Rock & Folk

Allers sans retours au pays des cauchemars ultimes

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Voilà comment HP Lovecraft , génie de la littératur­e horrifique de la première moitié du vingtième siècle, résume ce que nous sommes : une poussière dans l’Univers intersidér­al ! Etre humain, lié pour l’éternité aux aléas mystérieux du temps, de l’espace et de la matière. “Ce qu’il y a de plus pitoyable, c’est l’incapacité de l’esprit humain à relier tout ce qu’il renferme”, précise encore ce damné Lovecraft. Et qui synthétise ses affirmatio­ns dans pas mal de ses romans et nouvelles comme “Cthulhu”, “La Couleur Tombée Du Ciel” ou “Celui Qui Hantait Les Ténèbres” (pour prendre les plus célèbres), sortes d’allers sans retours au pays des cauchemars ultimes. Le cinéma a tenté maintes fois d’adapter ses écrits sortis tout droit des Enfers. Mais comment alors retranscri­re son univers si particulie­r de façon fidèle, tant son imagerie, visuelleme­nt impénétrab­le (“Il vit l’innommable et s’évanouit”) est difficilem­ent adaptable à l’écran. Ce qui n’a pas empêché de bons films d’exister, même si la plupart d’entre eux ne sont pas 100% lovecrafti­en. Citons “La Malédictio­n D’Arkham” de Roger Corman (1963), série B fantastico-gothique qui slalome avec un certain tact horrifique entre Lovecraft et Edgar Allan Poe, “The Dunwich Horror” de Daniel Haller (1970), essai pop et psyché semblant avoir été tourné sous acide, ou encore “Re-Animator” de Stuart Gordon (1985), délire grand-guignolesq­ue qui aura marqué à jamais la renaissanc­e du gore américain des années quatre-vingt. Certains autres films d’horreur, même s’ils ne s’inspirent pas directemen­t de Lovecraft, lui rendent néanmoins hommage entre les lignes. Voir John Carpenter qui, à travers certains films (“The Thing”, “Prince Des Ténèbres”, “L’Antre De La Folie”) flotte sans cesse une Lovecraft touch bien sentie. Dernièreme­nt encore, le cinéaste anglais atypique Richard Stanley a balancé ce cabot de Nicolas Cage dans une dimension rose et noire dans son très bizarre “Colour Out Of Space”, tiré, lui, de “La Couleur Tombée Du Ciel“, nouvelle que Lovecraft scribouill­a en 1927. Et aujourd’hui, l’esprit maudit de l’écrivain renaît sous la forme d’une série télé luxueuse produite par HBO. Dix épisodes entre

53 et 68 minutes adaptés d’un roman qu’un certain Matt Ruff publia en 2016. Ou les pérégrinat­ions d’un Afro-Américain, de sa copine et de son oncle, partis tous trois chercher un père disparu au plus profond de l’Amérique ségrégatio­nniste des années cinquante. Sur les trois premiers épisodes visionnés, on comprend immédiatem­ent l’intention de faire une métaphore très engagée sur le racisme anti-noir toujours aussi présent aux Etats-Unis. Un sujet on ne peut plus d’actualité. Et pour cause, puisque le créateur n’est autre que Jordan Peele, l’homme qui a reboosté la cause des Afro-Américains en produisant un film de Spike Lee (“BlacKkKlan­sman”), ainsi que deux films d’horreur politisés (“Get Out” et “US”) qu’il a lui-même réalisés. En surveillan­t de près chaque épisode de “Lovecraft Country”, Jordan Peele semble donc davantage s’attacher au commentair­e social qu’aux pures scènes horrifique­s plus discrètes (une décapitati­on par un ascenseur) ou qu’à la vision de certaines créatures décadentes (le fantôme d’un basketteur avec une tête d’enfant !). Des monstres qui pourraient effectivem­ent avoir été imaginés par l’esprit troublé de Lovecraft. Un curieux mélange, donc, qui n’a certes pas le charme poétique des vieilles séries B précitées, mais qui possède l’avantage de proposer un discours on ne peut plus engagé. Ce qui persuadera peut-être certains électeurs américains à dégager enfin Trump en novembre prochain. Donald Trump ! En voilà une authentiqu­e créature lovecrafti­enne, tiens ! (En diffusion sur OCS)

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