Deux corbeaux gentiment éméchés
The Rolling Stones “Steel Wheels Live” Eagle Vision Ronnie Wood “Somebody Up There Likes Me” Eagle Vision et Netflix
Que ceux qui n’aiment pas les Rolling Stones se rassurent : il est très peu probable que Eagle Vision, qui distribue depuis quelques années, des concerts (son et images) du plus grand groupe de rock’n’roll du monde, les commercialise tous. En revanche, au train où vont les choses (et alors que les chances de les revoir en live s’amenuisent), il n’est pas impossible que tous ceux qui ont été filmés soient publiés un jour. OK, on force un peu, mais tout de même : les shows des Stones, en DVD, Blu-ray, CD et vinyle, il n’y a pas pénurie ! Comme son titre l’indique “Steel Wheels Live” réunit, dans son édition six rondelles (très abordable...), des concerts à Atlantic City (DVD
+ SD Blu-ray) et Tokyo (DVD) — ainsi que le pendant audio du premier (sur deux CD) et “Rare Reels”, un CD de cinq titres chopés ailleurs (à Toronto et Londres) — donnés dans le cadre de la méga tournée qui a suivi la parution de leur opus en 1989. On se souvient qu’après une période frictionnelle, le groupe était à nouveau au top sur le plan de l’écriture (“Steel Wheels” est l’écrin de la sublime “Almost Hear You Sigh”, une des dix meilleures chansons post-70’s signées Jagger-Richards) et du jeu (Bill Wyman est à la basse pour la dernière fois et fait regretter sa retraite anticipée). Ces deux concerts avoisinent chacun les deux heures et trente minutes, et la set-list, comme souvent, est un mélange malin de tubes inoxydables et de nouveautés qui n’en seront jamais, mais que la formation assume fièrement. On constate que Axl Rose et Izzy Stradlin (les Guns ont joué en vedette américaine aux... USA) sont montés sur scène à Atlantic City pour une version un poil forcée de “Salt Of The Earth”. En revanche, voir Keith Richards et Ronnie Wood ricaner comme deux corbeaux gentiment éméchés derrière Clapton venu faire son Eric sur “Little Red Rooster” est un kif incontestable.
Et tant qu’on y est, donc, on ne peut que recommander vivement le visionnage, en streaming ou après avoir fait l’acquisition du digipak grand format, de “Somebody Up There Likes Me”, le magnifique documentaire sur Ronnie Wood, la plus sympathique des Pierres qui Roulent encore. Réalisé par Mike Figgis, dont on vantait les mérites dès 2003, lorsque Martin Scorsese lui avait confié “Red, White And Blues”, l’épisode de son anthologie du blues (“The Blues”) consacré à la scène britannique des années soixante, ce film, agrémenté d’interventions des illustres avec qui Ronnie a fait un bout de chemin (Rod Stewart, évidemment, et les trois autres Stones, visiblement ravis d’en être), est un modèle du genre. Ni trop long ni trop court, c’est un survol complet et pudique de la vie d’un musicien qui en a eu plusieurs (et est revenu de toutes...) et s’est trouvé en la peinture (Damien Hirst est également au générique) un refuge, et peut-être une planche de salut. Quelques titres live sont en bonus et permettent de goûter au talent d’Imelda May, souveraine lorsqu’elle interprète, en duo avec Ronnie, “Wee Wee Hours” signée Chuck Berry.
Zapping
Condamné à disparaître au profit des offres de plateformes de streaming qui, de nos jours, financent plus facilement les documentaires musicaux que les maisons de disques (et diffusent des concerts...), le DVD de rock vintage trouve encore refuge, grâce au marché — malheureusement en perte de vitesse lui aussi — de la réédition. Ainsi, c’est dans certains coffrets ou dans de chouettes rééditions que se cachent désormais les images qui bougent les plus remarquables. Ainsi ce mois-ci :
Rose et au format 33 tours, “Power Corruption And Lies” est l’objet le plus impressionnant reçu ce mois ; au deuxième album de New Order paru en 1983 (et accompagné ici d’une flopée d’enregistrements rares), Warner a ajouté deux DVD. Le premier regroupe deux concerts dont un, filmé en juin 1982, à la mythique Hacienda de Manchester, la ville dont le groupe est originaire. Un autre show, au même endroit, est également proposé sur le second DVD, en plus d’un documentaire tourné à l’origine pour Channel 4. Des prestations du groupe à la Tower Ballroom de Birmingham (“Love Will Tears Us Apart”) et une version de “Ultraviolence”, immortalisée au First Avenue de Minneapolis, où ont été tournées les scènes live de “Purple Rain”, sont les bonus les plus remarquables du premier. Dans un tout autre registre, Rhino a joint à sa réédition mastoc de “New York”, l’album très costaud que Lou Reed a publié début 1989, le fameux concert qu’il a donné l’été suivant au Théâtre St-Denis de Montréal. Disponible en 1990 en VHS (et laser-disc au Japon), “The New York Album”, pour sa première parution en DVD, a bénéficié d’un remastering efficace du son, mais l’image est dans l’état de l’époque : très moyenne. Il n’en reste pas moins que cette prestation ressemble au taulier : elle est hyper franche du collier et il s’y montre en maître dans l’art de faire s’accoupler des guitares simples en public (tenues par Mike Rathke en plus de celles du Lou), au son clair ou saturé. La rythmique n’est pas moins impeccable et soutient parfaitement l’homme de Brooklyn lorsque, sans rigoler et sans filet, il débite ses textes touffus et part en solo, toujours un peu périlleux (“There Is No Time”, “Strawman”), comme s’il ne comptait plus jamais revenir. Moins fun, la présence de “In The World Tonight” dans le coffret deluxe de la réédition, chez Universal, de “Flaming Pie” (le dixième Paul McCartney, en comptant n’importe comment, paru en 1997), oblige les fans hard-core à cracher sérieusement au bassinet. De fait, il leur faut débourser près de 250 € pour acquérir l’objet, certes bien joli et avec tout un tas de goodies, parmi lesquels ce chouette making of de l’album, signé Geoff Wonfor. Aucun fan des Beatles ne l’ignore, c’est à Wonfor (et Bob Smeaton) qu’on doit leur “Anthology”, tout comme “Live At The Cavern Club!” (Paul était retourné y jouer dans le cadre de la promotion de son “Run Devil Run” de 1999). Oui, “In The World Tonight”, indisponible en DVD depuis belle lurette, est un must pour tous les amateurs du bassiste gaucher (la séquence “Beautiful Night”, avec George Martin et Ringo Starr, est un régal), mais le businessman du 1, Soho Square à Londres ne pousset-il pas le bouchon un peu loin ? Aucun mélomane nostalgique ne rechigne à dépenser raisonnablement pour se procurer, bien repackagé, un disque qu’il a aimé, mais il serait plus que temps que Macca (et sa compagnie MPL) redescendent sur Terre afin de discuter pouvoir d’achat, en cette période particulièrement troublée, avec le commun des mélomanes mortels.
Pour être honnête, on signalera que le coffret deluxe abrite un second DVD, avec les clips des singles et autres bricoles, mais son prix, il n’y a pas à tortiller, reste prohibitif.