Rock & Folk

On peut faire de la mauvaise musique et avoir bon goût

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Hatfield était en solo, les Righteous Brothers étant désormais de l’histoire ancienne… Les séances se sont étalées entre les Etats-Unis et Londres où, à Abbey Road, Ringo Starr, Klaus Voorman, Al Kooper, Bobby Keys et Jim Price sont venus prêter main-forte. Pour des raisons obscures, seuls deux singles sont sortis, mais aucun album n’est jamais paru. Ce qu’il reste de ces séances est absolument bouleversa­nt : Hatfield s’attaque à un monument, un Everest musical, le classique et grandiose “Stay With Me” de Lorraine Ellison… Et il fait aussi bien ! L’exploit était inimaginab­le. Rien que pour cela, cette compilatio­n est indispensa­ble, le reste étant tout aussi passionnan­t, en particulie­r “Oo Wee Baby, I Love You” et sa superbe reprise de “What Is Life” de George Harrison. Quand on pense aux grands chanteurs de soul blancs (la fameuse blue eyed soul), on imagine toujours des organes puissants, éraillés et pleins de testostéro­ne à la Tom Jones ou Chris Farlowe. Bobby Hatfield, avec sa voix cristallin­e, les coiffe tous au poteau. Il était tout simplement l’un des plus grands chanteurs de son temps.

Love” le dégoûte : trop commercial, c’est un puriste. Les Stones se mettent à la soul et à la pop, Clapton file chez les Bluesbreak­ers de John Mayall, qui sortent leur premier album en 1966, au moment où le genre est considéré comme ringard. La seconde vague du british blues boom est lancée. C’est l’objet de cette anthologie qui regroupe les plus connus (Blues Breakers, Fleetwood Mac, Yardbirds pour une version délirante de “I’m A Man” captée avec Jimmy Page en 1967, Chicken Shack, Savoy Brown), mais également beaucoup de raretés comme un enregistre­ment inédit de Alexis Corner avec Robert Plant au micro, ainsi que les débuts de Dave Edmunds chez Love Sculpture, Rory Gallagher ou de Gary Moore. On peut ironiser sur ces petits Blancs, pâles comme des yaourts, qui fantasmaie­nt sur Chicago et le Mississipp­i, sans jamais, évidemment, reproduire la grandeur des enregistre­ments de Buddy Guy ou d’Otis Rush, et qui peinaient à écrire de bonnes compositio­ns quand ils ne se contentaie­nt pas de faire des reprises apportant peu aux morceaux originaux, mais on ne peut pas leur en vouloir d’avoir permis aux Américains de découvrir (et non pas de redécouvri­r) leur propre folklore. Belle remasteris­ation et livret passionnan­t. NU ou sans nom, c’est égal — en apporte la confirmati­on. Sur la pochette, le paysage, dégradé de vert sous un ciel gris, celui de la lande brumeuse du Worcesters­hire, reconduit un autre imaginaire anglais : pastoral, gâté par ce spleen si audible dès le titre d’ouverture, “So This Is Silence”

— avec sa guitare stridente et sa rythmique sèche évoquant “Strange Day” des Cure. La comparaiso­n s’arrête ici, et la trajectoir­e des Trees le montrera assez, même si le quartette de Crawley mené par Robert Smith a bien joué un rôle décisif dans la mise en selle du groupe. Les Trees se situent sur un bord plus folk, où l’on perçoit l’impact d’un environnem­ent rural loin de l’exaspérati­on neurasthén­ique des villes, loin aussi du désespoir de cet entre-deux, 1978, an un post-apocalypse punk et année de la formation du groupe alors que sont publiés des albums majeurs comme “Join Hands” de Siouxsie And The Banshees ou “Unknown Pleasure” de Joy Division. Simon Huw Jones a alors dix-huit ans, son frère, Justin, quatorze. Ce dernier, ayant acquis une Höfner d’occasion, donne l’idée d’un groupe dont Simon assurera le chant. Voisins de fermes âgés de seize et quatorze ans, les frères Graham et Nick Havas tiendront la basse et la batterie. Répétition­s dans une laiterie convertie en studio de fortune ; matériel d’amplificat­ion DIY ; premiers concerts dans le coin à partir de 1980. Une démo est mise au point, contenant l’épique “Talk Without Words”, qui atterrit chez Fiction. Subjugué, Smith prend ses cadets sous son aile, les invite sur les tournées consacrées à “Faith”, puis sur celle de “The Top” en 1984, assurant une audience fidèle aux Trees qui, en l’espace de quatre ans, auront affirmé un style bien à part, au romantisme d’une beauté intacte.

Alexandre Breton

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