Creedence Clearwater Revival
Première parution : 2 novembre 1969
ans l’imaginaire collectivement partagé par les amateurs de rock, Creedence Clearwater Revival est indissociablement associé à la Louisiane et pas seulement à cause de la chanson “Born On The Bayou”. CCR a développé une esthétique sonore (le swamp rock), poétique et visuelle qui sent bon les marécages du Sud des Etats-Unis. Pourtant, les origines de ce groupe sont bel et bien californiennes et s’articulent autour de deux frères : John et Tom Fogerty. Après 8 ans de galères et de tentatives sous différentes identités — The Playboys, The Blue Velvets, The Visions — les frères Fogerty et deux amis d’enfance — Stu Cook et Doug Clifford — renversent la donne à la faveur d’un changement de management. Saul Zaentz, ex-directeur commercial de Fantasy Records, rachète le label et propose aux Golliwogs, de faire table rase de leur passé. La recherche d’un nouveau nom est le premier acte fondateur du groupe. Il surgit avec l’association hétéroclite d’un prénom original entendu par John Forgety, Credence qui signifie
et d’une pub télévisée vantant les qualités de l’Olympia Beer produite avec de l’eau pure A la manière des Beatles, John Fogerty bricole le mot en ajoutant un ce qui donne à la première syllabe un nouveau sens,
L’ajout de revival définit toute la philosophie du groupe : un retour aux racines du rock avec des paroles simples et directes. Dès lors, on comprend que le Sud, berceau du blues, prenne des allures d’éden pour CCR face à une Californie en plein psychédélisme. Le premier album, sorti en juillet 1968, construit le son et l’image du groupe. Sur la pochette, les quatre musiciens posent au milieu d’une végétation verdoyante et aux arbres à troncs multiples rappelant les bayous de Louisiane. John et Doug portent des uniformes militaires du 19ème siècle, un genre en vogue en Californie, on pense bien évidemment à l’album “Déjà Vu” de CSNY. Les pochettes des deux albums suivants — “Bayou Country” et “Green River” — sont photographiées par Basul Parik. La végétation omniprésente poursuit l’illusion de l’ambiance louisianaise, mais, cette fois, les musiciens ont abandonné leurs défroques militaires pour conserver leurs habits quotidiens, notamment John Fogerty et son inusable chemise bleue à carreaux. Avec ces tenues tout sauf branchées, le groupe marque son attachement à la classe ouvrière. A l’automne 1969, CCR entre en studio, après avoir tourné une partie de l’été et participé au festival de Woodstock. Tom, auteur intarissable, souhaite enregistrer un nouvel album. C’est le quatrième du groupe en deux ans d’existence et le troisième de cette année 1969 (“Bayou Country” a été publié en janvier, “Green River” en août). La prodigalité de John Fogerty — auteur, compositeur et producteur — défie la logique commerciale, qui aurait voulu espacer davantage les sorties. John, à l’instar de ses modèles — Elvis Presley, les Beatles... — veut rapidement inonder le marché de ses tubes.L’image de la pochette est de nouveau confiée à Basul Parik. Les quatre musiciens sont photographiés de loin comme sur les albums précédents, John détestant le star system et la personnalisation du groupe. Cette fois-ci, la campagne louisianaise a laissé place à la ville. Le décor est la devanture d’une épicerie asiatique, Duck Kee Market, située entre Hollis Street et Peralta Street à Oakland à quelques blocs du siège de Fantasy Records. Devant le magasin, John joue de l’harmonica, Stu de la
Doug washboard, tandis que Tom gratte une guitare Kalamazoo (la ligne bon marché de la marque Gibson). Cette mise en scène prend sens avec la première chanson de l’album, “Down On The Corner”. Elle raconte les aventures d’un groupe des rues, Willy And The Poor Boys, nom inspiré à John par une publicité pour Winnie The Pooh (Winnie L’Ourson), mais qui résonne finalement très fifties (Buddy Holly And The Crickets, Johnny And The Hurricanes...). Dans cet orchestre, John distribue les rôles, se réservant celui du leader, Will ; Stu devient Blinky, l’inconséquent ; Tom est Poorboy, parce qu’il se plaint souvent ; Doug devient Rooster, le chaud lapin. La création de cette histoire n’est pas sans rapport avec celle de “Sgt. Pepper” des Beatles, grande référence de John Fogerty. Néanmoins, elle n’est exploitée que sur 4 des 10 chansons de l’album, ne faisant pas de “Willy And The Poor Boys” un album conceptuel. A l’inverse de la luxueuse et référentielle pochette des Fab Four, John choisit la banalité d’une rue pauvre, une échoppe modeste, des instruments rudimentaires, bricolés, et des tenues prolos. Lors de la séance photo, de jeunes enfants afro-américains du quartier sont venus voir ce qui se passait et, de fait, sont devenus les figurants idéals, enrichissant ce spectacle moins louisianais que les précédents, même si le groupe utilise des instruments typiques de la région. Avec cet album, CCR est passé d’une posture géographique à une approche plus idéologique, à l’image du morceau “Fortunate Son”, observant que les fils de bonne famille s’en sortent toujours. Malgré cette inflexion esthétique, bien que le Sud et le blues soient présents grâce à deux reprises (le traditionnel “The Midnight Special” et “Cotton Fields” de Leadbelly), John Fogerty poursuit la construction de son autofiction mettant en scène un groupe imaginaire qui, à l’image de Woody Guthrie, réveille les consciences politiques en portant la bonne parole.
Si John, le garçon timide, a eu besoin de ce filtre fictionnel, identique d’album en album, pour se transcender et oser se raconter, cette pochette représente l’ultime épisode d’une aventure romanesque, car le groupe est en proie à de sévères divisons causées par la position autocratique de John. La pochette de l’album suivant, le dernier de l’âge d’or, saisira CCR dans sa lieu de répétition et de création, à la fois caverne magique et cocon, comme un retour à l’origine avant dissolution. Après, il n’y aura que de la banalité et plus beaucoup de Louisiane.
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R&F
JUIN 2020