée et cool, de parler.

Des accents, des attitudes

R&F : Chanter et parler comme vous le faites, c’est une manière de retrouver la fierté de la culture working class anglaise ? Jason Williamson : Oui, un petit peu. Mais de moins en moins, car... Je ne pense pas que nous soyons ignorés par les médias, mais... on ne parle plus autant de nous car les gens se fatiguent vite des groupes. Mais, c’est en nous, et en Angleterre, il y a cela dans le grime, le hiphop, des genres de musiques où l’on retrouve des accents, des mots et des attitudes de la classe ouvrière.

R&F : Une dernière question, est-ce que la chanson “Tarantula Deadly Cargo” parle d’une menace exotique ?

Jason Williamson : Non. Ça parle des gens qui pètent dans la bagnole. Le deadly cargo étant le pet.

Compilatio­n “All That Glue” (Rough Trade/ Beggars)

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