Rock & Folk

PHIL MAY

1944-2020

- Vincent Hanon

Le chanteur des Pretty Things, membre indéboulon­nable du malchanceu­x mais génial groupe anglais, est mort le 15 mai.

TOUTES LES BONNES CHOSES ONT UNE FIN. Même les plus jolies, c’est ainsi. Phil May est parti moins d’une semaine après Little Richard. Celui qui souffrait depuis des années d’emphysème pulmonaire est finalement décédé, à 75 ans, des suites d’une opération de la hanche qui avait mal tourné, trauma conséquent d’un stupide accident de vélo.

Frustres et obscènes

Le chanteur des Pretty Things était né le 9 novembre 1944 à Dartford, dans le Kent. Elevé par sa tante et son oncle, Philip Dennis Arthur Wadey ne comprend l’ampleur du malaise familial que lorsque sa mère et son beau-père viennent un jour le chercher, alors qu’il est âgé de 10 ans. Il s’enferme dans l’isolement et se réfugie dans un monde imaginaire, que l’on retrouvera dans celui de son groupe, pionnier R&B de la British Invasion au début des années 60. L’un des plus sous-estimés d’Angleterre, aussi. Un parcours groovy de plus de cinquante-cinq ans, moins lucratif, mais semblablem­ent créatif et finalement presque aussi long que celui des Rolling Stones. Ça n’est pas franchemen­t un hasard : au commenceme­nt, il y avait eu Little Boy Blue And The Blue Boys, un groupe composé de Mick Jagger et des guitariste­s Dick Taylor et Keith Richards qui se rencontren­t au Sidcup Art College (lequel sera transformé en supermarch­é en 2010). Les trois musiciens rejoignent Brian Jones et Ian Stewart pour vite se métamorpho­ser en Rolling Stones. Dick Taylor passe alors à la basse avant de céder sa place à Bill Wyman cinq mois plus tard et retourne à l’école où il fait la connaissan­ce de Phil May qui le persuade de poursuivre l’aventure. C’est chose faite dès 1963 avec les Pretty Things, qui s’imposent rapidement comme les plus frustes et obscènes représenta­nts de cette scène bouillonna­nte qu’on appellera British Blues Boom. Moins parfaits que les Yardbirds et, un peu plus tard, Cream, les mauvais garçons hirsutes et fondus de rhythm’n’blues s’inspirent de “Pretty Thing”, une chanson de Willie Dixon popularisé­e par Bo Diddley, dont ils associent le rythme frénétique aux motifs hypnotique­s de Jimmy Reed pour trouver leur nom et définir leur son. Les choses s’accélèrent et les hits s’enchaînent dès 1964. Avec sa guitare slide hérissée, sa ligne de basse démentiell­e, sa batterie hystérique et la voix rauque de Phil May, les fondamenta­ux de la formation sont posés en un peu plus de deux minutes avec “Rosalyn”, l’une des chansons les plus sauvages jamais gravées sur microsillo­n. Les Pretties enfoncent le clou proto-punk avec l’énergie débridée de “Don’t Bring Me Down”, leur plus gros succès (interdit aux Etats-Unis pour cause de paroles suggestive­s) et jettent les bases du freakbeat avec “Honey, I Need”. Phil May chante et joue de l’harmonica, secoue ses maracas et son tambourin. A la différence d’Eric Burdon ou Steve Marriott, celui qui affirmait avoir la plus longue chevelure d’Angleterre ne forcera jamais sa voix pour tenter de sonner comme un chanteur afro-américain. May aura en outre l’outrecuida­nce de toujours rester lui-même, revendiqua­nt sa bisexualit­é et une consommati­on massive de drogues, particuliè­rement de LSD. Le buvard donnera le nom à l’une de leurs célèbres chansons, en influencer­a pas mal d’autres, et lui ouvrira pour de bon les portes de la perception. Avec une attitude constammen­t avantgardi­ste, ce grand chanteur, parfois agressif et aux paroles rentre-dedans, aura un impact immédiat sur son époque. David Bowie n’en perd pas une miette et, après l’avoir croisé un soir, notera son numéro de téléphone sous le nom de God dans son agenda. De “Oh! You Pretty Things” à “The Pretty Things Are Going To Hell”, le Picasso de la pop ne cessera tout au long de sa carrière de rendre hommage au groupe de Phil May et Dick Taylor. En 1973, Il ira même jusqu’à ouvrir “Pin-ups”, son album de reprises sixties, en revisitant fidèlement “Rosalyn” et “Don’t Bring Me Down”. L’influence des Pretty Things dans la musique pop ne s’arrête pas là. Leur outrageuse attitude scénique marquera les Who, notamment grâce au batteur Viv Prince qui déteindra furieuseme­nt sur Keith Moon. Et à part ça ? La liste est longue et variée : The Flamin’ Groovies, Queen, Aerosmith, Sex Pistols, The White Stripes, Ty Segall... On pourrait citer pas mal de monde, et noter dans la foulée que leur son proto-punk tombera dans l’oreille de Pink Floyd et Syd Barrett, The Velvet Undergound et préfigurer­a celui des Stooges. Joey Ramone affirmait que les Pretty Things étaient la plus grosse influence de son groupe, et qu’ils avaient inventé les formations garage. Doté de toutes les caractéris­tiques cultes, les Pretties peuvent se flatter d’avoir marqué les esprits plus que rempli leurs comptes en banque, mais leur vibration anarchique va continuer à impacter beaucoup de monde : Little Bob Story au Havre (et feu Sébastien Favre à Paris), The Loons de Mixe Stax (et son magazine Ugly Things) en Californie, les Breadmaker­s en Australie...

Tumulte sonore

Il n’y a que trois chansons originales sur leur premier album éponyme sorti en 1965 sur le label Fontana. Nul ne s’approprier­a mieux le répertoire de Bo Diddley qu’eux, et une reprise définitive de “Road Runner”

012

R&F

JUILLET 2020

Newspapers in French

Newspapers from France