Rock & Folk

BOB MOULD

Heureuseme­nt, il reste Bob Mould. Le créateur du grunge avec Hüsker Dü rentre dans le lard de 2020 en s’adressant à la prochaine génération.

- Vincent Hanon

DES LE DEPART, EN 1979, BOB MOULD A PLACE LA BARRE TRES HAUT. Mélodiquem­ent, derrière le mur de son des guitares, il semble maintenant clair que Grant Hart était le Lennon et Mould le McCartney d’Hüsker Dü, groupe sans lequel il n’y aurait jamais eu, ni Pixies, ni Foo Fighters. Originaire de la petite ville de Malone, dans l’Etat de New York, le compositeu­r, chanteur et guitariste a fourbi ses armes parmi la bouillonna­nte scène de Minneapoli­s des années 80. La ville du Minnesota s’est récemment faite remarquer avec le meurtre sordide de George Floyd. Ce qui a fait sortir l’iconique Américain de ses gonds, qui laisse exploser son malaise avec “Blue Hearts”, son quatorzièm­e album solo inspiré. Devenu, à soixante ans, un chanteur protestata­ire qui parle d’iniquité et d’inégalité, de dépendance aux opiacés et d’homosexual­ité, des fermiers et de religion, Robert Arthur Mould oeuvre désormais en compagnie de Jason Narducy et Jon Wurster (batteur de Superchunk et The Mountain Goats), mais aussi de l’ingénieur du son Beau Sorenson. Il est 9 h 30 du matin dans le Castro de San Francisco lorsqu’on lui parle via Skype, mais Bob dit se réveiller ces jours-ci vers cinq heures. Avec le soleil.

Un cauchemar récurrent

ROCK&FOLK : L’enregistre­ment de “Blue Hearts” s’est fait à l’Electrical Audio de Chicago. La formule en trio est-elle immuable ?

Bob Mould : Guitare, basse, batterie, avec tout le monde au chant, voilà comment j’ai commencé avec Hüsker Dü. Dans la musique pop occidental­e, le trio traditionn­el est historique­ment composé de trois très bons musiciens, comme chez Hendrix ou Cream. J’aime qu’il y ait moins de monde sur scène, notamment techniquem­ent. Avec Jon et Jason, nous partageons un langage musical, dont l’essentiel commence dans la musique pop du milieu des années 60, se prolonge avec le hard rock et le punk rock 70, puis le hardcore 80. Beau est plus jeune que nous, mais il connaît et comprend ce langage. Il a acquis la plupart de ses capacités techniques au studio de Butch Vig à Madison, dans le Wisconsin.

R&F : “Next Generation” évoque la technologi­e

Bob Mould : Les plus jeunes se rendent compte à quel point elle peut être intrusive. Mais pour les gens qui ont entre trente et cinquante ans, la technologi­e est apparue comme quelque chose de neuf, où tout devenait gratuit. Ils étaient alors loin de s’imaginer que ça ne serait pas le cas, que leur comporteme­nt, leur manière de consommer, tout serait enregistré sur Internet. Le pire de l’exploitati­on des données est derrière nous, et la collecte de contenu va décroître dans les années à venir. L’Union européenne a mis des mécanismes en place pour informer ses concitoyen­s. Mais en Amérique, seule la Californie a entrepris quelque chose de similaire. Le reste de l’Amérique ne comprend pas de quoi il retourne. C’est le Far West.

R&F : Pourquoi dresser un parallèle entre 1984 et 2020 sur “American Crisis” ? Bob Mould : J’avais ce cauchemar récurrent, dans lequel nous étions revenus des années en arrière. En 1980, Ronald Reagan était majoritair­ement soutenu à la télévision par les chrétiens évangéliqu­es. Il a attendu cinq ans avant de prononcer le mot sida : on m’a alors fait comprendre que je devrais peut-être être mis en quarantain­e pour toujours. En 2016, nous avons Donald Trump, soutenu lui aussi par les mêmes personnage­s. Des individus qui lui apportent une tonne de fric, de soutien, le glorifient. Ce qui est illégal en Amérique. On ne devrait pas être exonéré d’impôts quand on agit de la sorte !

Super disque pop

R&F : Grant Hart est mort il y a trois ans. Quel est le moment favori de votre histoire ? Bob Mould : Notre relation de travail a été fantastiqu­e pendant plusieurs années. Même si “Zen Arcade” et “New Day Rising” sont capitaux, “Flip Your Wig” reste le meilleur en termes de bonnes mélodies. Grant et moi avions soudain la liberté de produire un disque comme nous l’entendions. Minneapoli­s était en feu, on était ensemble avec nos amis de Soul Asylum sur la route dans le monde entier, à s’entraider et à défendre cet album dont nous avions pu faire exactement ce qu’on voulait : un super disque pop.

R&F : Bon, et maintenant ?

Bob Mould : J’arrive à rester productif malgré la situation. J’ai des centaines de boîtes de vieilles bandes et de disques durs. Je profite de l’occasion pour fouiller là-dedans et tout réorganise­r. Je joue beaucoup de guitare. Cette pandémie requiert toute notre attention. C’est une réelle contrainte. On ne peut pas être libre. Et c’est difficile de créer quand on ne se sent pas libre.

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