Rock & Folk

IDLES

Les working class heroes braillards du rock britanniqu­e reviennent avec “Ultra Mono”, un troisième album porté par un concept philosophi­que fort.

- RECUEILLI PAR ERIC DELSART Album “Ultra Mono” (Partisan/ Pias)

AU PREMIER ABORD, on pourrait les prendre pour des punks bas du front, des bourrins sans finesse. Car sur scène, Idles proposent un spectacle édifiant : voûté en avant tel un fauve prêt à bondir, vêtu d’une chemisette hawaïenne qui laisse paraître ses imposants tatouages, le chanteur Joe Talbot hurle des slogans à la façon d’un hooligan énervé. Plus loin, le guitariste Mark Bowen navigue en caleçon au milieu du public en grimaçant, tandis que le reste du groupe joue de façon frénétique des hymnes à trois accords. Pourtant, quand on l’écoute de plus près, le quintette anglais de Bristol se démarque de la concurrenc­e par la finesse de ses textes et la radicalité d’un propos où règne un seul mot d’ordre : l’honnêteté.

Masculinit­é toxique

C’est ici tout le paradoxe d’Idles. Derrière ses dessous rustres, symbolisés par la voix rauque de son chanteur, se cache un groupe au message éhontément positif. Tout au long de son oeuvre discograph­ique, Talbot dissémine des messages de fraternité, de tolérance, et affiche bonheur et joie comme ses valeurs principale­s. On parle tout de même d’un groupe qui a intitulé son deuxième album “Joy As An Act Of Resistance”. Ses textes, très politiques, marquent un engagement envers la cause féministe (avec en point d’orgue “Never Fight A Man With A Perm”, qui tacle violemment la masculinit­é toxique), l’immigratio­n (“Danny Nedelko”, hymne aux migrants) et la déprime de l’Angleterre post-Brexit. En 2018, cet album a propulsé Idles dans un autre monde, celui de la reconnaiss­ance populaire et critique (avec en point d’orgue une nomination au prestigieu­x Mercury Prize). Par ses prises de position fortes, le groupe est devenu le porte-parole son album en ultra-basse fidélité. Il s’agit, au contraire, de la formalisat­ion d’un concept basé sur la réalisatio­n de soi et la transparen­ce. “C’est un terme qui signifie : être dans l’instant, accepter de n’être qu’une entité pour construire quelque chose de plus grand et de meilleur que soi-même” explique Talbot. Ce credo a guidé le groupe jusque dans son écriture. “Nous avons écrit chaque chanson pour qu’elle personnifi­e le concept de l’album”. Chacune d’entre elles a ainsi été conçue autour d’une partie simple qui sert de focus au morceau. Pour matérialis­er cette approche, le groupe s’est adjoint les services du producteur hip-hop Kenny Beats qui a donné du punch à l’affaire au moment du mix. “Nous avons voulu utiliser les pratiques du hip-hop, des choses qu’on trouve dans la techno ou dans les travaux de Kanye. C’est-à-dire être moins noisy pour faire plus de bruit. Mettre plus l’accent sur une seule partie afin qu’elle ait davantage de puissance et d’impact.” Il en résulte un album brut, frontal, sans artifices et plus efficace que jamais. “Cette idée que nous ne sommes que la partie de quelque chose de plus grand que nous est importante”, insiste Talbot. “C’est ce qui permet de s’accepter en tant qu’individu, de prendre confiance en soi. C’est ce qui permet de créer une communauté par l’empathie.” L’AF Gang, cette communauté qu’a su créer autour de lui le groupe de Joe Talbot, se désespère aujourd’hui de revoir le groupe sur scène. Idles a donné les 28 et 29 août des concerts payants sur YouTube. Des sessions filmées à Abbey Road, durant lesquelles ils ont présenté plusieurs nouveaux morceaux et également joué, notamment, “Helter Skelter” des Beatles et “Reptilia” des Strokes. Plaisant, mais bien loin de l’expérience live du groupe, véritable moment de partage où règne un esprit de communion rare.

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