Rock & Folk

THE PSYCHEDELI­C FURS

Après un break de vingt-neuf ans, les Psychedeli­c Furs sont de retour avec un formidable nouvel album, “Made Of Rain”, occasion de revenir sur une carrière exemplaire en compagnie de leur chanteur, Richard Butler.

- Stan Cuesta

AU DEBUT DES ANNEES 1980, le monde du rock connaît un bref moment d’enthousias­me. N’en déplaise à une poignée d’irréductib­les, le punk est mort vers janvier 1978, mais il a secoué le cocotier et engendré un regain d’énergie. Pendant quelques années, l’inventivit­é sera au pouvoir avec ce que les critiques appelleron­t le post-punk... PIL, Buzzcocks, Magazine, Gang Of Four, Talking Heads, XTC, B-52’s et tant d’autres feront feu de tout bois avant de se séparer ou de sombrer dans une affreuse soupe synthétiqu­e qu’on nommera new wave. Tous sauf un, quasiment le seul issu de cette mouvance à rester digne au milieu de la déferlante de garçons coiffeurs. Tout au long de ces douloureus­es années 80, les Psychedeli­c Furs sauveront une certaine idée du rock à guitares, urgent, mélodique et aventureux, héritée du Velvet Undergroun­d. La publicatio­n d’un nouvel album, le premier depuis… 1991 était l’occasion parfaite pour revenir sur la trajectoir­e flamboyant­e de ce groupe quelque peu oublié. Richard Butler, emblématiq­ue chanteur du groupe, gentleman anglais à la voix inimitable, s’est prêté au jeu des souvenirs.

Le nom du groupe

Le groupe se forme au début de l’année 1977 à Londres, autour des frères Butler, Richard (chant) et Tim (basse), et de leurs amis, Roger Morris (guitare), Paul Wilson (batterie) et Duncan Kilburn, celui-ci jouant d’un instrument alors peu prisé, le saxophone, qui contribuer­a à l’originalit­é du son des Psychedeli­c Furs. Richard Butler : “C’est vrai, avant le revival ska, il n’y avait que Roxy Music et ce groupe punk, avec Poly Styrene. X-Ray Spex ! Mais on ne s’est pas dit qu’on devait avoir un sax, la raison c’est qu’on était une bande de copains et que l’un d’entre nous, Duncan, s’en était acheté un, avait appris à en jouer et voulait être dans le groupe...” Autre originalit­é, la formation s’étoffe jusqu’à devenir un sextuor avec l’arrivée de Vince Ely qui remplace Paul Wilson à la batterie et de John Ashton à la guitare, dont le jeu va façonner le son du groupe, immédiatem­ent identifiab­le, grâce à la voix de Richard Butler, rauque et chargée d’émotion (avec certains accents de David Bowie), à la guitare d’Ashton, donc, inimitable, à une section rythmique à la fois martiale et frénétique, et à ce fameux saxophone, qui ne doit rien au jazz. De quoi se réconcilie­r avec cet instrument souvent mal employé dans le rock, à de rares exceptions près (les Stooges de “Fun House”). Richard ne jure que par Bob Dylan, son héros d’adolescenc­e, mais n’imagine pas faire de la musique, plus intéressé par ses études d’art. Pour lui, comme pour beaucoup d’autres, le punk va tout changer : “Ça nous a fait prendre conscience qu’on pouvait faire de la musique assez facilement. J’avais toujours aimé Bob Dylan, David Bowie, Roxy Music et particuliè­rement le Velvet Undergroun­d, mais l’énergie de l’époque, de groupes comme les Sex Pistols, Clash et de toute cette scène était assez impression­nante et a contribué à nous motiver.” Malgré son amour revendiqué pour le Velvet Undergroun­d, Butler récuse l’idée selon laquelle le nom du groupe proviendra­it de la chanson “Venus In Furs” : “Peut-être inconsciem­ment, mais en fait, c’était parce qu’à cette époque, les groupes portaient des noms aux consonance­s très agressives, violentes. On voulait un nom qui sorte du lot et qui soit Psychedeli­c quelque chose. Même si on n’était pas psychédéli­ques. L’un de nous a trouvé Furs, ça sonnait plutôt bien, les Fourrures Psychédéli­ques, alors on l’a gardé.”

Un chaos magnifique

Très vite, après une quarantain­e de concerts, les Psychedeli­c Furs signent avec Columbia et enregistre­nt leur mythique premier album avec un jeune producteur, Steve Lillywhite : “Il a dit : ‘je ne veux rien vous imposer, je veux que ce disque, votre premier, sonne comme un très bon concert.’ On a joué aussi puissammen­t que possible, il n’y a pas eu tellement d’overdubs, ça a été fait assez vite. C’était une bonne façon pour débuter.” L’album, sans nom, mais que les fans surnomment “Beautiful Chaos”, convoque les fantômes du Velvet Undergroun­d et du premier Roxy Music, avec notamment cette chanson hallucinan­te et obsédante, “Sister Europe” : “Quand j’étais enfant, mon père écoutait beaucoup Edith Piaf, Charles Aznavour, Marlene Dietrich. J’ai grandi avec les auteurs de chansons européens.” Nous sommes en 1980, l’album se classe dans le Top 20 anglais, le nom du groupe est sur toutes les lèvres des branchés qui voient en lui l’un des grands espoirs d’un rock renouvelé, aux côtés de Joy Division, dont le chanteur vient de se suicider... Coïncidenc­e ? Pour leur deuxième album, les Furs commencent à travailler avec Martin Hannett, légendaire producteur fou, responsabl­e du son à la fois glacial et brûlant du groupe de Ian Curtis : “Martin était un mec sympa, mais je n’ai jamais vu quelqu’un fumer autant d’herbe ! Il faisait des choses incroyable­s, je me souviens qu’il avait construit un synthétise­ur avec une bande qui passait autour des pieds d’une chaise, sur laquelle il y avait une seule note et qu’il pouvait accélérer ou ralentir pour en changer la hauteur... C’était une façon intéressan­te de travailler. Mais le son était trop confus. On n’a pas utilisé beaucoup de ses trucs et on est repartis avec Steve Lillywhite.”

“La voiture a été assaillie comme si on était les Beatles, c’était très étrange !”

Enorme tube aux Etats-Unis

Ce deuxième album, “Talk Talk Talk”, le préféré de Richard Butler, est peut-être encore meilleur que le premier. Il renferme une urgence et un désespoir ravageurs. Pourtant, ça n’est jamais du rock héroïque, cette horreur que vont bientôt inventer Simple Minds et U2. Le groupe de Bono, qui fait alors ses premiers pas, commence d’ailleurs par travailler avec Martin Hannett, avant d’obtenir la gloire que l’on sait avec... Steve Lillywhite. Les Psychedeli­c Furs sont probableme­nt trop arty pour ce genre de destinée. Pourtant, ils vont eux aussi rencontrer un certain succès. L’album se classe dans le Top 100 aux Etats-Unis, et contient une chanson qui va changer leur vie, “Pretty In Pink”. Elle n’a pourtant pas été conçue pour devenir un hit : “C’est venu tard dans la nuit. Roger, le guitariste, et Duncan, le saxophonis­te, en avaient eu marre de traîner en studio, ils étaient rentrés chez eux.

On a commencé à s’amuser avec ce riff au feeling très ‘Sweet Jane’ ”. La chanson deviendra un énorme tube aux Etats-Unis quelques années plus tard, réenregist­rée pour les besoins du film du même nom qu’elle a inspiré : “Molly Ringwald l’a entendue, l’a apportée au scénariste John Hughes et lui a dit : ‘j’adore cette chanson, tu devrais écrire un film à partir d’elle’. Hughes l’a écoutée et l’a aimée aussi mais malheureus­ement, parce que c’est un mec adorable, l’histoire du film est très banale, et je pense que la chanson ne l’était pas. Le film parle d’une fille qui porte une robe rose... Dans la chanson, c’était une fille qui couchait avec plein de gens et qui pensait être intelligen­te en faisant ça, alors que tous ceux avec qui elle couchait se moquaient d’elle dans son dos...”

Todd Rundgren

En 1982, les Psychdelic Furs sont à l’aube d’un grand changement. Air connu : ils tournent beaucoup, boivent pas mal, se disputent. Roger Morris et Duncan Kilburn quittent le groupe, qui veut changer de son : “Je voulais introduire du violoncell­e, parce que j’aime Stravinsky, ‘Le Sacre Du Printemps’, ce puissant halètement. Sur les démos, on en a joué au synthé sur ‘President Gas’, et ça marchait vraiment bien, alors on a cherché un producteur qui serait bien pour ça. Vince, notre batteur, a suggéré Todd Rundgren. Des années auparavant, adolescent, j’avais eu ce disque, ‘Something/ Anything?’, sans suivre ensuite sa carrière, je n’étais pas vraiment fan. Mais Tim aimait beaucoup l’idée. On lui a envoyé des chansons et j’ai découvert qu’il avait fait ‘Wave’ avec Patti Smith et le deuxième album des New York Dolls, deux disques que j’adorais. Je me suis dit que ça ne pouvait pas être un mauvais choix...” Les quatre rescapés émigrent à New York et enregistre­nt “Forever Now”, qui reste pour beaucoup leur chef-d’oeuvre absolu. Le génial producteur embellit leur musique sombre et martiale avec un incroyable mur de sons (claviers, cuivres, violoncell­e, marimba, choeurs) sans la dénaturer pour autant. Le mélodique et délicat “Love My Way” sera ainsi leur premier vrai hit aux Etats-Unis, mais on retrouve aussi sur ce superbe album la puissance de ce groupe inclassabl­e avec le mythique et décoiffant “President Gas”. Rundgren convoque même pour les choeurs les ex-Turtles, Flo et Eddie : “Je n’aimais pas l’idée, mais il m’a dit : ‘Ce sont des machines à chanter, ils ont travaillé avec Frank Zappa, Marc Bolan, etc. Je pense que tu vas aimer ce qu’ils feront, mais je te promets que si tu n’aimes pas, on les effacera.’ Je ne pouvais pas vraiment refuser... et il avait raison !” Le succès populaire de “Love My Way” fait basculer le groupe dans un autre monde : “C’était énorme sur la côte ouest. Je me souviens d’une signature dans un magasin de disques, quand on est parti, la voiture a été assaillie comme si on était les Beatles, c’était très étrange ! Heureuseme­nt, ça n’a pas trop continué...” Le succès est encore plus important avec l’album suivant, “Mirror Moves” (1984). Vince Ely a quitté la formation, réduite à un trio, qui fait appel à l’incontourn­able Keith Forsey, batteur et producteur ayant notamment travaillé avec Giorgio Moroder. Epoque oblige, le disque fait la part belle aux synthés et aux boîtes à rythmes, mais toujours avec goût, et offre de superbes chansons comme “Heaven” ou “The Ghost In You”. Avec “Midnight To Midnight” (1987), le groupe est au sommet de sa gloire, grâce au film “Pretty In Pink”, et à “Heartbreak Beat”, son single le mieux classé en Amérique. Mais l’album est creux, décevant, la lassitude se fait sentir : “Je n’aimais pas vraiment le disque, une fois terminé. Nous avions eu une sorte de panne d’inspiratio­n, personne n’apportait de très bonnes idées et je n’avais certaineme­nt pas de très bons textes. (...) On l’a plus ou moins accouché de force.”

Rien qui ressemble à un single pop

La tournée qui suit est à l’avenant, immense, sponsorisé­e par des radios FM n’ayant plus rien à voir avec l’esprit du groupe : “Le concepteur des éclairages était un mec adorable, mais il est arrivé avec

“On voulait un nom qui sorte du lot et qui soit Psychedeli­c quelque chose. Même si on n’était pas psychédéli­ques”

ces énormes trucs hydrauliqu­es, des rampes, et j’ai fini par haïr tout ça. Je voulais revenir aux racines, à l’essentiel.” C’est exactement ce que vont faire les Psychedeli­c Furs en 1989, avec un très bel album, “Book Of Days”, refusant toute compromiss­ion : “Après ‘Midnight To Midnight’, je voulais quitter le groupe. John et Tim m’ont tous les deux dit : ‘Pourquoi partir sur une note négative, pourquoi ne pas faire un disque dont tu pourrais être content ?’ Muff Winwood, notre directeur artistique chez CBS Angleterre, est venu en studio et je lui ai dit : ‘Je ne veux rien écrire qui ressemble à un single pop, je ne veux aucun single sur cet album’. Il a dit ok et nous a laissé carte blanche pour faire le disque qu’on voulait ! Donc j’ai fait ‘Book Of Days’ et j’ai pensé qu’il redressait la barre. Il y a des fans des Psychedeli­c Furs qui le mettent au-dessus de tout... Et je ne suis pas parti ! J’ai fait un autre disque...” (rires). Celui-ci, le dernier, “World Outside”, sera produit par Stephen Street : “On visitait un studio où les Smiths enregistra­ient. Ils faisaient un break, on a discuté avec Stephen et l’idée de travailler avec lui est venue de là. Et du fait d’aimer le son des Smiths. (...) On ne savait pas que ce serait le dernier. On est parti en tournée et, quand on est revenu, c’était le moment d’écrire à nouveau. A ce stade, je faisais disque/ tournée depuis un bon moment et je voulais un break. Je voulais écrire avec de nouvelles personnes.” Un break de vingt-neuf ans... jusqu’à la sortie de “Made Of Rain”. Et cette attente valait le coup. Le groupe n’a rien perdu de sa superbe et l’album est fabuleux. Un exemple rare de reformatio­n qui marche. Mais les Psychedeli­c Furs ne sont pas un groupe comme les autres. ★

Album “Made Of Rain” (Cooking Vinyl)

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