Rock & Folk

Tom Verlaine

“David Bowie devrait plus souvent reprendre mes chansons” “THE WONDER”

- PAR BENOIT SABATIER

Ignorés ou injuriés à leur sortie, certains albums méritent une bonne réhabilita­tion. Méconnus au bataillon ?

Place à la défense.

Fontana

LE PREMIER TELEVISION : UN TEL CHOC QU’ON A OUBLIÉ D’ÉCOUTER LA SUITE. Le groupe a pourtant sorti deux autres albums, Tom Verlaine neuf solos, Richard Lloyd huit, mais “Marquee Moon” éclipse tout. Normal. En fait, non, pas normal : “Adventure” et “Television” possèdent de grands moments, et les six albums que Verlaine enregistre entre les deux, de 1978 à 1992, ne sont passés à la trappe que pour de regrettabl­es raisons — “The Wonder”, le plus déprécié, étant littéralem­ent un émerveille­ment. Sur ses trois premiers albums, “Tom Verlaine” (1979), “Dreamtime” (1981) et “Words From The Front” (1982), le guitariste prolonge “Adventure” — post-punk en droite lignée du Velvet Undergroun­d. Contrairem­ent à PiL ou The Cure, Tom Verlaine, déjà trentenair­e, ne tente plus d’incarner le présent ou inventer le futur : il est parti à la recherche du rock perdu, préférant au post-modernisme le classicism­e — des classiques, c’est ce que sont les magnifique­s “Without A Word”, “Mary Marie”, “Postcard From Waterloo”, “Flash Lightning”. Et “Kingdom Come”, repris sur “Scary Monsters” — à l’époque, Verlaine pouvait encore se la jouer : “David Bowie devrait plus souvent reprendre mes chansons, ses nouvelles ne sont franchemen­t pas démentes.” Problème : très vite, seuls Bowie et les fans de la première heure voient encore en lui un songwriter digne du Velvet. En une petite poignée d’années, durant lesquelles ont déboulé “Thriller”, “Blue Monday”, The Jesus And Mary Chain, Verlaine passe du statut d’avenir du rock à celui d’artiste culte — traduction : hasbeen. Quitte à ne plus vendre un disque, quitte à ne plus être le chouchou de la presse spécialisé­e, autant tenter quelque chose de nouveau, s’entourer d’assistants déviants, rayés des tablettes du bon goût — ce que le New-Yorkais met en oeuvre sur ses trois albums suivants, passionnan­ts.

“Cover” (1984) est le disque de la transition, ce qui ne fait pas de lui un corniaud — un pic, grâce à une face A parfaite, avec “O Foolish Heart” et “Let Go The Mansion”. Seul maître à bord, Verlaine teste beaucoup de personnel, Bill Laswell passe jouer de la basse, six ingénieurs sont recrutés dans divers studios. A New York, un type qui a bossé avec Kas Product, un autre avec Nina Hagen. A Los Angeles, un gus qui fricote avec les Talking Heads. A Londres, le producteur de Wham! et celui qui va s’atteler à “The Head On The Door” de The Cure. Autant de références qui n’ont rien à voir avec le punk-rock du CBGB. Verlaine a ouvert ses fenêtres, pris un grand bol

d’air frais et décidé, lui qui représente le son de New York, l’ex-enfant chéri de Manhattan, de rester à Londres. Il s’enferme avec Dave Bascombe, collaborat­eur de Tears For Fears (et bientôt Depeche Mode). Ensemble, le duo enregistre l’album “Vanity Fair”, dans un style pas éloigné de The Associates. Coup de massue : son label n’en veut pas. Déboussolé, Verlaine repasse par New York, transite par le Portugal et Paris, arrête les concerts pour bricoler, avec le fidèle Fred Smith, “Flash Light”, copie conforme de “Vanity Fair” — les morceaux confection­nés avec Bascombe étant recyclés comme (fantastiqu­es) face B des singles. “Sixteen Tulips”, “The Funniest Thing (Work Of Art)”, “The Scientist Writes A Letter”, “One Time At Sundown”, c’est à l’évidence une grande période d’inspiratio­n pour le nomade, à défaut d’être une époque faste niveau ventes. Tom ne pige pas, il pense pourtant composer de la pop, des chansons faciles d’accès, autant que celles des plagiaires Lloyd Cole And The Commotions, ou que celles du “Brother In Arms” de Dire Straits... mais, bizarremen­t, non, les chiffres ne sont pas du même avis. Même s’il s’est éloigné de sa zone de confort avec “Cover” et “Flash Light”, même si un DX7 couvre de plus en plus sa Fender, même s’il sonne désormais comme un Ric Ocasek SDF, comme un David Bowie ruiné, les fans hardcore de “Marquee Moon” continuent à le suivre et à le vénérer ; avec “The Wonder”, sorti en 1990, Verlaine lâche tout le monde. L’exTelevisi­on, en tentant d’imaginer l’indie-funk du futur, crée une sorte d’Orange Juice brumeux, technologi­que et fauché. On entend Lloyd Cole faire une imitation lo-fi du “Boys And Girls” de Bryan Ferry ; plus loin, Mark Knopfler, perdu dans East Village, foule les plates-bandes de Prince. Il y a des réminiscen­ces du John Cale époque “Satellite Walk” et, pour faire bonne mesure, du Lou Reed de “New Sensations” — le même producteur prend ici en main deux titres. Un ingénieur spécialisé dans l’electro-funk et, au mixage, l’associé des Pet Shop Boys complètent la fiche technique. “The Wonder”, d’un abord modeste, avec ce songwritin­g qui ne paye pas de mine, ce chant de crooner taciturne, limite taiseux, est gavé de merveilles — sommets : “August”, “Cooleridge” et le hautement addictif “5 Hours From Calais”. C’est ce qui s’appelle flinguer sa carrière en beauté. Après ? Tom Verlaine n’aura plus qu’à reformer Television.

Première parution : 24 avril 1990

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