La stratégie de l’uppercut
La musique dite est le pari de certains indés aventureux. L’autoproduction leur permet de tester leurs capacités à unir cette recherche à la volonté de s’inscrire dans une mouvance reconnue. C’est le cas de la majorité des huit sélectionnés du mois parmi les vingt-trois albums parvenus à la rédaction.
A ses débuts à Genève en 2009, Massicot relevait de la performance insolite : formé de plasticiennes qui s’improvisaient musiciennes, il optait pour des improvisations débridées. Mais au fil des années, des disques et des concerts ; aussi bien dans des galeries d’art que dans des salles rock, le trio s’est forgé un style unique dont témoigne ce quatrième album avec ses morceaux répétitifs et trépidants parsemés de vocaux scandés et de spasmes instrumentaux, au carrefour de la musique d’avant-garde, des expérimentations de Sonic Youth et du post-punk (“Kratt”, Les Disques Bongo Joe, facebook.com/Massicot, distribution L’Autre Distribution).
Après la sortie d’un premier essai en 2006, le Parisien Damien fut adoubé par Phoenix qui plaça un de ses titres sur sa compilation. Son troisième album le situe quelque part entre Sébastien Tellier pour l’option electro, Katerine pour la loufoquerie assumée et surtout Gainsbourg pour la pratique du chanté-parlé, le goût de la formule choc et le recours aux choeurs féminins sexy (notamment sur “Sex-Appeal”). Sa spécialité consiste à proférer d’une voix posée des textes provocants sur une musique dansante
(“Satan & Eve”, Ultimisme, damienofficiel.com).
Venu de Rodez, Lombre a fait ses classes au sein d’un groupe de rap landais avant de trouver sa propre voie en solo en 2015, dans la foulée de sa découverte admirative de Fauve #, entre spoken word, rap, rock electro et chanson française. Son premier album impressionne par la qualité de sa production, l’apport de divers musiciens qui enrichissent la perspective electro, la fluidité de son flow vocal et la force parfois crépusculaire de textes qui lui valurent de remporter le prix d’écriture Claude Nougaro (“La Lumière Du Noir”, Ulysse Maison d’Artistes, lombrehome.fr, distribution Sony Music).
Maxime Liberge a oeuvré dans le folk avant de concevoir Mezzanine après un séjour en Australie. Il en est revenu en 2014, avec un projet solo basé sur des chansons composées à la guitare acoustique, puis a intégré trois autres complices rencontrés au Havre, tout en en conservant les rênes et la composition. Les quatre titres du second EP se revendiquent comme “un rock de plage” et font de la fraîcheur leur qualité première en cultivant une pop synthétique chantée en anglais aux atmosphères ouatées et plaisantes qui permettent de prolonger les vacances dans une ambiance de farniente (“Mezzanine
II”, facebook.com/mezzanine).
Le nom intrigant de 6S9 correspond, depuis 2017, au nouveau projet de Staif Bihl,de Marseille, par ailleurs guitariste du groupe metal Eths. En solo, il révèle une autre facette de sa personnalité musicale : son attrait pour l’electro. Dans son premier essai, il unit cette perspective à son goût des grosses guitares à des percussions tribales et à des voix pop ou ethniques, avec le concours d’invités (des chanteurs, et Les tambours Du Bronx). Les cinq titres acquièrent ainsi une envergure étonnante tout en privilégiant la stratégie de l’uppercut grâce à un son étourdissant (“As Above So Below”, facebook. com/6S9project, distribution M&O Music).
Le coeur névralgique de Inflatable Dead Horse est un chanteur d’origine galloise qui, après une expérience garage punk, s’est installé en Midi-Pyrénées où il a rencontré ses quatre acolytes. Ce premier album est déjà sorti en vinyle, mais le label toulousain qui a repéré le groupe a décidé de lui donner une nouvelle chance en CD, et on comprend cet enthousiasme : les morceaux anglophones révèlent une densité et une intensité rares, entre ballades folk apaisées et déflagrations fiévreuses. Et la voix, habitée, est au diapason des instrumentations convulsives (“Love Songs”, We Are Unique Records, facebook.com/InflatableDeadHorse, distribution Bigwax).
Avec ce premier album solo, Mickaël Mottet s’inscrit dans la continuité de ses expériences antérieures avec le groupe Angil And The Hiddentracks ou le duo Lion In Bed. Jouant du piano et de pratiquement tous les instruments, et scandant des textes qui évoquent l’oeuvre du poète irlandais Nick Laird, il embarque ses chansons pop aériennes du côté du rap, du jazz et de la musique contemporaine, avec comme références Miles Davis, John Cage, Steve Reich, mais aussi Iggy Pop ou encore Mark E Smith, le défunt leader de The Fall à qui il consacre un morceau (“Glover’s Mistake”, We Are Unique Records, weareunique.com, distribution Bigwax).
Après un EP en 2018, Fast Friends s’impose avec un album enthousiasmant. Le duo parisien s’y montre adepte d’une folk-pop délicatement synthétique : il peaufine des morceaux anglophones qui s’appuient sur des mélodies et des voix prégnantes, et cultive en douceur un esthétisme où la finesse le dispute à l’élégance. Et malgré sa nonchalance classieuse, le chant cède parfois la place à quelques invités de marque qui entretiennent une diversité féconde, tels LP Master, Sammy Decoster ou les chanteuses américaines Heather Woods Broderick et Jona Oak (“Domestic Eyes”, Les Disques Pavillon, facebook.com/wearefastfriends).
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