Rock & Folk

Un coup de maître

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Lou Reed

“NEW YORK - DELUXE EDITION”

Rhino/ Warner

L’année 1989 a vu le retour de trois légendes majeures. Bob Dylan avec “Oh Mercy”, Neil Young avec “Freedom”, Lou Reed avec “New York”. La chute du mur de Berlin ayant eu lieu au mois de novembre de cette même année, ce ne peut donc pas être ce joyeux événement qui a réveillé les trois musiciens. Peut-être en avaient-ils tout simplement assez du son des années quatreving­t, sans doute se sont-ils tout simplement retrouvés, après s’être sérieuseme­nt égarés. Lou Reed n’était pas le pire de la bande — Dylan et Young ont également fait n’importe quoi durant la première moitié des années quatre-vingt —, mais avec le revival du Velvet Undergroun­d (le livre “Uptight”, la compilatio­n “V.U” et l’obsession du rock indé anglais pour le groupe), il devenait urgent qu’il se reprenne. L’homme a eu un parcours en dents de scie et avait déjà sorti dans les années soixante-dix des albums moyens (“Rock And Roll Heart”, “The Bells”, “Sally Can’t Dance” ou le franchemen­t abominable “Growing Up In Public”). Puis il y eut deux ans après le charmant mais léger “Coney Island Baby”, le grandiose chaos de “Street Hassle” où l’on retrouvait un Lou plus fielleux que jamais. Après quoi, il sortit deux albums quasi nuls, avant d’embaucher le grand guitariste Robert Quine et le bassiste Fernando Saunders, pour publier le fabuleux “The Blue Mask”. Un album moins fou que “Street Hassle”, mais plus majestueux. C’était l’époque où Reed avait décidé de devenir sobre et était fou amoureux de sa compagne Sylvia Morales, qu’il épousera en 1980. “The Blue Mask” était un petit chef-d’oeuvre, mais comme souvent auparavant, Lou Reed déçut tout le monde avec le suivant, “Legendary Hearts”, pas désagréabl­e mais vraiment trop pépère. Puis il vira Quine, avec lequel les liens étaient devenus très tendus à l’époque de “Live In Italy”.

Il y eut ensuite “New Sensations”, plein de belles compositio­ns mais gâché par un son de batterie horrible. Et lorsque, en 1988, il publia l’épouvantab­le “Mistrial”, l’homme avait l’air complèteme­nt perdu. Un an plus tard, il était de retour, triomphant avec “New York” qui ressort ces jours-ci en version Deluxe (avec plein de live et de démos). Avec un nouveau guitariste et un nouveau bassiste (le jeu fretless de Saunders était devenu assez fatigant), le mot d’ordre semblait être : “On resserre tous les boulons et on fait du rock’n’roll”. Dédié à la ville qu’il a tant évoquée durant sa carrière, “New York” est un concentré de bonnes compositio­ns (“Romeo Had Juliet”, “Dirty Blvd”, “There Is No Time”, “Halloween Parade”) aux textes comptant parmi ses meilleurs. Il envisage même d’avoir un enfant sur “Beginning Of A Great Adventure” (cela n’arrivera pas car il quittera Morales, une femme qui dirigeait sa carrière d’un gant de fer, pour la plus douce Laurie Anderson) et sort même sa première chanson politique avec “Good Evening Mr Waldheim”. Mo Tucker est même présente sur un titre. “New York” fut un coup de maître, une révolution inespérée dans une carrière qui semblait en fin de course. S’ensuivit une tournée triomphale — les concerts à l’Olympia étaient magiques, il y reprenait même “Sweet Jane” dans sa version originale en remerciant les Cowboys Junkies d’avoir ressorti le pont qu’il avait supprimé depuis tant d’années —, l’homme était visiblemen­t heureux, et ses fans extatiques. Inspiré par la parution du “Journal” d’Andy Warhol, il décida de lui consacrer un album entier en collaborat­ion avec John Cale. Un pari osé tant les relations entre les deux hommes ont toujours été compliquée­s (et voleront en éclats après la calamiteus­e réunion du Velvet Undergroun­d quelques années plus tard). “Songs For Drella”, malgré quelques faiblesses, reste un grand album. Nous étions alors en 1990, Lou Reed était en forme. Pour la dernière fois. Dans les années qui suivront, rien ne sera plus jamais du niveau de “New York”. Il y aura quelques bricoles à picorer sur “Magic And Loss”, pas grand-chose sur “Set The Twilight Reeling”, et rien du tout sur “Ecstasy”, “The Raven” et “Lulu”, sa collaborat­ion grotesque avec Metallica. Et puis, un jour d’octobre 2013,

“le roi de New York”, comme le surnommait David Bowie, nous a quittés. Mais, comme il le chantait sur “Open House” (“Songs

For Drella”) : “There are no stars in the

New York sky, they’re all on the ground”.

The Rolling Stones

“GOAT’S HEAD SOUP SUPER DELUXE EDITION”

Universal

Evidemment, après un enchaîneme­nt de quatre albums magiques (“Beggars Banquet”, “Let It Bleed”, “Sticky Fingers” et “Exile On Main St”), “Goats Head Soup” (1973) peut faire pâle figure. Ce qui lui manque : de grandes chansons. Il n’y a pas ici les équivalent­s de “Salt Of The Earth”, “Gimme Shelter”, “Sway” ou “Tumbling Dice”, et d’ailleurs, l’album commence par un morceau très médiocre, “Dancing With Mister D” (encore un truc avec le diable, sans doute celui de trop). Pour autant, “Goat’s Head Soup” n’est pas à négliger, loin s’en faut… “Exile On Main St.” avait été un foutoir total et génial bricolé entre la Côte d’Azur et Los Angeles. Mick Jagger, qui n’a jamais particuliè­rement aimé ce double mythique, et qui n’a jamais non plus aimé le bordel, a décidé de rameuter ses troupes en Jamaïque afin d’y trouver luxe et confort, mais aussi pour remettre un peu d’ordre, surtout au moment où Keith Richards commençait à devenir un junkie très sérieux. “Exile...” avait été un album basique, avec quelques cuivres et des choeurs limite gospel, “Goat’s Head Soup” est plus opulent. Trois musiciens jouent du clavier (le grand Nicky Hopkins, le groovy Billy Preston qui touche sa bille au Clavinet funky, et le fidèle Stu Stewart), trois hommes assurent les cuivres, les fidèles Jim Price et Bobby Keys aux saxophones, ainsi que Chuck Finley à la trompette. Andy Johns est l’ingénieur du son et Jimmy Miller, habitué du groupe, la production. La pochette est conçue par le vieux complice (et ancien mari de Catherine Deneuve) David Bailey : pour la première fois, seul Jagger y figure, le reste du groupe apparaissa­nt à l’intérieur. C’est un signe : le chanteur commence à prendre les rênes au moment où son partenaire se met à débloquer. Malgré la comparaiso­n

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