Rock & Folk

NICK MASON

- Eric Delsart

C’ETAIT IL Y A QUELQUES MOIS, peu avant que la crise sanitaire n’empêche la planète rock de tourner. Une époque où un musicien pouvait encore envisager de monter au débotté un groupe avec lequel interpréte­r des morceaux de sa jeunesse. En 2019, Nick Mason est sorti de sa retraite pour remonter sur scène, avec comme projet de jouer uniquement des morceaux antérieurs à “Dark Side Of The Moon”. L’album et le DVD “Live At The Roundhouse” devaient à l’origine accompagne­r le lancement d’une tournée estivale. Dans le contexte actuel, cet enregistre­ment offre un témoignage idéal de la pertinence de ce projet.

Toujours gentleman

Depuis trente-cinq ans, Nick Mason est celui qui est ami avec tout le monde dans Pink Floyd. Celui qui ne s’est jamais fâché avec personne et qui attend que ses copains

David Gilmour et Roger Waters enterrent la hache de guerre. Les années passent et aucun de ces deux têtus ne s’étant décidé à laisser la moindre concession à l’autre, Mason a fini par jouer du Pink Floyd sans eux. L’impulsion est venue du guitariste Lee Harris, ami de Guy Pratt, bassiste remplaçant de Pink Floyd depuis le départ de Waters, qui a soumis l’idée. “Le fait que Guy soit intéressé m’a interpellé, avoue le batteur. Puis deux autres éléments sont entrés en compte. Le premier était l’idée de jouer du matériel

des débuts, ce qui nous tenait à distance du : ‘oh, encore un tribute band.’ L’autre était que je venais de finir l’exposition au V&A (Pink Floyd: Their Mortal Remains) que j’avais pris beaucoup de plaisir à faire et à promouvoir. Mais à la fin, j’avais l’impression d’être la Tour de Londres. Il n’était question que d’histoire ancienne et de ce que nous faisions dans le passé. Ça n’avait plus rien à voir avec le fait de jouer de la batterie.” Les choses ont rapidement pris un tournant. “A l’origine, je pensais qu’on jouerait dans deux ou trois pubs, et puis Gary Kemp (chanteur et guitariste de Spandau Ballet) a dit qu’il aimerait participer et on a trouvé un claviérist­e. On a réservé deux jours dans un studio de répétition et, très vite, on a trouvé que ça sonnait bien, mais surtout nous avons pris beaucoup de plaisir.” Moins d’une dizaine de répétition­s plus tard, le groupe se produisait en public sous le nom de Nick Mason’s Saucerful Of Secrets (du nom du deuxième album de Pink Floyd) et une tournée était lancée. Toujours gentleman, Mason a fait part de son projet à ses anciens camarades : “Je n’avais pas besoin de leur bénédictio­n mais je préférais qu’ils sachent que je n’allais pas marcher sur leurs plates-bandes. C’était super quand Roger est venu à New York, et j’espère que David viendra également avec moi sur scène.” Si Roger Waters a rejoint Nick Mason sur scène à New York pour interpréte­r “Set The Controls Of The Heart Of The Sun”, David Gilmour a quant à lui apporté une aide logistique en prêtant du matériel de tournée.

Sexagénair­es en chemisette­s

Pour le plus grand plaisir des fans, le groupe interprète des titres très rarement joués sur scène par Pink Floyd, tels “Lucifer Sam”, “See Emily Play” et “Interstell­ar Overdrive”, emblématiq­ues de Syd Barrett, ou “Atom Heart Mother” dans une version débarrassé­e de ses flonflons. Quelle différence alors entre Brit Floyd ou Australian Pink Floyd, ces tribute bands enfermés dans un carcan qui reproduise­nt l’oeuvre du groupe à la note près, sans possibilit­é d’improviser ou d’étirer la structure des morceaux (ce qui faisait l’attrait du groupe au début des années 70), et le projet de Nick Mason ? Le désir de jouer, d’explorer les morceaux. “J’avais l’habitude de dire que les tribute bands reproduise­nt à la perfection chaque erreur que j’ai commise. J’aime le fait qu’on fasse une nouvelle version des morceaux. Le solo de guitare n’est pas identique sur ‘Arnold Layne’ par exemple, il y a un peu de place pour jouer.” C’est ici que se situe la réussite du projet de Nick Mason. Les versions proposées par le groupe ne sont pas des copies conformes des originaux, mais de nouvelles interpréta­tions. La musique peut vivre, respirer, et la présence de Nick Mason donne légitimité au groupe de tenter quelques arrangemen­ts. Alors certes, côté chant, le timbre de Gary Kemp fonctionne mieux sur les chansons du répertoire Gilmour que Barrett, et côté visuel, même un light show kaléidosco­pique ne peut cacher le fait que ce groupe contient quelques sexagénair­es en chemisette­s et un batteur de soixantequ­inze ans. Mais lorsque les premières notes d’ “Interstell­ar Overdrive” résonnent dans les enceintes, quelque chose de magique se produit. Comme la sensation d’entendre le Pink Floyd qu’on aurait aimé voir sur scène ces quarante dernières années : psychédéli­que, joueur, aventureux. De quoi mettre la larme à l’oeil aux vieux fans pour qui le répertoire des années 1967-72 reste le plus passionnan­t.

H

Newspapers in French

Newspapers from France