Entre paradis tordu et enfer masochiste Lux AEterna
DE GASPAR NOé
Gaspar Noé est le seul cinéaste français
au style immediatement identifiable. Avec sa maîtrise très psyché, du son et de l’image, il semble vouloir créer, de film en film, une autre dimension où l’esprit du spectateur est pris en étau entre deux états de conscience modifiée. Un cinéma évidemment difficile pour un public shooté aux gags des “Tuche” ou aux séquences spectaculaires des blockbusters américains. Et qui renvoie, aussi, à quelques classiques du cinéma sensitif et métaphysique allant de “2001, L’Odyssée De L’Espace” de Stanley Kubrick à “Solaris” d’Andreï Tarkovski. Comme si, à la façon d’un nouveau Dieu pervers, Gaspar Noé essayait de recréer une réalité différente. Entre paradis tordu et enfer masochiste. Tout ça avec une liberté cinématographique aussi extrême que novatrice. Que ce soit dans la forme, hypnotique, que dans le fond, toujours provocateur et teinté d’ironie. Noé le reconnaît, il veut disposer ad vitam aeternam d’une entière liberté en refusant systématiquement de se plier au moindre diktat d’un quelconque producteur. D’où ses projets fous, pour la plupart vite tournés, mais subtilement conceptualisés. Dans le genre, son avant-dernière déjanterie, préparée et tournée à la vitesse grand V (“Climax”) aura été son film le mieux accueilli par la critique. Ce qui l’a probablement incité à accepter cet autre projet encore plus minimaliste, intitulé “Lux AEterna”. Carrément un moyen-métrage (cinquante minutes pour cinq jours de tournage) conçu de façon hors norme. Après avoir reçu, en février 2019, un appel de la maison Yves Saint Laurent, prête à investir dans des projets cinématographiques, Noé accepte de réaliser “en quatrième vitesse” (ce sont ses mots) ce film dont l’action est quasiment improvisée à partir d’un simple pitch. Soit un tournage de film partant en vrille. Avec Béatrice Dalle en réalisatrice sado et Charlotte Gainsbourg en actrice maso : un ersatz de Jeanne d’Arc condamnée au bûcher ! Tout ça, évidemment, baignant dans un pur style Noé, avec pétages de plombs (façon “Climax”), techniciens largués, crise psychotique généralisée et effets de lumière stroboscopiquo/christique sur fond de flammes plus ou moins purificatrices. Et même une utilisation presque non sensique du split screen (écran partagé en deux) lors d’une discussion entre Gainsbourg et Dalle qui ne se trouvent pourtant qu’à un mètre de distance. Comme toujours, Gaspar Noé devrait être suivi par ses fans de la première heure, toujours en extase devant ses expérimentations culottées, tout comme il sera rejeté par les adeptes d’un cinéma moins rock d’esprit, d’autant que ceux qui abhorrent son cinéma en le faisant savoir haut et fort finissent par lui faire de la publicité. Voir le cas de “Irréversible”, son film à scandale, qui aura fait autant jaser sur la croisette que “La Grande Bouffe” de Marco Ferreri en son temps. “Irréversible” qui est ressorti un mois avant “Lux AEterna” en version inversée, en allant cette fois du sexe doux au viol dégueulasse, du calme à la tempête et de l’amour à la mort. On pourrait croire alors que son cinéma ne serait qu’une grande électrification gratuite. Mais non, et “Lux AEterna” peut se voir comme une représentation quasi métaphorique d’une certaine déliquescence de la société. Car après tout, Charlotte Gainsbourg en flammes sur le bûcher, n’est-elle pas au fond une représentation de tout ce qui fait la lie du monde contemporain. De Donald Trump à l’apocalyptique Covid, en passant par les flics éborgneurs de Macron et au racisme putassier de “Valeurs Actuelles”. Un état de fait en quelque sorte. Sans morale, ni jugement. Comme si Jésus en personne (très présent dans le court-métrage surprise projeté en avant-programme et tourné également en catimini par Noé) ne savait plus où donner de l’âme pour sauver le très petit pourcentage d’humanité traînant encore sur cette maudite planète (en salles le 23 septembre)…
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J’Irai Mourir Dans Les Carpates
Cela fait quinze ans que le journaliste aventureux Antoine de Maximy parcourt le globe façon Tintin pour des émissions de reportages où il visite les coins les plus reculés et les moins touristiques du monde dans le but de passer la nuit chez des quidams rencontrés sur son chemin. Aussi jouissive qu’addictive, “J’Irai Dormir Chez Vous” a déjà donné lieu, il y a douze ans, à un long-métrage au cinéma (“J’Irai Dormir A Hollywood”). Aujourd’hui, l’homme à la chemise rouge reprend le même concept mais en le détournant avec un mélange de fiction et de réalité. De Maximy part cette fois dans les Carpates, toujours muni de trois caméras vidéo qui le filment constamment. Sauf qu’il disparaît mystérieusement. Sa monteuse (jouée par l’actrice Alice Pol) enquête alors à partir des rushes qu’elle reçoit régulièrement, pour comprendre ce qui a pu lui arriver... Un principe déjà utilisé par Ruggero Deodato il y a quarante ans dans le très culte et gorissime “Cannibal Holocaust”. Bien qu’assez sympathique et distrayant, “J’Irai Mourir Dans Les Carpates”
J’Irai Mourir Dans Les Carpates
— à cause de son côté fabriqué — est un peu bâtard. Du moins pour les fans de l’émission car certains épisodes étaient finalement bien plus surprenants, haletants et dépaysants... qu’un film de fiction (actuellement en salles) !
Relic
La plupart des séries B d’horreur d’aujourd’hui sortent directement en VOD, le genre n’intéressant visiblement plus les salles. Par quel miracle alors “Relic” trouve-t-il son chemin sur quelques grands écrans ?
Probablement parce qu’il sort des sentiers battus, la réalisatrice Natalia Erika James préférant jouer la carte de l’atmosphère mystique que celle de l’horreur frontale. On y suit le retour, dans une maison de famille, d’une femme et de sa fille de vingt ans,
Relic
à la recherche de la mère de la première (et grand-mère de la seconde) qui a disparu depuis trois jours. Or, elle finit par revenir, mais dans un état mental autre. Où était-elle passée ? La question se pose pendant tout le film, tandis que l’atmosphère bascule de façon étouffante dans une sorte de “Twilight Zone” mortifère, avec, au passage, beaucoup de métaphores sur le vieillissement, la sénilité, les relations filiales compliquées et les souvenirs familiaux enfouis. Et pour finir, une sorte de rédemption finale entre les trois personnages qui sont comme projetés dans un cauchemar éveillé. Le résultat, à la fois étrange, languissant et hypnotisant, laisse tout de même quelques questions en suspens.
Qui, suivant les goûts de chacun en matière de fantastique, peut réjouir ou frustrer (en salles le 7 octobre).
A Good Woman
“A Good Woman” a quasiment le goût, l’odeur et le look de certaines séries B du cinéma d’exploitation provo des années soixante-dix et quatre-vingt. Soit une jeune veuve dépressive qui, depuis le mystérieux assassinat de son mari, subsiste comme elle peut avec ses deux enfants en bas âge. Jusqu’au jour où son quotidien, déjà cafardeux, dévie vers l’enfer absolu quand un dealer la prend vaguement en otage dans sa propre demeure. Et ça dégénère sévèrement. Avec trafic de coke, vengeance froide, autodéfense improvisée et une séquence trash assez réaliste d’un découpage de cadavre. “A Good Woman” aurait pu n’être qu’un simple délire de violence gratuite si le réalisateur, Abner Pastoll, ne l’inscrivait dans un contexte social
Waiting For The Barbarians
A Good Woman
assez réaliste. Comme si les frères Dardenne rencontraient Michael Winner, le réalisateur de “Un Justicier Dans La Ville”. Ou Ken Loach revisité par le Sam Peckinpah des “Chiens De Paille”. Le film est également porté par l’interprétation émotionnellement impliquée de Sarah Bolger, aussi à l’aise dans le drame que la baston furibarde (disponible sur Filmo TV).
Waiting For The Barbarians
Sélectionné à l’Oscar du meilleur film étranger il y a quatre ans avec son très chamanique et hypnotisant “L’Etreinte Du Serpent”, le cinéaste colombien Ciro Guerra a réussi à attirer trois stars américaines pour tourner dans ce film d’auteur absolu, “Waiting For The Barbarians”. Soit un magistrat britannique (Mark Rylance) qui, gérant en plein désert un fort dans lequel sont enfermés de soi-disant barbares, est confronté à un colonel tortionnaire (Johnny Depp) et à un autre gradé (Robert Pattinson) envoyés par le pouvoir central et prêts à appliquer des lois innommables sur les prisonniers. Le cinéaste aborde de façon allégorique et universelle divers sujets : le bien et le mal, le racisme inné de l’Homme et les aléas pervers d’une prétendue justice qui se révèle totalement fascisante. Débutant sur un rythme extrêmement lent, “Waiting For The Barbarians” finit peu à peu par captiver. Principalement grâce à ses acteurs, qui — ils le savaient probablement d’avance — ont accepté ce film pour des raisons artistiques plutôt que commerciales. Une façon comme une autre de se refaire une santé morale entre deux blockbusters et autres productions Netflix (disponible sur Filmo TV).
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