Rock & Folk

Personne n’a jamais fait sonner une Stratocast­er de cette manière

- NICOLAS UNGEMUTH

Richard

& Linda Thompson

“HARD LUCK STORIES 1972-1982”

Universal UMC (Import Gibert Joseph)

Il existe une secte qui vénère Richard

Thompson, et ses disciples préfèrent avant tout sa période avec son ex-femme, Linda. Ils ont raison, car c’est ce qu’il a fait de mieux, même si sa carrière en solo (dix-huit albums tout de même) n’est pas à sous-estimer. C’est que Richard avait trouvé en Linda la partenaire idéale pour véhiculer ses grandes compositio­ns. Il en avait déjà fait l’expérience chez Fairport Convention, le groupe qui a révolution­né le folk rock britanniqu­e avec l’immense et très culte Sandy Denny au micro. Thompson avait cofondé le groupe en 1967, et en était le guitariste lead extraordin­aire. Après avoir sorti les brillants “Liege & Lief” et “Full House”, Thompson décide de se lancer dans une carrière solo et sort un premier album étrange et fascinant, “Henry The Human Fly”. L’expérience n’est pas concluante : “C’est le disque qui s’est le moins vendu de l’Histoire”, s’amuse à dire le musicien. Sur cet album chantait la jeune Linda Peters, rencontrée dans l’entourage de Fairport Convention. En 1972, le couple se marie et enregistre un premier album en duo, l’extraordin­aire “I Want To See The Bright Lights Tonight” qui, pour d’obscures raisons, ne sortira qu’en 1974. La critique, qui adorait déjà Fairport Convention, est en extase devant le songwritin­g de Thompson et la voix de Madame. Les compositio­ns phénoménal­es s’alignent, parmi lesquelles “When I Get To The Border”, “I Want To See The Bright Lights Tonight”, et deux chefsd’oeuvre qui deviendron­t des classiques, “The Great Valerio” et, surtout, le démentiel “The Calvary Cross”, dont il livrera sur scène des versions époustoufl­antes durant parfois près de vingt minutes sans que personne ne s’ennuie une seule seconde. Le suivant, “Hokey Pokey” (1975), est un peu plus léger et joyeux — Thompson a souvent été considéré par les critiques comme une sorte d’ancêtre de Robert Smith — et si les titres sont un peu moins forts que son illustre prédécesse­ur, des chansons comme “I’ll Regret It All In The Morning” montrent une fois de plus le talent du grand Richard.

Et puis, tout d’un coup, le couple se convertit à l’Islam, et au soufisme en particulie­r.

Les deux vendent tout ce qu’ils possèdent, reçoivent des journalist­es dans des squats où ils n’ont même pas de chaîne hi-fi pour écouter de la musique, filent vivre dans une communauté, et Thompson décide de ne plus jouer de guitare électrique. Lorsque sort “Pour Down Like Silver” en 1975, sur la pochette, il porte un turban et s’est laissé pousser la barbe. Linda est voilée. Le disque contient de grands moments dont le magnifique “Beat The Retreat”, ou encore “Streets Of Paradise” et “Dimming Of The Day”. Le disque est plus dépouillé que les précédents, l’humeur est méditative. Suivront en 1978 et 1979 deux albums que Thompson n’aime pas, “First Light” et “Sunnyvista”, nettement meilleurs, et limite joyeux. Mais c’est en 1982 que paraît le plus grand disque du couple, le dernier, qui sera le meilleur avec le premier. Une belle façon de boucler la boucle. “Shoot Out The Lights” avait été réalisé une première fois avec Gerry Rafferty, mais les deux Thompson haïssaient la production et l’ont réenregist­ré avec le fidèle Joe Boyd. Lorsque cette splendeur désolée est sortie, le couple était séparé, ce qui a laissé croire que ce traumatism­e était le sujet de l’album, d’autant que la pochette — Richard assis seul dans une pièce vide avec une photo de Linda sur le mur — le laissait envisager. Mais en réalité, le disque avait été conçu alors qu’ils étaient encore ensemble. Aussi brillant que “I Want To See The Bright Lights Tonight”, “Shoot Out The Lights” (après avoir voulu voir les lumières, il a voulu les exploser), écrit près de dix ans plus tard, incarne la quintessen­ce du duo. Cette musique qui ne ressemble à rien d’autre, mêlant influences celtiques, folk et rock’n’roll. Et puis, il y a la guitare de Thompson, un génie aussi grand que Jimi Hendrix. Dénuée de toute influence blues, avec ce son cristallin et perçant, baignant dans une légère reverb et parfois un peu de tremolo, c’est une machine à rêver. Il peut la faire sonner comme une cornemuse, comme un accordéon, et évite tous les clichés.

“J’ai eu la tête retournée lorsque j’ai entendu Richard Thompson pour la première fois”, a dit Chuck Prophet, lui-même pas manchot. Tom Verlaine et Richard Lloyd n’étaient pas fans pour rien : Thompson ne joue jamais la note qu’on attend, et ses solos (voir les versions live du morceau “Shoot Out The Lights”, aussi grandioses que celles de “The Calvary Cross”) sont des miracles d’inventivit­é. Personne n’a jamais fait sonner une Stratocast­er de cette manière. Les fans pourront s’acheter les nombreuses collection­s de live disponible­s sur le marché, mais vont évidemment se précipiter en priorité sur celui-ci : huit CD, tous les albums remasteris­és, un énorme livret, toutes sortes de raretés, live, prises alternativ­es, et même des duos avec la vieille amie Sandy Denny. On ne peut guère faire mieux.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France