Janis Joplin
Hoëbeke
Les biographies de super stars mortes sont souvent frappées par les mêmes implacables défauts : détails inutiles, vaines conjectures ou, à l’inverse, barbantes précisions techniques et, pire encore, hagiographiques envolées et clichés sentimentaux. Janis Joplin détient sans doute le record en la matière, sa personnalité complexe et la brièveté de sa carrière faisant d’elle un sujet chéri, objet de tous les fantasmes de fans énamourés tentés par l’écriture. C’est donc un rare tour de force que réussit Nathalie Yot avec ce joli “Janis Joplin”, tout à la fois une biographie fidèle sur la courte vie de la chanteuse, mais aussi un presque roman, fidèle à l’esprit de la vibrante artiste. Nathalie Yot est forcément aussi une fan de Joplin, l’intimité de son regard le prouve, mais son style imaginatif et souvent percutant montre, c’est rare, un vrai travail d’écrivain au service de son sujet et non pas, comme c’est parfois le cas, un prétexte à l’étalage de ses propres chimères adolescentes. Yot se glisse avec aisance dans la peau de Janis Joplin et la raconte comme elle raconterait l’histoire d’une soeur ou d’une proche, avec tendresse et lucidité. Et sans se focaliser sur des banalités sexistes sur son physique ou sa sexualité, comme à peu près 98% de ses biographes — mâles, est-ce la peine de le mentionner — qui ne se remettent toujours pas qu’elle n’ait pas correspondu aux critères esthétiques et de genre exigés alors pour les chanteuses, n’hésitant pas à rappeler qu’ils la trouvent toujours moche ou trop masculine. Comme si on avait trop besoin de connaître leur avis moisis sur une artiste dont l’immense talent bouleverse par ailleurs le monde depuis cinquante ans. Sans bla-bla ni pathos, l’autrice s’attache à ressentir plutôt qu’expliquer, et cette proximité nous fait assurément bien mieux discerner toutes les nuances du coeur ô combien brûlant de Janis Joplin qu’une biographie plus détaillée ou plus classiquement construite. Notez que ce livre fait partie d’une nouvelle collection “Les Indociles”, dirigée par notre confrère Stan Cuesta, qui publie en même temps un ouvrage sur Jim Morrisson, qui ne sera pas recensé ici en hommage à la grande Janis qui disait de lui, après l’avoir rencontré pour la première fois : “Quel connard ce Jim Morrisson”.
Allia
L’énigme du coeur brûlant de Ian Curtis ne sera peutêtre jamais vraiment éclaircie, mais personne ne s’en approchera plus que Jon Savage dans son extraordinaire livre “Le Reste N’Etait Qu’Obscurité, L’Histoire Orale De Joy Division”. Histoire orale donc, c’est-à-dire reconstituée et racontée grâce aux interviews des musiciens et de leurs proches, et mise en forme chronologique, comme un immense puzzle hyper précis et dont chaque pièce s’emboîte si parfaitement qu’on le lit comme un récit fluide et non comme des extraits d’entretiens mis bout à bout. Le truc, c’est que tous les interlocuteurs sont absolument passionnants, qu’ils parlent de Manchester, de l’histoire sociale de la région ou qu’ils dressent le tableau de la musique locale et de la naissance du groupe, c’est toute une époque qui se redéploie devant nous. Et ils racontent Ian Curtis avec une unanime et touchante affection, dressant le portrait d’un si jeune homme torturé et fragile, malade et au fond inadapté à la vie de rock star. Mais également charmant, drôle, déterminé, et certainement aussi génial que ses fans le jurent. Ce livre ne s’adresse d’ailleurs pas du tout qu’aux fans de Joy Division, nul besoin même de vraiment connaître ou d’adorer le groupe pour être intéressé et touché par son destin tout aussi fulgurant que tragique. Rarement un suicide aura suscité autant de spéculations et de questions, et si Savage, bien sûr, ne prétend pas y répondre complètement, il rapporte précisément tous les faits et tous les différents points de vue des protagonistes encore effarés aujourd’hui par ce suicide qu’aucun, malgré des tentatives précédentes, n’avait vu vraiment arriver. Tragique donc, forcément, mais absolument emballant, ce bijou de livre est simplement une indispensable et captivante lecture pour tous les amateurs de rock. L’amour, l’amour de Ian Curtis ne nous séparera pas.
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