Rock & Folk

CHRISTOPHE

- Patrick Eudeline

MARIANNE FAITHFULL S’EN EST TIRÉE. Mylène Demongeot aussi. Je ne les connais pas bien, évidemment. Des amies chères de coeur, de mon monde, oui. Comme pour vous. Mais pas dans la vraie vie. Christophe, si. Mais Christophe est mort d’autre chose. Il n’aurait pas aimé savoir qu’il allait mourir à Brest — lui qui n’avait pas d’accointanc­es avec la Bretagne, en Italien, en enfant du sud — victime de ce virus ennemi des obèses et des hors d’âge. Alors non, il est mort de l’emphysème chronique qui l’affaibliss­ait depuis déjà plus d’un an. L’emphysème qui le rongeait, peut-être causé par le tabac et sans doute par une vie de patachon. Peutêtre parce que c’est le destin des oiseaux de nuit d’être ainsi punis. L’emphysème attaque et fragilise les poumons, il vous donne le souffle court et vous fait craindre pour votre voix.

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R&F

JUIN 2020

PAR PATRICK EUDELINE

J’ai été frappé, sur Internet et ailleurs, par les hommages, la peine des gens. Cela m’a rappelé la disparitio­n d’un autre ami : Daniel Darc. Christophe et lui tenaient une place à part, précieuse, pour le coup irremplaça­ble. Et maintenant, on ne peut que se sentir seul. Orphelin ou dernier des Mohicans, selon l’âge. Reste Arno. A qui je pense souvent. Pour qui j’ai peur. Plus que les bêtises politiques qui nous promettent (ou nous menacent de...) un monde d’après différent, la disparitio­n de Christophe hurle cela : il n’y a plus rien du monde que nous aimions. Qui ne connait cette photo, ce disque surboum, “Surprise-Partie De Toujours” où Christophe danse le slow ? La photo est tirée d’un roman-photo. Il a commencé ainsi. Oui. Par un roman-photo. “Les Copains Invitent Les Croulants”. Joli blondinet obsédé par James Dean, le blues et Eddie Cochran.

Famille italienne immigrée, venue du Frioul en 1891 et installée à Juvisy. Les Bevilacqua. Le père, Georges Jacques, est un gros bosseur. Sérieux et austère. L’entreprise de fumisterie familiale est devenue, avec les décennies, une boîte de chauffage central et d’électromén­ager. Monsieur Bevilacqua, c’est quelqu’un : il fait venir des compatriot­es pour travailler dans l’entreprise familiale. Le jeune Daniel aime Edith Piaf et Gilbert Bécaud. Qui d’autre quand on a huit ans et que le rock’n’roll n’est pas arrivé ? Mais bientôt, il va y avoir James Dean et surtout Elvis.

“Heartbreak Hotel” ouvre le jeune Danny au blues, à cette douleur-là, ce cri, même s’il ne sait pas encore que cela s’appelle ainsi : le blues ! Vingt ans plus tard, cela donnera les jukebox consacrés à John Lee Hooker, qu’il idolâtre. John Lee. Le plus cru, le plus violent. Un jukebox pour les disques sous le nom de John Lee, un autre pour ceux sortis sous un autre nom : John Lee Booker, Johnny Hooker ou John Cooker. L’homme, il est vrai, a beaucoup enregistré, et pour bien des labels. Mais on en est loin. Pour l’heure, Daniel rêve de “Milk Cow Blues” par Cochran, des morceaux d’Elvis près de l’os. Il fonde un groupe : nous sommes en 1960 et tout arrive. C’est Danny Baby Et Les Hooligans. Mais le jeune Christophe (il a trouvé son pseudo ! Christophe ! Comme la médaille de saint Christophe que lui a offert sa mère), tout en s’accompagna­nt plus ou moins à la guitare et à l’harmonica, chante son yaourt en playback : il ne supporte pas d’apprendre par coeur.

Christophe a eu une révélation. Un acte initiatiqu­e a changé sa vie à jamais. Un jour, traînant chez Paul Beuscher, il voit une chambre d’écho Meazzi. Italienne, bien sûr. Il y a les Binson Echorec, comme les Shadows, les Dynacord, les Watkins Copycat. Et ces Meazzi, différente­s. Elles font écho, reverb, swell. Farcies de lampes, elles torturent voix comme guitares, leur offrent des paradis nouveaux, inouïs. Christophe laisse le vendeur lui faire une démonstrat­ion.

Il ne s’en remettra pas. Sa voix rebondit, gravit des sommets, se perd et mute. L’objet magique lui fait découvrir le son. Comme les guitares saturées électrique­s primitives de John Lee Hooker et la reverb, celles des Shadows. Mais là, c’est devant lui. Le vendeur lui tend un micro (un Electro-Voice RE 20 ? Le micro auquel il sera fidèle sa vie durant). Et c’est le miracle. Toute sa vie — la faute en incombe à la Meazzi originelle — Christophe parlera, obsessionn­ellement, de son plus que de mélodie. Pourtant ce qui (et je ne suis pas le seul) me fascinait chez lui, c’étaient les mélodies justement, les chansons. Bien plus que l’utilisatio­n des synthés... Il m’évoquait Ben E King, les Drifters, le rock italien. Il pensait beaucoup à Alan Vega ? Il m’évoquait, moi, Willy DeVille. Castagnett­es et obsession d’une Italie de bohême et d’opérette. Bientôt, en 1964, va sortir un EP. Christophe, désormais en solo, a signé chez Golf Drouot ! C’est qu’il y traîne en ce fameux Golf, comme tous les jeunes de sa génération, avides de réussite et d’action. C’est là qu’il se fait engager pour des panouilles. Le roman-photo, par exemple ! “Reviens Sophie”, donc, un blues à la Ray Charles. “Se Dire Adieu”,

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